Inflation, chômage et rigueur budgétaire : Contradictions au sommet de l’Etat

Au lieu du tout hydrocarbures, l'Algérie doit chercher un autre modèle économique avant qu'il ne soit trop tard.
Au lieu du tout hydrocarbures, l'Algérie doit chercher un autre modèle économique avant qu'il ne soit trop tard.

Il existe une véritable cacophonie en matière de politique socioéconomique avec des déclarations des responsables contradictoires à intervalles réguliers désarçonnant les observateurs les plus avertis mais donnant une image de non gouvernance au niveau tant national qu’international. La télévision et la radio algérienne, la presse algérienne publique et privée reprenant au jour le jour les communiqués officiels en sont le témoignage vivant.

Je mettrai en relief trois déclarations récentes relatives à l’inflation, le taux de chômage et la rigueur budgétaire qui ont un impact sur la vie des citoyens et engagent l’avenir de l’Algérie.

Des discours contradictoires sur l’inflation

La dernière enquête de l’ONS, de juillet 2012 témoigne d’une accélération du processus inflationniste en Algérie risquant de s’amplifier en 2013 avec des incidences sur le pouvoir d’achat des Algériens ayant surtout un revenu fixe. Les prix à la consommation ont augmenté de 8,7% au mois de juin 2012 par rapport à la même période de l’année écoulée, situant le rythme d’inflation en glissement annuel en Algérie à 7,3% contre 6,9% en mai dernier selon l’Office national des statistiques (ONS). L’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de 8,67% en juin 2012 par rapport à la même période de l’année 2011. En date du 29 août 2012 le gouverneur de la Banque d’Algérie, déclare, je le cite : "L’accélération de l’inflation au premier semestre 2012 est due en grande partie à des facteurs internes, notamment aux dysfonctionnements des marchés, aux positions dominantes et à la spéculation, et non pas à l’expansion de la masse monétaire".

Or, 60 jours avant le rapport de la Banque d’Algérie pour le premier semestre 2011, je le cite : "Le processus inflationniste s’explique pour 63% de l’inflation due à l’expansion monétaire, l’inflation importée pour 21% ce, en dépit des mesures de régulation prises par les pouvoirs publics, notamment l’exonération de la TVA et les mouvements du taux de change effectif nominal pour 7%." S’agissant d’un problème aussi complexe que celui de l’inflation, il me semble utile de préciser que ces phénomènes doivent tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle ils sont appliqués, les aspects de structures de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, aux schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, d’influences socioculturelles et aux composantes des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national. Concernant l’indice global de l’inflation, il doit être régulièrement réactualisé car le besoin est historiquement daté, les besoins évoluant. Le taux d’inflation officiel est biaisé, étant comprimé artificiellement par les subventions sinon il dépasserait les 13/14%. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales.

Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. Certes, le SNMG a plus que doublé en passant de 6.000 à 20.000 dinars, (200 euros au cours officiel, environ 150 euros par mois au cours du marché parallèle) la dernière augmentation ayant lieu en septembre 2011, mais devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat. Aussi, une interrogation s’impose : comment est-ce qu’un Algérien, qui vit au SNMG, (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait face aux dépenses incontournables : alimentation, transport, santé, éducation. La cellule familiale, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, même charges) et les transferts sociaux qui atteindront plus de 1.200 milliards de DA en 2011, soit 18% du budget général de l'Etat et plus de 10% du PIB, les subventions qui compressent artificiellement le taux d’inflation réel, sinon il serait supérieur à 10-15% jouent temporairement comme tampon social.

