Syrie : la ville d'Alep à feu et à sang
Les incendies qui ont dévasté les souks couverts d'Alep s'étendent à d'autres quartiers du centre historique de la capitale économique de la Syrie, ont dit lundi des opposants.
Engagés sur plusieurs fronts dans un conflit qui a déjà fait selon eux plus de 30.000 morts, les rebelles ont lancé la semaine dernière une nouvelle offensive pour tenter de prendre Alep aux forces de Bachar Al Assad, auquel la bourgeoisie commerçante de cette ville du nord de la Syrie était en grande partie restée fidèle. Les insurgés semblent avoir choisi pour champ de bataille privilégié le dédale de ruelles sillonnant la Vieille Ville fortifiée. D'après eux, les forces du régime contrôlent toujours l'imposante citadelle médiévale dominant la Vieille Ville, ce qui augure de combats destructeurs pour les trésors culturels du centre d'Alep, classé au patrimoine mondial de l'Unesco.
"Les rebelles contrôlent désormais 90% de la Vieille Ville", a dit Amir, un opposant contacté via Skype. Les unités rebelles avec lesquelles il est en contact peinent toutefois à conserver leurs positions en raison des tirs nourris de l'artillerie gouvernementale, a-t-il dit. Les insurgés tiennent toujours les souks couverts, parmi les plus beaux du monde arabe avec leur entrelacement de ruelles voûtées bordées de boutiques ornées de façades en bois finement sculptées, a-t-il ajouté.
Plus de 1.500 échoppes ont été ravagées par les flammes depuis samedi mais cet incendie déclenché par les combats est désormais maîtrisé, a dit Amir. De nouveaux feux ont cependant pris sur les marchés de Zahraoui, Akaba et Bab al Nasr, toujours dans la Vieille Ville. Des colonnes de fumée noire s'élèvent de nombreux quartiers et Alep résonne des fusillades. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), une ONG basée à Londres et proche de l'opposition, au moins 100 personnes ont trouvé la mort lundi dans l'ensemble du pays. Parmi eux figurent 18 membres des forces de sécurité, tués dans une embuscade alors qu'ils faisaient route entre Homs et Palmyre.
S'exprimant sous le sceau de l'anonymat, un homme s'étant rendu dans la Vieille Ville explique que l'incendie est la conséquence des combats survenus dans les souks couverts, réputés pour leurs ateliers de soie. "Un incendie provoqué par un court-circuit s'est déclaré durant les combats et s'est rapidement répandu", a dit cet homme. Selon lui, plusieurs unités rebelles, notamment celles de la Brigade Taouhid, participent à la progression des insurgés, qui n'avancent guère dans le reste de cette ville de 2,5 millions d'habitants. Les batailles dans les villes syriennes suivent généralement le même scénario. Lorsque les insurgés, légèrement armés, parviennent à avancer, les forces gouvernementales répliquent à l'artillerie jusqu'à ce que rebelles et civils aient déserté le secteur, dans lequel l'armée peut ensuite revenir. Puis ce cycle d'attaques-représailles recommence avec une nouvelle tentative rebelle.
L'Unesco estime que cinq des six sites classés de Syrie ont déjà été endommagés par les combats, notamment le site antique de Palmyre, le Crac des Chevaliers, forteresse datant des Croisades, et la Vieille Ville de Damas. Les forces loyalistes ont aussi bombardé lundi des positions rebelles dans des faubourgs de l'est de Damas et elles ont lancé des raids aériens contre la ville de Salkine, dans la province d'Idlib, faisant au moins 17 morts, selon des opposants. Les rebelles disent avoir conscience des ravages infligés par les combats à l'un des joyaux historiques de leur pays, Alep étant située "au carrefour de plusieurs routes commerciales depuis le IIe millénaire avant J.-C", selon l'Unesco. La ville était notamment la dernière étape avant l'Europe pour les négociants revenant d'Asie sur la route de la soie.
"C'est de la guérilla urbaine. Je ne peux imputer la responsabilité de ces incendies précisément à aucun des deux camps", a dit Amir. Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, a rappelé aux autorités syriennes qu'elles étaient tenues de préserver le patrimoine de leur pays au regard de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, de 1954. "Les souffrances humaines provoquées par cette situation sont déjà extrêmes", dit-elle dans un communiqué. "Que les combats provoquent désormais la destruction de l'héritage culturel témoignant de l'histoire millénaire de ce pays - estimé et admiré dans le monde entier - les rend encore plus dramatiques."
Sur le front diplomatique, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid al Moualem a accusé lundi, dans un discours prononcé à l'Assemblée générale de l'Onu, les Etats-Unis, la France, le Qatar, l'Arabie saoudite et la Turquie de soutenir le terrorisme en fournissant des armes et de l'argent aux rebelles. Il a déclaré que leurs appels à renverser Assad constituaient "une ingérence flagrante". Ces cinq pays ont démenti armer les rebelles, même si certains leur ont apporté un soutien logistique, en fournissant notamment des équipements de communication. Des sources au sein des pays du Golfe avaient pourtant déclaré en juillet à Reuters que la Turquie avait mis en place une base secrète avec l'Arabie saoudite et le Qatar pour envoyer de l'aide militaire et logistique aux rebelles.
Reuters
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