Khalida et les charognards… Par Mohamed Benchicou
Cette femme veut nous parler de son ambition pour l’Algérie, mais se plaint de n’inspirer que l’invective, souvent la haine et parfois, hélas, l’outrage.
Son rêve est pourtant de l’ordre des plus nobles utopies du 20è siècle : faire de la politique par la culture ! Le rêve d’illustres figures qui ont choisi de s’asseoir dans des gouvernements, armés de la culture comme seule obsession. Le projet fou d’André Malraux, le sacerdoce émouvant de Melina Mercouri, l’idéal tenace d’Aimé Césaire, le grand apostolat de Senghor. L’aventure avortée de Mostefa Lacheraf !
Khalida Toumi dit porter à son tour cette chimère féconde : faire de la politique par la culture pour faire partager l’universalité par les Algériens. Faire de la politique par la culture pour réussir là où les stratégies classiques ont échoué : assurer la cohésion nationale, orienter les transformations sociales, définir des pôles d'identification ou même pour en finir avec notre quête d’identité.
Oui, faire de la politique par la culture pour arriver à « transformer le destin en conscience », selon la formule de Malraux, alors ministre de la Culture sous de Gaulle, Malraux chargé par la 5e République de « rendre accessibles les plus grandes œuvres au plus grand nombre d’hommes », Malraux enfin qui osa convier les hommes à regarder l'héritage culturel non plus comme un « ensemble d’œuvres qu’ils doivent respecter » mais comme un « ensemble d’œuvres qui peuvent les aider à vivre. »
Alors oui, c’eût été une chance pour l’Algérie déchirée que ce pari de Khalida Toumi de prétendre rassembler par le savoir et l’ouverture sur le monde. Une aubaine providentielle que cette audace de vouloir faire de la culture un instrument de salut collectif, dans ce pays tourmenté et livrée aux fanatismes, sur cette terre disloquée où chacun de nous cherche à donner un nom à sa mère.
Mais alors d’où vient que notre ministre ait connu tant d’insuccès dans son défi pourtant si brillamment formulé ? D’où vient qu’elle soit si incomprise dans son dessein, si peu convaincante dans sa mission et, pire, si peu épargnée par le quolibet ?
Oh, bien sûr, il y a ce vieux postulat de l’amertume : un peuple dupé sait être autant excessif dans la détestation de ses anciennes idoles qu’il le fut dans leur adulation. Cela, Mme Toumi est condamnée à l’accueillir par la sagesse du proverbe kabyle : Wanna ighran i wadû ur a yalla i walim (celui qui appelle le vent ne pleure pas sur la paille).
Mais il y a aussi ce réquisitoire violent, récurrent, qui accuse la dame de vouloir emprunter le costume de figures illustres sans en disposer de la carrure.
Comment y faire face ? L’épreuve est redoutable. Elle oblige à la répartie intelligente et au souci de la stature.
Or, voilà qu’à la lecture de sa dernière interview à Liberté, on découvre que Mme Toumi, ne dispose ni de l’une, ni de l’autre. Elle a choisi l’acrimonie à l’habileté dans la réfutation, la petite polémique à la grandeur de son ambition.
Elle aurait pu aisément démonter un procès injuste et répliquer que pour partager l’obsession de Malraux, il n’était pas indispensable d’en disposer du talent. Elle aurait pu justifier son rêve en avançant qu’il ne suffirait pas de toutes les chimères de Melina Mercouri et de Lacheraf pour délivrer cette terre de ces cauchemars.
Humilité, sobriété, sincérité…Au lieu de cela, Khalida Toumi s’est lancée dans des diatribes affligeantes d’arrogance et d’animosité qui ont définitivement prouvé qu’elle n’avait pas l’humble majesté des personnages qu’elle entendait imiter ni encore moins leur génie rhétorique! Comment, en effet, prétendre convertir le souffle du verbe en force d’entraînement quand on tient des propos si pédants sur la culture et si acariâtres envers ses contradicteurs ?