Des discours contradictoires sur le taux de chômage

La population était de 35,6 millions d’habitants au 1er janvier 2010 et l’Office des statistiques ((ONS) l’estime à 36,3 millions d’habitants au 1er janvier 2011 et 37,1 au 1er janvier 2012. La population active dépasse les dix millions en 2012 et la demande d’emplois additionnelle varierait entre 300.000 à 400.000 personnes par an, nombre d’ailleurs sous-estimé puisque le calcul de l’ONS applique un taux largement inférieur pour les taux d’activité à la population féminine, représentant pourtant la moitié de la population active et dont la scolarisation est en forte hausse. Pour le ministère du Travail, le taux de chômage est en nette régression ayant annoncé officiellement 11% en 2010, environ 10% en 2011 et l’estimant à 9% pour 2012. Le 1er septembre 2012, l'ONS annonce que la population en sous-emploi par rapport au temps de travail est estimée en Algérie à 1 718 000 occupés en 2011, soit un taux de sous-emploi de 17,9%, Cette déduction résulte d’une enquête réalisée auprès 20 314 ménages établis sur le territoire national et ce, de la période d’octobre à novembre 2011 et le sous emploi lié au temps de travail étant défini comme l’effectif des personnes occupées qui effectuent un nombre d’heures de travail insuffisant par rapport au nombre d’heures. Cela inclut les sureffectifs dans els entreprises publiques, les administrations et les emplois temporaires de moins de 6 mois souvent improductifs (faire et refaire des trottoirs), avec la prédominance des emplois rentes, qui sont comptabilisés pour 8 heures de travail plein ce qui donnerait un taux largement supérieur à 20%. Cette enquête dénote un échec flagrant de la politique de l’emploi menée actuellement. Le dépérissement du tissu industriel représentant moins de 5% dans le PIB trouvent son explication surtout dans les contraintes d’environnement qui touchent tant les entreprises algériennes qu’étrangères souvent mis en relief dans les rapports internationaux de 2008/2011. L’entrave aux affaires en Algérie est due surtout à l'accès aux financements, la bureaucratie d’Etat, la corruption, l'inadéquation de la main-d'œuvre formée, la politique du travail considérée comme restrictive ainsi que le système fiscal et l’environnement dont la qualité de la vie. Combinée à l’instabilité juridique et à cet environnement des affaires contraignant dont la bureaucratie qui freine l’investissement à plu de 50%, renvoyant au mode de gouvernance, il en écoule que le bilan de l’investissement, en dehors des hydrocarbures et le commerce tant local qu’étranger est mitigé surtout pour l’investissement productif Cette enquête récente corrobore celle de l’ONS publiée officiellement le 10 août 2012 qui montre clairement que le tissu économique national est fortement dominé par les micros unités dont les personnes physiques à 95% (888.794) alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%, soit 45.456 entités. L’enquête met en relief la prédominance du secteur commercial avec 511.700 entités, soit près de 55% de l’ensemble, dont 84% de l’activité est concentrée dans le commerce de détail, le reste est partagé entre le commerce de gros et celui de l’automobile et des motocycles.

Le secteur des services (dont transport 18,8% et restauration 14,5%) avec 317.988 représente 34% de l’ensemble des entités économiques du pays. Donc secteur commercial et services concentrent 83% des activités de l’économie algérienne en 2010, 829.688 entités économiques activant dans le secteur tertiaire, soit 89% du total, ce qui dénote clairement le caractère tertiaire de l’économie. Comme il y a lieu de tenir compte de la sphère informelle. Selon l’ONS, 50% de la population active est dans la sphère informelle à dominance marchande,contrôlant 40% de la masse monétaire en circulation, plus de 65% du marché biens de consommation : fruits et légumes, poisson, viande rouge et blanche et textile/cuir pour ce dernier segment à travers des importations souvent sans contrôle Cela n’est pas le produit du hasard mais traduit le manque de confiance vis-à-vis de l’Etat et la faiblesse de l’Etat de droit ayant d’importantes incidences politiques sur la démobilisation citoyenne.. Lorsqu’un Etat veut imposer à une société des règles qui ne correspondent pas à l’état de la société, cette dernière enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner, les relations étant établies sur un registre de confiance entre les co- contractants. Comme on ne saurait isoler les relations dialectiques entre la sphère régie par le droit de l’Etat et la sphère informelle qui a ses propres codes, existant en Algérie des liens diffus entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle. Cela favorise la dépréciation du dinar et l’évasion fiscale. En réalité toutes ces enquêtes ne sont que la face apparente d’un iceberg dont la partie cachée, est plus large. Malgré le pré- programme 1999/2003 (7 milliards de dollars US), le programme 2004/2009, dont le montant clôturé à 200 milliards de dollars US fin 2009, (aucun bilan à ce jour) et le nouveau programme 2010/2014 de 286 milliards de dollars dont 130 sont des restes à réaliser du programme 2004/2009 les résultats sont mitigés. Le taux de croissance moyen entre 200/2011 n’a pas dépassé 3% essentiellement tiré par la dépense publique via les hydrocarbures, 98% d’exportation provenant des hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des besoins des entreprises publiques et privées. Comme le taux d’emploi est fonction dut aux de croissance, le taux de chômage officiel est un taux artificiel que voile la rente des hydrocarbures où nous assistons à une redistribution passive de revenus pour une paix sociale éphémère. Et ce malgré des réserves de change grâce aux hydrocarbures qui clôtureront à 200 milliards de dollars fin décembre 2012, richesse virtuelle, dont 90% sont placées à l’étranger. L’Algérie selon les experts un récent rapport international dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultat par rapport aux pays similaire. Face à ce dépérissement du tissu productif trois années de report du dégrèvement tarifaire horizon 2020 suffiront-elles à hisser les entreprises algériennes au niveau de la concurrence internationale, cela étant encore plus contraignant si l’Algérie adhère à l’OMC ? Rien n’est moins évident sans de profondes réformes structurelles.

