L’Etat algérien peut-il combattre l'informel sans un Etat de droit ?
Les pouvoirs publics actuels mènent des actions pour combattre la sphère informelle. Seront-elles efficaces et s’attaque-t-on à son essence profonde ?
Quelle est l’essence de la sphère informelle ?
La sphère informelle pose le fondement du pouvoir algérien existant des liens dialectiques entre la logique rentière et l’extension de cette sphère. La base de toute économie moderne est basée sur deux fondamentaux comme le rappelait un des plus grands économistes du XXème siècle, Joseph Schumpeter : le contrat et le crédit. Le gouvernement ne peut empêcher la pratique informelle sans imaginer des mécanismes de régulation transparents, loin des mesures autoritaires. Il existe un contrat moral entre le vendeur et l’emprunteur, contrat plus solide qu’un contrat écrit imposé. Lorsqu’un gouvernement agit administrativement et de surcroît autoritairement, loin des mécanismes transparents, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer. Exemple : les transactions au niveau des frontières pour contourner les myopies des bureaucraties locales, agissant sur les distorsions des prix et des taux de change et le droit coutumier dans les transactions immobilières. Il ne suffit pas de crier sur les toits que cette sphère ne paye pas les impôts. Il faut expliquer les raisons de son existence. La sphère informelle n’est pas le produit historique du hasard mais trouve son essence dans les dysfonctionnements de l’Etat et du poids de la bureaucratie, en fait au blocage de la réforme globale. Tout se traite en cash favorisant la corruption avec un poids des lobbys comme en témoigne l’obligation en 2008 du chèque de 50.000 dinars puis du chèque de 500.000 dinars dont l’application devait commencer au 2 avril 2011, les deux décisions ayant été abrogées par le gouvernement. Les ex-pays du camp communiste ont connu l’ampleur de cette sphère informelle et ont réussi à l’éradiquer grâce aux réformes. Et l’Italie a su également l’intégrer rapidement depuis qu’elle est membre actif de l’Europe. Selon les obstacles ou la rapidité de la construction d’un Etat de droit et d’une véritable économie de marché concurrentielle, cette sphère diminue ou s’étend. C’est faute d’une compréhension l’insérant dans le cadre de la dynamique sociale et historique que certains la taxent de tous les maux, paradoxalement par ceux-là mêmes qui permettent son extension en freinant les réformes.
Le poids de la sphère informelle
Cette sphère représente la majorité des activités une surface économique dépassant hors hydrocarbures et employant selon les données de l’ONS 50% de la population active. Cette sphère informelle en Algérie contrôle 65/70% des segments de produits de première nécessité auxquels plus de 70% des ménages consacrent presque l’intégralité de leurs revenus (marché fruits et légumes, poisson, viande rouge et blanche, textile et cuir) et sans compter les factures de plus en plus élevées de l’eau et de l’électricité qui absorbent une fraction importante du revenu des ménages pauvres et moyens accroissant leur endettement. La masse monétaire a été évaluée dans le rapport de la banque d’Algérie à 2.439 milliards de dinars fin 2010, 33, 87 milliards de dollars dont 40% contrôlée par la sphère informelle soit 13,55 milliards de dollars limitant la politique monétaire de la Banque centrale avec une importante intermédiation financière informelle mais avec des taux d’usure accroissant l’endettement des ménages qui s’adressent à cette sphère. L’importance de cette masse monétaire captée, favorise une concentration du revenu au niveau de cette sphère avec des tendances monopolistiques et souvent oligopolistiques (quelques offreurs pour une multitude de demandeurs) et alimente comme analysé précédemment, la demande au niveau du marché de la devise parallèle et l’évasion fiscale évaluée à environ 3 milliards de dollars par an. Le constat en Algérie est l’absence d’une véritable concurrence, avec une tendance monopolistique faisant que les circuits entre le producteur et le consommateur (les grossistes informels) ont tendance à se rallonger, la marge commerciale pouvant représenter 2 à 3 fois le prix de production (surtout dans le domaine agricole), ce qui ne peut que décourager le producteur immédiat et l’orienter vers des activités spéculatives et fait que la politique d’encadrement des prix peut s’avérer d’une efficacité limitée, en fonction des moyens mis en œuvre, dans la mesure où le contrôle des prix repose sur le détaillant qui ne fait que répercuter ces surcoûts de distribution.
