Sarkozy, Jean Daniel et le secret du 3e mandat (6e partie)
Où comment Belkhadem, Zerhouni et Bouteflika joueront une partition à trois contre le clan d'en face pour arriver à avaliser ce fameux troisième mandat.
Décembre
Toujours aucune nouvelle du référendum annoncé pourtant depuis 18 mois.
Les généraux avaient réussi à contrarier tous les plans de Bouteflika.
Ce dernier avait raté le "coup Sarkozy" et semblait en perte de vitesse. Voilà dix-huit mois que la vieille garde militaro-nationaliste déjouait ses connivences et l’empêchait de tenir ce suffrage qui lui aurait permis d’inscrire le mandat à vie dans la Constitution. Il n’était toujours pas parvenu à l’affaiblir. Même le nom qu’il avait proposé pour succéder au général Smaïn, patron du contre-espionnage, un puissant Tête-Képi décédé en août, a été jugé indésirable par les chefs de l’Armée. Il est vrai que le président avait choisi un officier connu pour son passé de tortionnaire, ce qui apparaissait bien comme une façon sournoise de discréditer l’institution militaire.
Mais Bouteflika ne s’avoue pas vaincu.
Je me plais à admirer le génie manœuvrier du personnage : il va retourner la situation avec une insoupçonnable maestria. Sarkozy à peine parti d’Alger, un mandat d'arrêt est émis en France le 7 décembre contre un officier de la Sécurité militaire (devenue entre temps le DRS: Département du renseignement et de la sécurité) L’homme est désigné comme un des assassins d’Ali Mécili, cet opposant proche d’Aït-Ahmed, assassiné dans le hall de son immeuble parisien, le 7 avril 1987.
La résurgence, à cette période précise, d’une affaire vieille de vingt ans, semblait troublante. Des esprits suspicieux y virent une première riposte de Sarkozy à l’affront Mohamed Chérif Abbas. Mais cela semblait profiter surtout à Bouteflika. Dans la guerre d’ombres qui l’opposait à la tribu des généraux, l’opportunité était la bienvenue pour neutraliser ses adversaires.
La renaissance de l’affaire Mécili n’avait pas fini de secouer des hommes du général Toufik que, quatre jours plus tard, le 11 décembre, fusa l’innocente interrogation : qui avait commis les deux attentats à la voiture piégée qui venaient de tuer entre 50 et 72 personnes à Alger et détruit le siège du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ainsi que celui du Conseil constitutionnel ?
La question, qui désignait d’un doigt nonchalant la tribu des généraux, venait au bon moment pour Bouteflika : le président ne pouvait que bénir ce soudain soupçon qui venait s’abattre sur ses anciens mentors devenus adversaires et qui, déjà, les déstabilisait. Pourtant rien ne justifiait que l’on s’interrogeât sur l’identité des commanditaires de l’attaque terroriste : la double opération avait été revendiquée le soir même par Al-Qaida au Maghreb islamique, l'ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et l’affaire semblait entendue.
Mais il y avait le troisième mandat, la guerre des clans et cette satanée réputation de régicides masqués qui collait à la peau des militaires et que Bouteflika entendait bien exploiter.
Il en profitera intelligemment. D’abord en suggérant à d’autres que lui de dresser l’acte d’accusation.
Le 19 décembre, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, insinue, à Alger, que les États membres sont responsables en premier ressort de la sécurité du personnel des Nations unies. Bouteflika, heureux d’isoler ses rivaux du sérail, laisse dire…
Le lendemain, le syndicat des fonctionnaires des Nations unies demande une « enquête indépendante » sur les attentats, signifiant par-là que l’Onu n’accordait aucun crédit aux enquêteurs d’Alger et à la "version Al-Qaida". Les ministres et les organisations satellites reçoivent l’ordre de se taire. Le quotidien Liberté s’étonne de la passivité du président Bouteflika : "Il faut tout de même relever l’absence de la diplomatie nationale à ce moment précis où le pays fait face à une campagne de désinformation semblable à celle que l’Algérie a connue il y a dix ans".
