Le nouveau gouvernement : du "clan présidentiel" à une équipe aplatie ?
Le nouveau gouvernement installé hier par Abdelaziz Bouteflika confirme-t-il la "purge" progressive du "clan présidentiel" vers une équipe de technocrates? Les prolongations d'Ahmed Ouyahia, après les législatives, ont-elles servi à ce passage entre le clanisme de Bouteflika et la venue d'un gouvernement sans couleurs idéologiques prononcées ?
Qualifié de police politique, ce triumvirat Zerhouni-Belkhadem-Khelil auquel il faut sans doute ajouter Temmar a constitué l’assise politique sur laquelle Bouteflika a pu régner en maître jusque-là, avec des rôles bien définis : Yazid Zerhouni a verrouillé le champ politique, mené une cabale sans précédent dans l’histoire des annales de la presse indépendante par l’intermédiaire de sa police politique, des complots ourdis contre le mouvement citoyen des aârouch, le maillage des administrations locales mises au pas pour les différentes mandatures de Bouteflika. A travers Chakib Khelil qui a été l’artisan de la prédation dans le secteur stratégique des hydrocarbures, Bouteflika a pu s'accaparer Sonatrach et en faire son bien privé. C’est dans une série de scandales à peine voilés qu’il quitte le gouvernement dans le bruit et la fureur. Abdelaziz Belkhadem, on s’en souvient, en 2004, part en guerre contre les "redresseurs" du FLN réunis autour de l’ex-chef de gouvernement, Ali Benflis, candidat malheureux aux présidentielles de 2004. Il sauve de la "casse" un FLN qui mettra longtemps à retrouver une fragile réunification jusqu’à ces élections législatives du 10 mai dans lesquelles il revient en force au moment où, à ses dépens, le chef de l’Etat, de plus en plus absent de la vie politique, semble ne plus en avoir besoin comme en 1999 et en 2004, un FLN qui était pour lui juste une devanture partisane pour actionner à tout moment son clan, cette troïka de la terreur, de Zerhouni qui avait à l’œil le trop gourmand Belkhadem, alors Premier ministre triomphant de Bouteflika avant d’être évincé et finir comme conseiller particulier à la Présidence.
La pure logique des résultats des législatives du 10 mai aurait voulu que ce soit le retour d’Abdelaziz Belkhadem aux commandes de ce nouveau gouvernement au lieu d’Abdelmalek Sellal resté quelque peu en retrait des récentes turbulences de son parti, le FLN. Mais, en raison sans doute de ses manifestations islamo-conservatrices, n’ayant pas hésité, dans un passé récent à revendiquer le retour du FIS sur la scène politique nationale, s’affichant aussi dans des tenues ostentatoires à la mode mecquoise, Belkhadem serait ainsi devenu encombrant par ses réclames idéologiques pour un Bouteflika qui, dans le contexte des "Révolutions arabes" déjà trop risquées pour son règne, penchait de plus en plus vers un entourage de technocrates à l’image d’un Ahmed Ouyahia laissé sans doute en activité après les résultats des législatives pour servir de pont à la nomination d’un nouveau gouvernement qui, bien qu’issu du FLN, affiche plutôt un profil de technocrates ou d’anciens carriéristes qui sortent de l’ombre, comme c’est le cas du nouveau ministre de la communication, Mohand Oussaid Belaïd, ancien journaliste. Même les recyclés, comme Abdelaziz Ziari au poste du ministère de la santé, Abdelaziz Ziari, en remplacement de Djamel Ould Abbès, ou encore Souad Bendjaballah, Ministre de la Solidarité Nationale et de la Famille, précédemment ministre déléguée chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, expriment-ils la volonté de libérer de l’étouffement idéologique ces Ministères et bien d’autres encore?
Les départs antérieurs de ceux qui constituaient l’œil omniscient de Bouteflika et qui lui ont permis de régenter un système politico-financier sans frontières confèrent-ils au nouveau Premier ministre et à son gouvernement qui vient d’être constitué par le chef de l’Etat cette tendance à une désidéologisation d’un gouvernement incolore et inodore. Force est de constater qu’il n’est pas le résultat du scrutin législatif auquel cas il aurait été le produit d’une koïnè de partis politiques, à commencer par le FFS qui s’attendait à une récompense, lui qui en a payé les frais au point d’encaisser les coups de ses cadres et militants de base. Non "multipartiste", ce nouveau gouvernement est-il donc à ce point le processus d’une décantation savamment calculée par l’éviction progressive du "clan présidentiel" vers, carrément, un anti-clanisme géographique, partisan ou idéologique au grand désespoir d’un Bouguerra Soltani du MSP et de l’alliance verte dans son ensemble.
