Abdelhafidh Yaha : "Les martyrs du FFS de 1963 ne sont pas à vendre !"?
Abdelhafidh Yaha, auteur de "Ma guerre d'Algérie. Au coeur des maquis de Kabylie. 1954 - 1962" (écrit avec Hamid Arab), s'élève contre toute atteinte à la dignité des anciens maquisards de la guérilla du FFS de 1963 et contre le "marchandage électoraliste" de la mémoire de ses martyrs. Il considère que l'actuel FFS est "malheureusement un parti préfabriqué" du pouvoir...
Le Premier secrétaire national du FFS, Ali Laskri a annoncé lors du meeting organisé à Tizi Ouzou à l’occasion du 49e anniversaire de la fondation du parti que "la jeunesse du FFS appelle à la reconnaissance du statut de martyrs pour les militants du parti, assassinés en 1963", ajoutant que les députés FFS comptent demander la modification de la loi sur le chahid et le moudjahid afin d'intégrer les anciens du maquis insurrectionnel de 1963 : "Il n y aura pas de véritable réconciliation nationale sans la réhabilitation des anciens de 1963" a?t?il conclu.
Joint par téléphone mardi, Abdelhafidh Yaha, l'une des figues emblématiques du mouvement national, officier de l'ALN, membre fondateur du FFS dont il gagne les maquis de la rébellion contre le putsch de l'armée de l'extérieur qui a porté au pouvoir le Président Ahmed Ben Bella, s'est dit outré "par ce marchandage". Il a qualifié ces déclarations de "manoeuvres électoralistes du pouvoir" par un "FFS préfabriqué" qui n'est "plus celui de 1963" : "Le pouvoir veut acheter non seulement la mémoire des martyrs du FFS de 1963 qui s'est battu contre la dictature et pour la démocratie, mais aussi ses militants à des fins électoralistes. Nous disons que nous ne sommes pas à vendre et nous ne cautionnons pas ce pouvoir inique et dictatorial. La mémoire des martyrs du FFS est en nous, c'est nous qui la préservons dans notre combat d'aujourd'hui contre le népotisme et la dictature."
Dans son témoignage qui vient de paraître en France et en Algérie Ma guerre d'Algérie. Au coeur des maquis de Kabylie. 1954-1962" ( Propos recueillis par Hamid Arab) Abdelhafidh Yaha montre, par des faits attestés, comment le pouvoir des deux "B" (Ben Bella et Boumediene) qui l'ont contraint à l'exil de 1965 à 1988, ont utilisé des harkis promus dans les rangs de l'ANP pour assassiner les anciens maquisards de l'ALN ayant rejoint le Front des forces socialistes : "Par une de ces ironies dont l’histoire a le secret, ces harkis devenus de vénérables soldats de l’ANP ont été, quelques semaines plus tard, utilisés une seconde fois par l’ANP. Cette fois-ci, ce fut pendant les ratissages contre les anciens maquisards de l’ALN qui avaient rejoint le Front des forces socialistes (FFS) entré en rébellion contre le régime des deux B : Ben Bella et Boumediene. C’était décidément un monde à l’envers qui se dessinait pour l’Algérie nouvelle." Plus de 400 militants du FFS, essentiellement constitués de moudjahidine de la guerre d'indépendance sont morts pendant la guérilla du FFS contre le régime Ben Bella-Boumediene.