Début janvier, Ban Ki-moon met les pieds dans le plat : "Je me réserve le droit d’ouvrir une enquête indépendante sur les attentats d’Alger, dès que me parviendra le rapport complet du Département de la sûreté et de la sécurité. Je l’ai dit au Président Bouteflika : en tant que pays hôte, le Gouvernement d’Alger est responsable. Il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sûreté et la sécurité de l’Onu…"
Le 14 janvier, le secrétaire général de l'ONU franchit le Rubicon : il crée sa commission d'enquête après avoir reçu de ses services un rapport préliminaire sur ces attaques. On le saura plus tard, ce rapport était accablant pour les Frères Ali Gator. On y apprend que le chef de la sécurité de l'ONU à Alger, Babacar Ndiaye, qui a péri dans l'explosion, avait plusieurs fois demandé "des mesures de sécurité particulières", peu après les attentats d'avril 2007, qui avaient fait 30 morts. Le Sénégalais réclamait notamment l'installation de plots de béton, qui auraient pu bloquer le véhicule piégé du 11 décembre. "Le gouvernement algérien n'a pas répondu, c'est un fait établi", confie au Monde, Kemal Dervis, responsable du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD),
Bouteflika, ravi d’apparaître comme un homme d’équité aux yeux de la communauté internationale, joue le Ponce Pilate et encourage en sous-main l’idée de Ban Ki-moon.
Une incongruité bien algérienne avait fini, en effet, par trahir Bouteflika : les médias de l’État se firent les relais de la requête de Ban Ki-moon avec un zèle frappant ! D’un même élan, le quotidien gouvernemental El-Moudjahid, la télévision d’État, l’agence de presse gouvernementale APS ainsi que les quatre radios d’État diffusèrent généreusement l’information sur la création d’une commission d’enquête de l’Onu ! À la une du quotidien gouvernemental, la photo de Ban Ki-moon côtoie celle de Bouteflika et le titre y est grassement annoncé : "Attentats d’Alger du 11 décembre 2007 : Ban Ki-moon désigne une équipe d’enquête indépendante". Dans l’article, Ban Ki-moon y parle "d’établir tous les faits concernant l’attaque d’Alger".
"Tous les faits ?" Voilà qui sous-entend que l’Etat algérien a dissimulé des vérités à l’opinion. Lesquelles ? Et pourquoi le quotidien gouvernemental El-Moudjahid, si prompt d’habitude à brocarder les attaques contre l’État, avait-il mis en exergue cette information dommageable pour le prestige de l’Algérie ? L’initiative venant de médias dirigés par le palais d’El-Mouradia, elle signifiait que Bouteflika appuyait l’idée de commission d’enquête et allait très probablement accepter de "coopérer" avec l’Onu.
L’initiative de Ban Ki-moon apparaissait bien comme une aubaine pour le candidat-président Bouteflika qui avait tout à gagner d’une enquête de l’Onu : les suspects se trouvaient dans la tribu des généraux où il comptait quelques irascibles ennemis. En pleine bataille pour le troisième mandat, ce n’était pas négligeable.
Pour camoufler cette conjuration qui ne disait pas son nom, Bouteflika va tenter un coup de maître : ses hommes sont invités à "s’indigner" et à le faire de façon à exacerber la tension, agacer Ban Ki-moon et rendre ainsi sa décision irrévocable. Le président interviendrait alors en "arbitre respectueux de la légalité internationale" pour dénouer la crise.
Dès le 15 janvier, le chef du gouvernement, Belkhadem, hausse le ton, qualifie de «mesure unilatérale» la décision du secrétaire général de l'Onu, accuse cette dernière d’avoir "bafoué les règles en la matière" et annonce que cette décision "ne peut être accueillie favorablement." Cette fin de non-recevoir devint très vite une déclaration d’hostilité qui jetait de l’huile sur le feu et Belkhadem, homme madré, ne l’ignorait pas.
Deux jours plus tard, le Grand Vizir Yazer, très à l’aise dans le langage graveleux, ajoute une louchée dans la provocation et qualifie l’Onu de "fausse vierge effarouchée."
