Mohammed Dib, pivot des cultures et civilisations
Que peut-on voir en parcourant l’œuvre de l’écrivain Mohammed Dib ? Une culture qui ne porte aucune fracture, aucune haine. Une culture qui incite tous les peuples de la terre à se défaire de leurs préjugés et a reconstruire un monde meilleur.
Contrairement à ses contemporains, l’auteur de la trilogie La grande maison, L’incendie et Le métier à tisser n’éprouvait aucune gène à s’exprimer dans une autre langue que la sienne. Au regard de son itinéraire, il semble que la langue que l’on parle n’est qu’un moyen d’expression pour faire connaître les malheurs et les joies de l’humanité. Autrement dit, l’écriture n’est qu’un art mineur qui ne peut à lui seul composer ou traduire l’identité de l’homme avec toutes ses ramifications. "Je me suis construit avec la langue française, mais j’ai toujours été l’écrivain des peuples", s’est-il défini devant ses proches.
Né en 1920 à Tlemcen, cet ancien instituteur qui s’est reconverti au journalisme, est peut-être le seul écrivain algérien d’expression française à n’avoir pas été séduit par le modèle de la société française pour décrire sans ambages les malheurs de son peuple. La libre pensée et la liberté de création peuvent s’épanouir sans la moindre transposition, sans chercher à se faire reconnaître dans l’autre, même lorsque cet autre a le monopole du savoir et de la science.
L’une des constantes de l’œuvre de Mohammed Dib est son ancrage dans l’Algérie profonde dont il a su porter les attentes. Déjouant les pièges d’un "plagiat inconscient", il fit de l’aspiration de son peuple d’accéder à la liberté sa priorité en donnant à ses thèmes une dimension universelle. Une dimension dans laquelle, du reste, chaque être humain peut se reconnaître.
Son mode d’écriture exaspère et fascine, mais surtout irrite la colonisation qui l’obligea à l’exil. Au cours de sa longue "traversée", il s’est éloigné des querelles idéologiques qui souvent ne reposent sur aucun fait scientifique pour s’investir dans la mission de rapprocher les cultures et les civilisations les unes des autres pour le bien-être de l’humanité. A la manière d’un scientifique du siècle des lumières, il a tout donné à la littérature algérienne d’expression française sans rien céder de sa propre identité. Ni Occidental ni Européen, Mohammed Dib a traduit l’Algérie sans travestir ses valeurs, ses croyances et ses traditions.
Il mourut en 2003 sans qu’aucune fois de son existence il se mêlât aux discours de complaisance, aux logiques des nombrilismes dégradants qui exigent à ce jour des comptes sur notre identité et sur notre culture ou sont venues se fondre plusieurs civilisations.
De son enfance, il a construit avec intelligence sa valeur morale qui lui a permis de tirer des récits d’une rare authenticité sur les drames d’une société qui a refusé de céder aux caprices de l’asservissement. Qui de nous n’a pas été marqué par L’incendie où il décrit avec tendresse les rêves d’une société face aux croyances desséchées de la colonisation ? La disposition naturelle qu’il avait pour comprendre les faiblesses et les erreurs de l’humanité, a certainement fait de lui au côté de Kateb Yacine l’un des auteurs les plus accomplis de notre époque.
Dans son parcours, il a refusé de devenir le complice des nationalismes à la vision étriquée et des dogmatismes sans lendemains. Il s’est contenté d’accomplir son devoir d’intellectuel sans creuser dans l’abîme qui sépare les cultures. Il croyait fermement que l’avenir appartenait à la paix, au savoir et à la science.
En dépit de ses valeurs universelles qui ont guidé toute son œuvre, Mohammed Dib sera contraint à l’exil et confronté à l’injure d’un régime dépourvu de raison et d’intelligence. Au crépuscule de sa vie, alors que l’Algérie est secouée à nouveau par les spasmes d’une violence sans précédent, dans des correspondances intimes, il fera savoir à ses proches sa douleur et son désir de revenir au pays. Mais la folie bureaucratique et les préjugés d’un système sclérosé l’empêcheront de réaliser son rêve de revenir au pays. Il s’éteindra dans la solitude de l’exil en rédigeant le testament d’être enterré loin d’un pays auquel il a tout donné. Les autorités algériennes lui ont refusé le poste de directeur de la maison de la culture à Tizi-Ouzou sous prétexte qu’il n’avait pas de diplôme requis pour cette fonction. Des autorités qui ont géré le destin d’une nation avec une attestation d’ancien moudjahid dont il est difficile de prouver l’authenticité
Saïd Radjef
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merci
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