Loin des chamailleries de l'actuel FFS dont il dénie l'héritage de la guérilla du FFS contre le régime de Ben Bella, Abdelhafidh Yaha n'est pas qu'un gardien de cette mémoire. Il est resté fidèle à son long combat pour l'indépendance du pays (1954-1962) s'élève contre le premier coup d'Etat contre l'Algérie indépendante (1963 - 1965). Après 1988, il est rentré en Algérie et donne sa caution au mouvement citoyen des aârouch, soutient la plateforme d'El Kseur et dénonce la répression du pouvoir durant le Printemps de 2001.? Un second tome à ce premier témoignage est attendu. Il est consacré à l'histoire de la guérilla du FFS de 1963 à 1965 ainsi que sur le contexte politique dans lequel le FFS a été créé sans omettre les divergences qui l'ont opposé à Hocine Aït Ahmed. ?"Nombre d'anciens maquisards de l'ALN ayant rejoint la rébellion du FFS contre le putsch de Ben Bella qui a confisqué l'indépendance de l'Algérie ont subi bien des affronts et beaucoup se sont éteints dans l'humiliation que leur a fait subir les régimes successifs du pouvoir algérien. Mais l’histoire nous a donné raison. Quand nous nous sommes révoltés en 1963, les dirigeants se sont gargarisés de démocratie mais ils ne sont pas démocrates pour un sou. Ils ont été contraints d’adopter hypocritement les idéaux de notre combat car ils parlent aujourd’hui de démocratie. Sinon leur option, leur détermination, c’est la dictature. Malheureusement, le parti du FFS aujourd’hui est saboté, préfabriqué. Je compte consacrer le prochain tome sur l’histoire d’avant et durant la rébellion armée du FFS, ce que nous y avons subi."
Dans Ma guerre d’Algérie - au cœur des maquis de Kabylie, 1954 - 1962, l'ancien baroudeur raconte son combat interrompu dans les maquis de l’ALN en Kabylie de son déclenchement à la proclamation de l’indépendance.
Abdelhafidh Yaha s’est frotté dès l’âge de 15 ans, au côté de son père émigré en France, à la vie des militants nationalistes, ouvriers ou mineurs en France. Rentré en Algérie dès 1954, il prend le maquis avec son père et est nommé chef de région (III et IV – couvrant tout le versant sud de Aïn-El-Hammam à Draâ-El-Mizan) de la wilaya III. Ce premier ouvrage alterne des souvenirs de guerre sur le terrain des combats et des informations politiques restées inédites jusque-là sur certains faits qui ont fait couler beaucoup d’encre, liés aux luttes intestines de la Wilaya III sous le Colonel Amirouche, et particulièrement l’affaire de la bleuïte, celle des "Officiers libres" en même temps qu’il livre des portraits saisissants sur des figures emblématiques de la Révolution comme Messali Hadj, Abane Ramdane, Larbi Ben Mhidi, Mohand Ou lHadj, le Colonel Amrouche, Ouamrane, Krim Belkacem et tant d’autres qu’il a eu à rencontrer dans les maquis.
Ce témoignage, il l’a voulu aussi hommage à sa famille, son père avec lequel il a pris le maquis dès leur retour de France ; un père qui lui a été un modèle de référence non seulement au sein de la cellule familiale mais aussi et surtout, une leçon de sacrifice hors du commun pour l’indépendance de l’Algérie. Si L’Hafidh (c’est son nom de guerre devenu coutumier) a appris la mort du père au maquis, brûlé vif parce qu'il ne voulait pas se rendre à l'ennemi. Il consacre des pages émouvantes sur sa mère qui, arrêtée et emmenée par les chasseurs alpins, a été torturée sans qu’elle livre le moindre renseignement sur les maquisards qu’elle recevait dans sa maison transformée en "refuge" pour des détachements de l’ALN de passage dans ce village Takhlijt Ath Atsou accroché aux flancs du Djurdjura.
Ce sacrifice familial ancre l’engagement du fils dans la chair de la Révolution armée en ce qu’elle a d’intime et d’authenticité. Son témoignage n’emprunte pas le ton affecté d’un engagement à posteriori. Ainsi que le donne à lire et à méditer ce livre, il tire ses origines du vrai, des réalités sociologiques d’une région avec ses toponymes villageois, ses structures sociales et familiales et d’une connaissance aiguisée des liens agnatiques des tribus.? ?L’un des aspects remarquables qui sous-tend ce témoignage, resté méconnu dans ce genre de témoignages des acteurs de la guerre de libération nationale, réside dans la relation intime que Abdelhafidh Yaha établit entre l’organisation de l’assemblée villageoise (tajmaât) et les premiers noyaux des maquis en Kabylie. Ces organisations traditionnelles ont permis l’implantation, l’organisation des maquis précurseurs et ont été un soutien idoine à l’ALN en termes de création de refuges, de "boites", de renseignements, de collectes de fonds.