En plus clair, la formation d’un tel gouvernement qui prend à contrepied les partis politiques, à leur tête, le FLN et le RND, traduit-il les signes avant-coureurs d’une fin de règne de Bouteflika. Peu sûr, car avec un tel gouvernement plus malléable que ne l’étaient les précédents sous Zerhouni, Belkhadem et Ouyahia, Bouteflika pourra tricoter à sa guise la révision prochaine de la Constitution, tâche "ménagère" que n’a pas manqué d’évoquer le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, dès sa prise de fonction. Subsistent quelques caciques, débris de l’ère unanimiste de Zerhouni, à l’image de Daho Ould Kablia, qui garde son poste de ministre de l’Intérieur et des collectivités locales et un Mourad Medelci au poste de ministre des Affaires étrangères qui pourrait être démissionnaire suite aux nombreux ratés dans la gestion de l’affaire des fonctionnaires consulaires algériens, otages du Mujao, suite à ses déclarations contradictoires sur l’assassinat du vice-consul Tahar Touati.
Par ailleurs, un tel gouvernement, politiquement "aplati" aura-t-il le tonus nécessaire pour affronter la grogne sociale, redresser, comme l’affirme le nouveau Premier ministre, une économie délabrée ou se contenter de préparer en douce, un départ honorable d’Abdelaziz Bouteflika d’ici 2014, si d’ici là, ce gouvernement aura résisté à un champ politique des plus imprévisibles et aux nombreuses protestas citoyennes qui ne comptent pas se laisser charmer par de simples effets de «remaniements» dans le dernier quart d’heure d’un système agonisant. Mais, qui sait ?
N.R.
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Entretien imaginaire avec Abdelaziz Bouteflika
Madih: Bonjours M. le président. Tout le monde s’inquiète de votre état de santé et de votre silence sur des événements que d’aucun qualifierait de graves. Que répondez-vous à toutes ces supputations et autres informations insolites rapportées par la presse algérienne?
Bouteflika: Je laisse durer le suspense parce que les appétits des Algériens sont voraces. J’aime bien les observer dans tous leurs instincts d’animaux bipèdes affamés pour mieux les orienter, telles des girouettes, au gré du vent que je crée. A part ma défunte mère, Allah yarhemha, et mes frères de sang, personne d’autre ne s’inquiète vraiment de l’état de ma santé. Tout le monde souhaite me voir crever pour me succéder et je ne me gênerai donc aucunement pour prendre moi aussi mon pied avant ma mort. De toute façon, au point où j’en suis, je n’en ai vraiment rien à perdre.
M: Et pour la nomination du nouveau gouvernement, pourquoi attendre presque quatre mois pour le former?
Bouteflika: Pour mieux soumettre les candidats à ma seule volonté. Tout le monde se propose pour être investi ministre. Il y en a de toutes les tendances et obédiences. C’est pour vous dire que mis devant leurs intérêts et ceux de leurs familles, leurs principes politiques respectifs ne compte pas. J’ai également pris tout mon temps pour offrir à mon frère Ait Ahmed, que j’ai rencontré pendant mon dernier séjour à la résidence de notre ambassade en Suisse, une chance pour réintégrer notre famille révolutionnaire. Mais, il est resté très prudent. Je le comprends. Si j’avais été à sa place, j’aurais probablement réagi de la même façon. Le pauvre, il me fait pitié. Il ne mérite pas ce qui lui est arrivé!
M: Mais vous avez fait, cette fois-ci, un pas géants en éliminant du gouvernement quasiment tous vos proches de Tlemcen. Peut-on en déduire que vous êtes devenu véritablement le président de tous les Algériens?
Bouteflika: En Algérie, on ne peut jamais être le président de tous les Algériens. Vous me voyez, moi, par exemple, comme président des Kabyles? Jamais! On est le président d’un clan que l’on sert avant de passer les consignes à l’autre. Je n’ai pas voulu d’eux comme nouveaux ministres parce qu’ils sont déjà trop riches. C’est pour leur offrir une chance de se faire oublier par les misérables. Ils se sont excessivement trop servi et maintenant, il est temps qu’ils rentrent chez eux pendant que je suis toujours vivant sur mon trône. Je peux les protéger comme je l’ai fait avec mon ami d’enfance Chakib. Après, ce sera trop tard. Je permets donc à d’autres de se servir également pour créer un équilibre de corruption régionale, seul à même d’amnistier tout le monde demain.
M: Et pour Ouyahia, pourquoi l’avoir changé par Sellal?
Bouteflika: Parce que Sellal est un bon blagueur. Il sait me faire rire dans les moments difficiles. Il est docile et je peux vous garantir qu’il n’a aucune ambition politique. Il va m’obéir et ne me contrariera jamais. C’est vrai que le peuple ne m’aime pas trop mais, Ouyahia c’est encore pire que moi. Le seul qui l’aime vraiment, celui-là, est mon ennemi intime Mediène. Et comme le printemps arabe est en vogue, ce n’est pas avec lui que l’on a une chance de conjurer toute explosion insurrectionnelle. Je souhaite juste une mort tranquille qui coïncidera avec l’inauguration de ma mosquée de la baie d’Alger. Après, c’est la fin du monde.
Je crois que le Président arrivera toujours à surprendre son monde. Redoutable, un vrai joueur d'échecs ! Peut-être qu'il finira par rallier une certaine majorité, jusque là déçue, à de futures décisions pour de véritables changements ! Espérons le !