L’avocat Farouk Ksentini, le "Monsieur Droits de l’homme" du régime, y va de son numéro dans une déclaration à la radio : "On veut seulement humilier l’Algérie ! C’est donc l’État qui pourrait être l’auteur de cet attentat ! Sinon, pourquoi une enquête ? Si l’ONU effectuait son enquête, c’est tout l’État qui serait discrédité."
Puis, pour piquer l’amour-propre de Ban Ki-moon et attiser les braises, cette envolée péremptoire : "Le secrétaire général de l’Onu commence à reconsidérer sa position suite à la virulente riposte du gouvernement."
Enfin, pour signifier à l’Onu l’absurdité de sa commission d’enquête, le Grand Vizir Yazer, annonce à l'Associated Press l’arrestation des auteurs des attentats. Ils seraient quatre, dont deux auraient été tués et les deux autres arrêtés, parmi lesquelles deux «prétendus émirs».
La manœuvre de Bouteflika donne ses fruits : Le Monde du lendemain révèle que le secrétaire général de l'Onu "n’est pas content de la réaction de l’Etat algérien" et annonce que "la commission d'enquête internationale, qui sera formée d'une demi-douzaine d'experts, devrait être rapidement constituée."
C’est le moment que choisit Bouteflika pour intervenir en "arbitre respectueux de la légalité internationale" et lancer un message à la communauté internationale. Le quotidien gouvernemental El-Moudjahid suggèrera, le 17 janvier 2008, dans un éditorial rédigé en haut lieu et éloquemment intitulé "Une collaboration décisive" que l’Algérie s’acheminait bel et bien vers une collaboration avec les enquêteurs de l’Onu sur les attentats du 11 décembre. "L’Etat algérien est connu pour la collaboration qu’il offre dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme, en matière de recueil et de traitement de l’information en vertu de la qualité de l’expérience acquise par ses forces de sécurité."
L’homme de confiance de Bouteflika, le chef du gouvernement Belkhadem rencontre en tête-à-tête Ban Ki-moon à Madrid. Deux jours plus tard, il annonce triomphalement à Alger : "Nous avons assuré aux responsables de l’organisation onusienne que nous sommes prêts à coopérer avec eux." Puis, Bouteflika porte l’estocade. Il profite du Sommet de l’Union africaine à Addis Abéba pour rencontrer Ban Ki-moon et lui donner son aval. Ce dernier se dit "encouragé par les arrangements convenus entre l’Algérie et les Nations unies en ce qui concerne la Commission qui doit enquêter sur l’attaque du 11 décembre". Bouteflika avait réussi son coup.
Là intervient Jean Daniel, le directeur du Nouvel obs et néanmoins ami de Bouteflika à travers un commentaire : "J’ai tendance à penser que les attentats constituent la réponse des islamistes au gouvernement de Bouteflika qui a reçu Nicolas Sarkozy d’une manière finalement fraternelle. Les attentats peuvent être considérés comme un avertissement donné aux étudiants de Constantine qui ont été enthousiasmés par le discours du président français."
L.M.
Sources diverses
Commentaires (2) | Réagir ?
J'ai comme l'impression que c'est la clique de Bouteflika qui a fait commande ce cette série d'articles, comme en Mars/Avril 2012 ou plusieurs pages publicitaires ont été achetés dans plusieurs journaux internationaux, y compris le trés sérieux "Le Monde", à coups de millions de dollars pour faire la promotion internationale de l'image politique de notre petit monstre mégalo-sénile.
On aurai aimé que le génie manoeuvrier de Bouteflika soit engagé dans la promotion de l'Etat de droit et la mise en échec des détournements, évasions et autres fuites de capitaux vers l'étranger. Nous aussi, serions alors reconnaissants envers lui et le porterions jusqu'aux nues, implorerions Dieu pour qu'il lui accorde longue vie et le Paradis. Maintenant que l'auteur se plaise à l'admirer pour autre chose, cela ne pourrait en aucun cas nous faire perdre de vue, que l'une des causes qui précipite la chute de la personne, c'est bien sa jouissance de telles "prouesses", sa mégalomanie.