Tahar Zbiri raconte les coups bas de Bouteflika
Dans ses Mémoires, Tahar Zbiri consacre quelques passages au rôle joué par Abdelaziz Bouteflika à des moments cruciaux du devenir du pays: la crise de 1963 et celle de 1988. Lire extraits commentés.
En filigrane du livre de Tahar Zbiri Un demi-siècle de combat - Mémoires d'un chef d'état-major algérien, le lecteur a le loisir de suivre, en des périodes précises, le rôle joué par l’actuel chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika dans les conflits de l’Algérie des premières années de l'indépendance à celle de 1992. Abdelaziz Bouteflika est présent dans la réunion secrète préparant la destitution du président de la république, Ahmed Ben Bella. Tahar Zbiri se souvient des propos que Bouteflika a tenus, accusant Ben Bella de "gabegie", autrement dit de jeter l'argent du peuple dans des constructions de prestige. Près de 50 ans après, cette accusation se retourne contre lui. "Où allons-nous comme ça ?" a-t-il alors tempêté devant Tahar Zbiri.
Après la chute de Ben Bella, Bouteflika s'emploie aux bons offices lors de la brouille larvée entre Houari Boumedienne, devenu président de la République, ayant toujours une main de fer sur l'armée et Tahar Zbiri menacé d'être évincé de son poste de chef d'état-major des armées. Les décisions de nomination lui échappent et, contrairement à Ben Bella, Houari Boumedienne ne le consulte pas. Abdelaziz Bouteflika, émissaire de Boumedienne, tente une réconciliation auprès de Tahar Zbiri qui résiste à toute allégeance dont est porteur le jeune ministre des Affaires étrangères.
Des années après, dans une autre crise, celle de 1988, Tahar Zbiri le restitue dans les moments cruciaux de la destitution forcée de Chadli Bendjedid. Selon lui, son nom est cité pour "prendre les rênes du pays". Tahar Zbiri écrit même que Bouteflika a conditionné sa nomination à la tête du pays sans être assujetti à un chef d'état-major des armées ou à un ministre de la Défense qu'il a voulu briguer également. Un cumul qui ne lui a pas été offert. Tahar Zbiri, reçu par Liamine Zeroual pressenti alors aux destinées d'un pays en crise profonde, se souvient des propos échangés sur Bouteflika que l'armée avait voulu imposer. Après ces faits, Tahar Zbiri ne le cite plus.
Quelques extraits de l’ouvrage du Colonel Tahar Zbiri Un demi-siècle de combat – Mémoires d’un chef d’état-major algérien (Ed. Echourouk, Alger, 2012 )
Acte I – "Bouteflika accuse Ben Bella de gabegie"
Lors de la réunion secrète de Boumedienne, Medeghri, Kaïd Ahmed, Tahar Zbri, Abderrahmane Bensalem, Mohamed Salah Yahiaoui, Bouteflika s'est fait remarquer par sa diatribe contre Ben Bella:
"Au retour de Boumedienne à Alger, nous nous sommes réunis avec lui pour discuter des suites à donner aux dernières décisions controversées de Ben Bella. Il y avait Bouteflika, Medeghri, Kaïd Ahmed et moi-même. Nous fûmes rejoints par Saïd Abid, Abderrahmane Bensalem et Mohamed Salah Yahiaoui qui tenait rigueur à Ben Bella pour l'avoir humilié publiquement (…) Bouteflika accusera Ben Bella de gabegie dans la préparation de la conférence afro-asiatique qui devait se tenir à Alger le 22 juin, pour avoir décidé d'édifier le somptueux hôtel Aurassi et le Palais du Congrès du Club des Pins: "où allons-nous comme ça, s'interrogea-t-il ?"
Acte II – Crise ouverte avec Boumedienne : "Il m’envoya Bouteflika pour négocier"
Après la déposition de Ben Bella, Tahar Zbiri est un chef d'état-major isolé. Boumedienne passe outre son avis pour toute décision concernant le ministère de la Défense. Après la lune de miel, c'est la clash. Bouteflika entre en scène et sert d'émissaire de Boumedienne auprès de Tahar Zbiri qu'il tente de ramener à la raison sans obtenir de lui quoi que ce soit :
"Je venais d'atteindre le premier objectif du plan que j'avais établi avec Saïd Abid, et qui consistait à créer une crise ouverte avec Boumedienne, pour le mettre ainsi devant le fait accompli, et l'obliger à négocier pour essayer de trouver une issue à cette crise avant qu'elle ne dégénère. Alors Boumedienne envoya Bouteflika pour me voir. Bouteflika tentera de me dissuader de boycotter les activités officielles de l'Etat, mais, moi, j'ai campé sur ma position qui était celle de vouloir réunir le Conseil de la révolution, d'abord; sur ce, nous nous sommes séparés. Quand Boumedienne a appris que j'étais dans la caserne du Lido, il a compris que j'allais donner l'ordre au bataillon de faire mouvement sur le ministère de la défense, le siège de la RTA et le palais présidentiel, et de l'arrêter à la fin. Il a été pris de panique, surtout que, ce jour là, Bouteflika était en mission à l'étranger, Kaïd Ahmed à Tiaret et Yahia à Béchar. Il est parti se terrer dans un endroit secret et s'est mis à hurler sur les dignitaires de son régime par téléphone: "La révolution est en danger"
Acte III – Bouteflika : "Je refuse d'être un Président amputé du ministère de la défense"
Après le départ de Chadli Benjeddid, le nom de Bouteflika court au sein de l'armée pour prendre les rênes du pouvoir. Contacté, ce dernier marchande sa nomination sans se soucier de la crise dans laquelle s'embourbait le pays sous la menace islamiste du FIS. Il voulait un pouvoir absolu, surtout pas d'un chef d'Etat trois quart.
