Lu dans "la valise diplomatique" : M. Nicolas Sarkozy, la mémoire et l’histoire

Lu dans "la valise diplomatique" : M. Nicolas Sarkozy, la mémoire et l’histoire

L'annonce faite au déjeuner annuel du CRIF par Nicolas Sarkozy de « confier la mémoire » d’un des 11 000 enfants juifs (1) victime de la Shoah à chaque élève de CM2 suscite un vif débat en France, et jusqu'en Algérie où l'on n'a pas manqué de souligner la mémoire décidemment très sélective du président français. Dominique Vidal du Monde diplomatique a soulevé, outre le moment politique très particulier dans lequel elle intervient, quatre questions de fonds à propos de cette initiative. Les voici...

La première concerne la classe choisie. Les réactions de leurs syndicats et associations le confirment : la plupart des enseignants et des psychologues estiment que les écoliers de CM2, à dix ou onze ans, sont beaucoup trop jeunes pour porter affectivement et comprendre intellectuellement le destin d’un enfant disparu dans les camps de la mort nazis. Il serait à la fois plus éthique (pour éviter tout reproche de manipulation) et plus efficace (pour garantir une pédagogie sérieuse) d’attendre que les jeunes soient plus avancés dans leur scolarité.

La deuxième question porte sur le rapport entre émotion et raison. L’expérience montre que la transmission de la mémoire des pages les plus noires de l’humanité ne peut s’effectuer sur le seul terrain des sentiments : elle suppose qu’on en appelle à la réflexion sur les leçons conjoncturelles et universelles des événements. Comme l’écrivait Jean Baudrillard, « la commémoration s’oppose à la mémoire : elle se fait en temps réel et, du coup, l’événement devient de moins en moins réel et historique, de plus en plus irréel et mythique... (2) » Bref, sans le « travail de mémoire », le « devoir de mémoire » se transforme en routine inutile, voire contre-productive.

D’autant qu’une troisième question surgit : de quelle(s) mémoire(s) est-il question ? Si le judéocide — annoncé à l’avance et systématiquement mis en œuvre avec tous les moyens d’un Etat moderne — constitue un génocide sans précédent, il s’inscrit dans la longue chaîne des horreurs de l’histoire de l’humanité, dont bon nombre furent d’ailleurs commises, autrefois, au nom de la religion : comme l’a écrit Paul Ricœur, « les victimes d’Auschwitz sont, par excellence, les délégués auprès de notre mémoire de toutes les victimes de l’histoire (3) ». Travailler l’histoire du génocide juif en l’isolant de celle des autres, c’est — même involontairement — attiser la concurrence des mémoires au lieu de promouvoir leur nécessaire convergence. Ce qui est particulièrement important dans un pays comme le nôtre, où se côtoient des enfants de peuples victimes de tant de génocides et de grands massacres, y compris ceux perpétrés par la France coloniale.

Quatrième question : revient-il au chef de l’Etat, qui plus est à l’occasion d’une manifestation communautaire, de décider ce que doit faire l’Education nationale en matière historique ? Comme l’écrivaient en décembre 2005 les signataires du manifeste « Liberté pour l’histoire (4) » : « L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui. L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas. L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. »

Dominique Vidal in
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-02-15-M-Nicolas-Sarkozy-la-memoire-et-l

(1) M. Nicolas Sarkozy a fait erreur en parlant de 11 000 enfants juifs français : ils étaient en majorité étrangers.

(2) Libération, 17 février 2005.

(3) Paul Ricœur, Temps et récit. III. Le Temps raconté, Seuil, Paris, 1985.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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wahab benidir

Mme Simone VEIL a déjà répondu négativement au président français. A cette occasion, je veux juste mettre en relief la puissance du CRIF : elle est de loin supérieure à celle d'un Etat, et en ce qui concerne notre pays et le fait colonial, il a toujours été dit qu'en matière de poids et de mesure, la France en général, et SARKOZI en particulier usent et abusent de ce concept comme bon leur semble, du fait que les dirigeants DZ (du moins actuels) ne rivaliseront en rien avec la puissance des lobbies présents en France ; et surtout le lobby juif, pro-sioniste à souhait. Donc le repentance à l'égard de notre pays attendra des siècles pour finir dans les oubliettes de l'histoire.