Des discours contradictoires sur la rigueur budgétaire

La troisième déclaration est celle du ministre des Finances contredisant le gouverneur de la banque d’Algérie et le président du conseil économique et social. qui reprenant mes analyses parues il ya de cela plus de deux années dans la presse locale et internationale (voir à ce sujet le dernier numéro de la revue mensuelle du monde arabe - Arabies août-septembre 2012 - dossier Algérie), après avoir dit le contraire courant 2010, annonçaient officiellement que l’Algérie ne pouvait continuer à dépenser sans compter sur la base de 70 dollars le baril pour le budget de fonctionnement et 40-45 dollars pour le budget d’équipement sans le risque de conduire le pays à la dérive à terme et à une hyperinflation en cas d’un fléchissement durable du cours des hydrocarbures. Je cite le ministre en date du 31 août 2012 : "Le gouvernement ne prévoit pas de cure d’austérité ou de rigueur budgétaire pour l’exercice 2013". Ainsi, dans un contexte de ralentissement économique, mondial, à travers la loi de finances 2012, l’Algérie maintient son programme d’investissement public massif cependant avec un important déficit budgétaire pour les années 2011/2012. Pour 2011, le déficit budgétaire a été d’environ 63 milliards de dollars au cours de l’époque soit 33,9% du PIB. Pour la loi de finances 2012, sur la base d’un taux de change de 75 dinars le dollar, retenu par le projet de loi, cela donne un déficit d’environ 25% du produit intérieur brut. Mais ce léger recul du déficit budgétaire s’explique par le fait que le budget de l’équipement enregistre un recul de 32% par rapport à 2011.

Mais quelle est la réalité du déficit budgétaire entre 2011/2012 ? Pour un calcul transparent du budget, il serait souhaitable à la fois de préciser les mécanismes de cotation du dinar par rapport notamment au cours du dollar et de l’euro et de supprimer le Fonds de régulation afin de calculer le budget selon le cours moyen du marché et de placer éventuellement la différence au niveau d’un fonds de stabilisation pour les générations futures. En effet, tout dérapage rampant du dinar par rapport au dollar, les ventes d‘hydrocarbures étant reconverties du dollar en dinars, gonfle artificiellement le fonds des recettes et voile l’importance du déficit budgétaire. Si on suppose une appréciation du dinar de 50% par rapport au dollar, le déficit budgétaire dépasserait largement 50/60% du produit intérieur brut. Cet artifice d’écritures explique que souvent la Banque d’Algérie dévalue simultanément le dinar à la fois par rapport au dollar et à l’euro, ce dernier renchérissant les importations des produits également écoulés sur le marché national en dinars auquel la valeur finale, sans compter les couts des circuits de distribution, est amplifié par les taxes douanières calculés sur la valeur import en dinars.

Quelle gouvernance face à cette cacophonie ?