"Le nouveau président du HCE accepté l'idée de tenir un congrès des cadres, comme l'avait suggéré le groupe des 18 dont je faisais partie. J'y avais participé, ainsi que plusieurs personnalités historiques et plusieurs cadres supérieurs de l'armée. Face à la menace de désintégration qui menaçait le pays, et au danger qui guettait la révolution, il fallait une forte intervention de l'armée et le président devait être issu de la défense. Certains dans l'armée ont suggéré le nom d'Abdelaziz Bouteflika pour conduire la période de transition dans un contexte crucial à tous les niveaux politique, sécuritaire, économique et social. Mais Bouteflika a décliné l'offre. Lors d'une rencontre au conseil national de l'Organisation nationale des Moudjahidine, tenue une semaine avant la conférence de l'entente nationale qui avait regroupé les différentes forces politiques, j'avais posé la question à Bouteflika: " Pourquoi refuses-tu de prendre les rênes du pays?" Il me répondit: "Je ne pense pas que je puisse accepter cette responsabilité. Si on me donne le pouvoir, je devrais aussi avoir la Défense. Mais s'ils désignent avec moi un vice-président (faisant allusion à Khaled Nezzar), un officier de l'armée, dans un contexte sécuritaire et socioéconomique qui n'est pas reluisant, alors, dans ce cas, je ne saurais accepter cette responsabilité" Bouteflika avait raison; l'armée était entre les mains de Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense et membre du HCE, qui était pressenti pour occuper le poste de vice-président. (…) "
Acte IV – "Zeroual m’informa que les militaires voulaient nommer Bouteflika"
Le refus de Bouteflika d'être nommé à la tête du pays a coûté un temps précieux aux décideurs, selon Tahar Zbiri. Pour Bouteflika, il ne s'agit point de sauver le pays, mais d'avoir, comme Boumedienne, les pleins pouvoirs, en ayant sous sa coupe l'armée qui l'a proposé. Il ne voulait pas d'une nomination comme chef d'Etat transitoire. Le nom de Liamine Zeroual s'est très vite imposé et Tahar Zbiri est l'un de ses fervents partisans. Il rapporte un moment de sa rencontre avec lui, à Alger.
"Le refus de Bouteflika mettra à nouveau les décideurs dans une situation d'embarras sur la personnalité à choisir pour présider aux destinées du pays dans cette phase, la plus délicate depuis son indépendance. Dans la foulée de ces discussions, surgit le nom de Liamine Zeroual, ministre de la Défense. la Conférence de l'entente nationale se chargera alors de l'inviter solennellement à prendre les rênes de l'Etat" (…) Moi, personnellement, je pensais que l'armée était la seule institution constitutionnelle en mesure de sortir le pays de sa crise…Incontestablement, Liamine Zeroual, ministre de la défense, était pour moi, l'homme de la situation (...) Zeroual m'invita dans son bureau, au ministère de la Défense et m'informa que les militaires voulaient nommer Bouteflika (comme chef de l'Etat) pour une période de transition de deux ou trois ans, après quoi, il pourrait présenter sa candidature: "Quant à moi, me précisait-il, je n'ai jamais exercé la tâche de président; Bouteflika s'y donnait sans doute mieux que moi!" Je l'ai relancé, en lui disant avec insistance: " Mais il est question de sauver le pays, et il faut que le nouveau président prenne aussi la Défense, et comme on dit dans notre jargon, on ne demande pas une responsabilité, mais on ne la refuse pas! Il faudrait que le futur chef de l'Etat soit issu de l'armée et plus précisément de la Défense" Le voyant quelque peu hésitant, j'ai ajouté avec un certain enthousiasme: "Pourquoi ne serais-tu l'Atatürk algérien?…"
Extraits du livre du Colonel Tahar Zbiri "Un demi-siècle de combat - Mémoires d'un chef d'état-major algérien" (Ed. Echourouk, Alger, 2012)
R.N
Lire aussi: Mémoires de Tahar Zbiri : le putsch avorté du 14 décembre 1967
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merci bien
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