Cela ne concerne pas uniquement les catégories économiques mais d’autres segments difficilement quantifiables. Ainsi, la rumeur est le système d’information informel par excellence, accentué en Algérie par la tradition de la voix orale, rumeur qui peut être destructrice mais n’étant que la traduction de la faiblesse de la démocratisation du système économique et politique, donnant d’ailleurs du pouvoir à ceux qui contrôlent l’information. L’utilisation de divers actes administratifs de l’Etat à des prix administrés du fait des relations de clientèles transitent également par ce marché grâce au poids de la bureaucratie qui trouve sa puissance par l’extension de cette sphère informelle. Cela pose d’ailleurs la problématique des subventions qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisées (parce généralisables à toutes les couches) rendant opaques la gestion de certaines entreprises publiques et nécessitant à l’avenir que ces subventions soient prises en charges non plus par les entreprises mais budgétisées au niveau du gouvernement après l’aval de l’APN, pour plus de transparence.
Les deux actions pour intégrer la sphère informelle : confiance et Etat de droit
Ce qui m’amène à traiter de deux facteurs importants la confiance base des échanges et l’Etat de droit se fondant sur les titres de propriété. Une caractéristique fondamentale de la culture des économies modernes c'est la confiance qui permet à une économie de marché de fonctionner, favorisant l’accélération des échanges. Dans certains pays, il y a plus de confiance que dans d’autres. Des interviews précises montrent qu’à une question en Suède : "Est-ce que vous faites confiance aux autres Suédois ?" La réponse est que 65% des Suédois disent "oui, je fais confiance à un autre Suédois", Aux Etats-Unis presque 54% des Américains disent oui, j’ai confiance aux autres Nord-Américains. Quand on arrive au Brésil, c’est seulement 8% qui font confiance aux autres Brésiliens. Qu’en est-il pour l’Algérie ? Seules des enquêtes précises peuvent déterminer cela. Certes, avec le phénomène de la mondialisation, la forme de perception de la confiance au niveau des économies développées est différente d’antan. Au niveau du Tiers Monde, les relations sont basées surtout sur des relations personnalisées.
Pourtant, la révolution dans les domaines de l’information et des télécommunications permet de communiquer tant avec des cultures lointaines qu’avec des signes. En fait, c’est le droit qui permet cette confiance. L’économie mondiale fonctionne, avec une multiplication des échanges sans précédent en l’espace de quelques décennies. D’où, d’ailleurs, l’importance de la stabilité des règles juridiques et leur adaptation à l’environnement comme moyen d’attirer l’investissement. Deuxièmement, pour atténuer la sphère informelle il faut des titres de propriété. Cela pose toute la problématique de l’accumulation du capital qui n’est pas fixé seulement par l’argent. La monnaie sous toutes ses formes permet de mesurer la valeur des choses mais ne vous crée pas le capital d’où l’illusion en Algérie que les réserves de change sont un signe de développement alors quelle n’est qu’une richesse virtuelle provenant d’une ressource éphémère que sont les hydrocarbures et non du travail et de l’intelligence fondement de l’accumulation du capital. Comme la montré le grand spécialiste Hernando De Soto ce n’est pas la liquidité de l’argent mais la liquidité de la propriété qui permet la création de la valeur, c’est-à-dire la richesse d’une Nation. Par ailleurs, tout le monde croit que reformer le droit de propriété dans un pays pour le rendre accessible aux pauvres et faire un système de droit est une question de registre foncier tel que cela est enseigné à l’Université. Ce n’est pas exact. Il faut intégrer toutes les procédures, y compris celles du droit coutumier. Car existent des codifications au sein de cette sphère informelle. Dans la plupart des pays, ce sont des notables qui établissent des actes non reconnus, certes, par l’Etat mais qui ont valeur de transaction au sein de cette sphère informelle. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante des règles qui lui permettent de fonctionner. Quand l’Etat intègre cette sphère au moyen d’actions concrètes sécurisantes, sans actions coercitives ou bureaucratiques, il commence à redonner confiance. La question qui se pose : combien de gens en Algérie ont des actifs et des documents ? Cela peut concerner différents éléments : lieu d’habitation, fonds de commerce, depuis le vendeur de cigarettes au porteur de valises, aux activités productives, aux non-déclarations diverses de différentes d’activités de services, marchandes ou productives. Que l’on visite en Algérie toutes les wilayas, faisons un inventaire de ces actifs et rapportons cette valeur à celle que donnent les statistiques officielles, et nous aurons mesuré l’importance de cette sphère qui agit en dehors du Droit et que le produit national ne décode pas. Cela a des incidences sur la structuration spatiale des villes, sur la planification des besoins en eau, électricité et divers infrastructures, Sonelgaz et les services des eaux estimant des pertes importantes en branchements anarchiques. Aussi, loin des bureaux climatisés de nos bureaucrates, la question qu’il y a lieu de se poser est la suivante : s’il y a des actifs intellectuels, physiques en Algérie, combien de ceux-là ont un titre reconnu par l’Etat ?. Cette situation est le reflet de la structuration sociale complexe où cette sphère dite "illégale" n’est pas relativement autonome vis-à-vis des sphères bureaucratiques centrales et locales.