L’économie algérienne est sous perfusion de la rente des hydrocarbures, les lois et la création d’institutions bureaucratiques inefficientes, étant contredites par les pratiques sociales quotidiennes que vit dramatiquement la majorité la population algérienne. Les erreurs de management quotidien sont couvertes grâce au transfert financier qui transite par le système financier et qui irrigue tout le système via la rente des hydrocarbures. Selon le ministre des Finances, déclaration du 20 janvier 2012, la cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) a reçu 11 déclarations de soupçons en 2005, 36 en 2006, 66 en 2007, 135 en 2008 et 328 en 2009 avant que ces déclarations ne s'élèvent à 3 302 en 2010 et 1 398 en 2011.Le constat est unanime pour les experts : il n’y a pas de proportionnalité entre les impacts économiques et les dépenses monétaires assistant à la déconnexion de la sphère financière, les réserves de change allant vers 200 milliards de dollars fin 2012, richesse virtuelle provenant de la rente, par rapport à la sphère réelle. Or, la vraie richesse ne peut apparaitre que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement.

D’une manière générale l’on peut établir une règle de l’évolution des réformes de l'Algérie durant ces trois dernières décennies plus les cours des hydrocarbures sont élevés plus les réformes structurelles qui forcément déplacent des segments de pouvoir, les gagnants d’aujourd‘hui ne sont pas forcément ceux de demain, sont freinés par le poids des couches rentières. Force est de reconnaître que l’Algérie en cette année 2012 est en plein syndrome hollandais. Or, l’Algérie ne saurait vivre dans une ile déserte étant concernée par l’actuelle crise mondiale et a besoin d’une planification stratégique qui colle aux nouvelles mutations mondiales. Ces mutations conditionnent un développement durable hors hydrocarbures sachant que l’Algérie ayant actuellement 37 millions d’habitants en 2012 sera dans 30 ans (50 millions) sans hydrocarbures – entendu en termes de rentabilité financière posant la problématique de la transition d’une économie de rente à une économie productive rentrant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. Il existe un lien dialectique entre développement et démocratie tenant compte des anthropologies culturelles supposant de profonds réaménagements des structures du pouvoir algérien. Et comme fondement la moralité de ceux qui dirigent la Cité, si l’on veut éviter ce cycle de la décadence, cette société anomique déjà mis en relief par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun.

Pr Abderrahmane Mebtoul, expert international

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Commentaires (4) | Réagir ?

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kamel ait issi

Voici une histoire d'humiliation budgetaire - Un Americain d'origine algerienne, qui recoit son brevet d'inventeur, cree son entrprise et s'en va donc chercher des investisseurs - C'est la qu'il se retrouve au Texas, pour donner donc une presentation sur sa technology et le boom qu'elle va produire. Parmis toutes les questions qu'ils recoit, une sur ses origines - d'algerie repond-il - Et le bonhomme, lui demandais s'il avait essaye' de trouver des investisseurs en algerie? Et notre confrere lui repond que des 100s de milliards de dollars algeriens etait au texas, et que c'etait pour cela qu'il s'y rendait !

ca dit tout... sur cette algerie et la gestion de ses ressources par des incompetants malhonnete!

Heureusement la faillite - seule chose pour ce peuple de recommencer a zéro !

Ca commencera je suppose par des marches et sit-ins pour des pioches plutot que des patates !

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Mohand ait mohand

Eh ben voila encore un autre qui nous parle d’économie en Algérie et il se dit professeur et parle de banquiers u lieu de Pr il aurait pu mettre Rv comme rêveur ou Rg comme rigolo je ne sais quoi d autre

Mais monsieur il n y a pas d économie en Algérie : c est un système artificiel qui respire le mazoute

et vous parlez de statistique de ces banquiers lala a croire Wall street ! mais que du bidon c est basé sur rien et meme le nombre de bidons de mazoutes vendu n est pas correcte.

ferait mieux de nous dire pourquoi le travail des Algériens n'a pas de valeur, ?

comment faire pour mieux manger, mieux se soigner, mieux se loger, mieux se déplacer, mieux s habiller, mieux s instruire, .....

c est désolant, quand je vous lis je me dis en faite ce qui nous gouverne (je ne sais qui les militaires, Ouyahia quelque chose comme ca enfin) ne sont pas de mauvaise volonté, mais d incompétence simplement

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