Ainsi, avant et après le Congrès de la Soummam, ces structures tribales traditionnelles, assise des résistances antérieures à la colonisation, celle de Fadhma N’Soumer et de l’insurrection de 1871 menée par El Mokrani et Cheikh Aheddad que l’auteur cite en exemples, ont été le levain pour le passage d’une résistance "rudimentaire", "instinctive" à une organisation moderne d’une armée algérienne de libération avec ses structures, ses grades, ses hommes, ses stratégies, ses textes, à l’unisson de toutes les armées du monde, bref, une Armée ALN qui a permis, par ces changements et ses performances internes, la tenue du Congrès de la Soummam.? Ainsi, Abdelhafidh Yaha a eu la justesse du propos en liant son engagement dans la Révolution algérienne à l’humus villageois, autrement dit aux racines socioculturelles sans lesquelles aucun sacrifice n’aurait pu être, aucun engagement n’aurait eu du souffle. Par ce biais, les souvenirs de guerre de l’auteur, tels que consignés dans ce livre, font corps aux réalités géographiques, sociologiques, culturelles et cultuelles dans leur proximité villageoise.
L’évocation des embuscades, des attentats, la terreur semée par les chasseurs alpins du 6e BCA notamment dans cette région de Kabylie d’Iferhounène, a un visage, une date, un toponyme, un chant de femmes, des anecdotes et surtout des noms de maquisards anonymes qui font le cœur palpitant des maquis kabyles. Mais faut-il, pour cela, voir dans ce témoignage, une histoire "locale" des maquis de la Wilaya III ? L’auteur montre que, grâce à ce microcosme de la montagne, des hommes de la wilaya III naissante ont été dépêchés dans le grand sud algérien pour organiser les maquis dans les espaces désertiques avec pour mission d’attaquer les bases militaires. Sans compter le rôle idoine des officiers de la wilaya III dans la création et la dynamisation de la Zone autonome d’Alger.
Mais ce témoignage n’est pas fait que de souvenirs de faits de guerre à l’état brut. Abdelhafidh Yaha fait des échappées critiques sur l’Algérie de ces années 2000. En homme politique averti, il remet en quelque sorte les pendules à l’heure en tant que témoin direct impliqué, sur des faits qui ont fait couler beaucoup d’encre, liés aux luttes intestines et fratricides de la Wilaya III, particulièrement, l’affaire de la "bleuïte".
Jeune officier de 22 ans, il a été l’un des premiers officiers à braver, au péril de sa vie, le Colonel Amirouche pour arrêter le bain de sang fratricide de la bleuïte qui décimait de valeureux combattants de l’ALN. Selon lui, la "bleuïte", qui est un complot de l'armée française, n’a pas été dirigée contre les "intellectuels" du maquis qui "se comptaient sur les doigts d'une seule main" mais elle a frappé tous les maquisards sans distinction.
Ce va et vient entre le passé et le présent porte également sur des perspectives d’avenir. Car, faut-il le dire et l’affirmer, l’auteur n’est pas un homme du passé, de la guerre. Il est aussi et surtout un fin orateur sur les causes démocratiques qu’il défend toujours. C’est la raison pour laquelle ce livre-témoignage n’est pas une porte fermée sur la guerre de Libération mais un battant ouvert sur un projet plus vaste, un premier livre inaugural d’une trilogie sur l’Algérie de la postindépendance dans laquelle il n’a pas cessé de lutter à partir de ses racines primesautières de la Libération du pays aux revendications de libertés dans le pays.
Rachid Mokhtari
Abdelhafidh Yaha: "Ma guerre d’Algérie - au cœur des maquis de Kabylie, 1954-1962" - Propos recueillis par Hamid Arab. (Ed. Riveneuve, France; Ed. Inas, Algérie - 2012)
Commentaires (2) | Réagir ?
Je suis d'accord avec Monsieur Abdelhafidh Yaha. la mémoire du FFS n'est pas à vendre.
Tout le mal du pays vient de 1963.
ait ahmed lui meme ne reconnaissait pas les victimes de 1963, lui il a été endomagé jusqu'au dernier sou, les autres ont eu la gloire de l'histoire, la vie de ma famille a été chamboulé et détruite à cause des évenements de 1963.