Les trois conclusions
Premièrement. L’intégration de la sphère informelle au sein de la sphère réelle ne peut relever d’un seul département ministériel, devant impliquer les différents départements ministériels (présidence, chefferie du gouvernement, services de sécurité, tous les départements ministériels dont les finances, la justice, l’intérieur etc.) et ce, avec la participation réelle des segments de la société civile.
Deuxièmement. La nécessité d’une symbiose entre le concret abstrait (la formalisation) et le réel, c’est-à-dire la représentation. Lorsque le droit ne fonctionne pas, rien d’autre ne fonctionne avec les risques d’autoritarisme et d’abus qui pénalisent surtout les couches les plus défavorisées. Le droit de la propriété est essentiel et l’intégration de la sphère informelle est cruciale si on veut créer un Etat de droit et une économie de marché véritable basée sur la production de richesses. Où est la crédibilité d’un Etat qui ne contrôle que 10 à 20% des activités économiques ? Il ne peut y avoir de développement durable, sans Etat de droit et de participation citoyenne devant intégrer la sphère informelle en Algérie qui implique le réaménagement des structures du pouvoir.
Troisièmement. Restaurer à l’Etat régulateur son rôle de planificateur stratégique loin du modèle centralisateur bureaucratique, (réhabilitant le management stratégique) devant penser à l’articulation Etat-marché au sein d'une économie décentralisée, l’Etat n’étant fort que par sa moralité, c’est-à-dire respectant le Droit. Cela ne signifie pas à travers les expériences historiques qu’il ne peut y avoir d’économie de marché sans Démocratie. En effet nous avons assisté à une économie de marché très forte en Amérique latine et celle du Chili, venue à travers Pinochet, à Singapour ou en Corée du Sud. Mais je ne crois pas que cette construction soit soutenable à travers le temps sans la démocratie. Car elle ne pourra durer du fait, qu’avec le temps, cette dynamique engendrera de nouvelles forces sociales, dont les couches moyennes, avec de nouvelles exigences donc plus de liberté et de participation à la gestion de la cité. Et la seule façon de se maintenir au temps d’une économie qui change continuellement, c’est d’avoir une relation avec l’environnement au sein d’une économie de plus en plus mondialisée à la recherche d’ailleurs de nouvelles formes de régulation (re-mondialisation), devant assister horizon 2020 à de profonds bouleversements géo stratégiques afin d’adapter l’Algérie aux défis nouveaux au sein d’une intégration de l’Afrique du Nord pont entre l’Europe et l’Afrique, continent de tous les enjeux. C’est-à-dire et c’est le but suprême, mettre en place progressivement les mécanismes véritablement démocratiques. Ainsi, les réformes, doivent reposer sur le principe cardinal, philosophique, la moralité de ceux qui dirigent la Cité, la régulation sans contraintes, la valorisation du savoir, richesse plus pérenne que toutes les réserves d’hydrocarbures, et la liberté d’entreprendre favorisant les producteurs de richesses en levant toutes les contraintes d’environnement. Conciliant la modernité et notre authenticité, la démocratie politique, économique, sociale et culturelle, dans sa diversité, (la tolérance et le combat contre toutes formes de xénophobie) sont solidaires tant pour le développement local que mondial.
Docteur Abderrahmane Mebtoul, expert International en management stratégique
Commentaires (1) | Réagir ?
Salutations au Dr Mebtoul et à tous. Je me retrouve dans les mêmes conclusions qu'il assène à quelqu'un qui se respecte, à un âche mêne ârafa kadrahou, que les dirigeants en place sont en contradiction avec les thèses avancées. Surtout si le Dr Mebtoul avait avançait - juste pour voir - combien d'Algériens font confiance à un Algérien. Malheureusement, il faut s'y faire. Pourquoi que le Matin dz n'ose pas une telle opération ? Chez nous, musulmans, c'est justement ce critère de la confiance qui renforce la solidarité, du principe de la Foi en un Dieu Unique. Aujourd'hui, l’idolâtrie est de rigueur. Photos et slogans divisent le peuple et la crainte de creuser encore plus le fossé est d'actualité.