Yadh Ben Achour : si ça continue, même le bon Dieu ne voudra pas de la Tunisie
Dans une contribution au journal La Presse, le Pr Yadh Ben Achour, pousse un cri de colère contre le détournement du cours de la Révolution du Jasmin par les islamistes.
L'ex-président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), l’un des architectes de la première phase transitoire et des élections du 23 octobre 2011, a indiqué que, depuis l’accession du parti islamiste Ennahda au pouvoir, "la religion a investi massivement le champ du débat social et politique". Conséquence: les Tunisiens risquent "de perdre l’un des acquis les plus chers de la révolution: la liberté d’expression". Extraits de cette contribution…
Depuis les premières réunions de l’Assemblée constituante, il ne se passe plus un seul jour sans que l’on soit assailli par les évènements ou les thématiques religieuses. Un jour ce sont les propos de certains constituants revendiquant l’application des peines coraniques, comme l’amputation ou la crucifixion, un autre jour ce sont les munaqibat qui investissent La Manouba, un autre jour encore les agressions terroristes indûment appelées salafistes contre les artistes, les intellectuels, dont l’affaire de la Abdellia représente le point culminant, puis des disputes parfois violentes au sein des mosquées, le lendemain des proclamations fracassantes et des appels au meurtre de la part d’un certain nombre d’imams-voyous, le surlendemain des violences à l’égard d’un groupe chiite, la veille, un procès inique contre de jeunes caricaturistes, l’avant-veille, un procès moyenâgeux contre la diffusion de ‘‘Persépolis’’, sans compter les débats incessants autour de la charia, de l’adoption, du Code du statut personnel, de la polygamie, du niqab, et des muqaddassat.
La religion a investi massivement le champ du débat social et politique, à tel point qu’on commence à en avoir une sorte d’indigestion. Il n’y a plus que cela, et les véritables problèmes du pays sont laissés de côté ou remis aux calendes grecques. Et, contrairement à ce que l’on dit, la religion n’est pas en train de gagner des adeptes, au contraire, elle est en train d’en perdre. Un certain nombre de croyants qui allaient pacifiquement faire leurs prières à la mosquée n’y vont plus, tellement ce lieu est devenu, non pas comme il devrait l’être, à savoir le symbole de la douceur, de la sérénité et de la contemplation, mais l’expression du militantisme politique le plus virulent, de la violence, de la haine, et de la laideur.
Tout ce que le parti au pouvoir a réussi à faire, c’est de transformer notre religion en une véritable maladie sociale. Les Tunisiens ont vécu la religion comme un élément de libération, de cohésion sociale, de spiritualité. Ils la vivent aujourd’hui comme un cancer qui dévore le corps social tout entier et qui risque de le jeter dans le sous-développement et la régression généralisée.
Si cela continue, la Tunisie ne sera pas simplement déclassée par les agences de notation, le bon Dieu lui-même n’en voudra plus.
C’est dans ce contexte que, à propos des débats sur le projet de Constitution organisés par l’Association tunisienne de droit constitutionnel, j’ai effectivement affirmé que ce projet nous préparait une dictature théocratique et qu’il allait sanctionner la mort de la liberté d’expression que nous avons acquise grâce à la révolution. Les commissions constitutionnelles qui travaillent malheureusement sans aucune méthode, sans aucune véritable expertise, dans la dispersion, ont produit un projet qui est bien plus qu’un brouillon. Ils ne se sont pas contentés de la référence aux ‘‘nobles valeurs de l’islam’’ dans le préambule, ni de l’article premier de la Constitution sur lequel tout le monde est pratiquement d’accord. Ils se sont permis à deux reprises, dans deux articles différents de leur brouillon, d’insister lourdement pour rappeler que l’État est le protecteur de la religion et en particulier des "valeurs sacrées", ce qui ouvre la voie à tous les risques possibles, en ajoutant, dans un autre article inclus dans le chapitre sur les droits et libertés fondamentaux, que l’État garantit la liberté de croyance et d’exercice des cultes et "criminalise toute atteinte aux valeurs sacrées".
Exemple : un bar de Sidi Bouzid attaqué par des salafistes
Un groupe de militants, apparemment des salafistes, ont attaqué lundi le bar d'un hôtel à Sidi Bouzid, dans le centre-ouest de la Tunisie, chassant des clients et détruisant son stock d'alcools, a appris l'AFP auprès de témoins. Des clients et employés de l'hôtel ont raconté qu'une cinquantaine d'assaillants avaient fait irruption dans l'hôtel Horchani, situé dans le centre-ville, chassant les clients du bar de l'établissement avant de fracasser des quantités de bouteilles d'alcool et de bière dans le hall.
Les hommes, qui portaient tous la barbe, ont ensuite saccagé la réception et les chambres à l'étage de l'hôtel, le dernier à servir de l'alcool à Sidi Bouzid. Certains ont agi aux cris de "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand), "al-Charab haram" (l'alcool est pêché), tandis que d'autres insultaient le propriétaire qui "n'a pas tenu compte des avertissements qui lui avaient été communiqués".
Un jeune homme qui a tenté de filmer la scène a été repéré, frappé et emmené par le groupe dans un lieu inconnu, alors que des habitants indignés se sont rassemblés sur les lieux. La police est arrivée tardivement pour constater les dégâts et a ensuite convoqué le propriétaire de l'hôtel absent au moment de l'attaque, qui a eu lieu à la mi-journée.
Sidi Bouzid, ville berceau de la révolution de 2011, est l'un des bastions de la mouvance salafiste, et a déjà été le théâtre de violences salafistes en août dernier.
Commentaires (0) | Réagir ?