La ministre confirmait le réquisitoire de ses détracteurs. Il fallait vraiment n’avoir aucune conscience de la gravité du savoir pour s’autoriser la grandiloquence d’en parler avec tant de suffisance. Elle qui n’avait jamais créé une seule œuvre, s’abandonnait à des sermons solennels sur la culture, houspillant la journaliste qui l’interviewait par une apostrophe digne des Femmes savantes de Molière : « C’est votre vision de la culture qui fait que vous n’avez que de fausses réponses aux vraies questions ! ». Qu’aurait-elle dit si elle avait écrit la Comédie humaine ou brillé dans Topkapi ? Tel Trissotin, elle redoute le délit d’ignorance et s’empresse de faire étalage de ses petites et moins petites références pour s’assurer la respectabilité de l’auditoire. Qu’importe si l’on n’a jamais lu l’auteur, il suffit d’en apprendre une citation pour s’en revendiquer. Et qu’importe si l’on n’a jamais vu le film de Jean-Pierre Lledo : ce qu’elle en a lu dans la presse lui suffit pour décréter qu’il s’agit d’un « film révisionniste faisant l’apologie de la colonisation. »
Comment, avec autant de légèreté et de gloutonnerie, espérer échapper aux déconvenues de la confusion ? Etait-ce Mélina Mercouri ou feu Kaid Ahmed, cette femme qui dénonçait les « arguments populistes communs à tous les mouvements totalitaires de la planète, de Hitler au FIS » et qui, quelques lignes plus loin, annonçait triomphalement la prochaine censure du film de Jean-Pierre Lledo ? S’apercevait-elle de l’absurdité qu’il y avait à s’apitoyer sur « tous les créateurs, artistes, chanteurs, écrivains, intellectuels assassinés par les bras armés du FIS » pour ensuite reprocher au directeur du Matin de s’être exilé durant les premières années du terrorisme ? La diatribe n’était pas d’une grande subtilité. D’abord parce que le reproche n’est pas aimable à l’endroit de tous ces exilés dont la plupart sont devenus ses alliés, Cheb Khaled devant lequel elle n’a pas hésité à se prosterner ou le président de la République qui s’est absenté durant 20 ans et dont elle dresse néanmoins l’apologie. Ensuite parce que la lettre anonyme des cadres du ministère de la Culture l’accusant de dilapidation de deniers publics, exigeait une réponse autrement plus concrète que celle qui se bornait à accuser Le Matin de « blog du GIA » et à jeter l’opprobre sur son directeur. C’est connu, nous sommes des charognards et ce régime est plein de gens vertueux. Mais cette réponse gauche dans la bouche de Mme Toumi prend les allures navrantes d’une diversion : la ministre aurait-elle quelque chose à cacher ?
Et comme pour ajouter à l’hécatombe, madame la ministre se laisse aller à un long couplet sur « la honte », la honte de « ceux qui sont partis » par opposition au courage de « ceux qui sont restés », le tout formulé avec morgue : « Pour ma part, je suis ainsi faite, j’aurai eu honte de quitter mon pays. Pour moi, la honte est le pire des sentiments, il m’est absolument insupportable. » La rhétorique est postiche, triste et consternante. Postiche parce qu’elle emprunte aux petites dissimulations, aux simulations bigotes et aux bas ergotages. Mme Toumi devrait savoir que le monde nous regarde et que ce monde là n’avait pas le sentiment que la honte lui était « insupportable » toutes les fois qu’elle dût avaler son chapeau : fermer les yeux sur la censure de Khadra, de Sansal, de Ben Brik ; se faire citer au procès Khalifa pour avoir piloté la chaîne KTV pour le compte du DRS et quémandé quelques milliers de dollars auprès de « milliardaire escroc »…Et puis, dans l’échelle de la honte, ne vaut-il pas mieux partir d’une terre avec ses convictions que d’y rester pour mieux la trahir ? Car enfin, pourquoi ces harangues enflammées contre le GIA pour finir à blanchir ses chefs de leurs crimes, à lâcher les familles victimes du terrorisme en optant pour la « réconciliation » avec leurs assassins…Tous ces mutismes, toutes ces absences ramenés à la « honte » font penser à Robert Escarpit, un journaliste que Mme Toumi aime à citer parmi ses auteurs génériques : « Il vaut mieux avoir honte d'un éclat que d'un silence, d'une violence que d'une abstention ».
Et tout cela est bien triste parce qu’il nous réveille sur nos indigences : le discours de Mme Toumi, belliqueux et diviseur, n’est pas le discours d’une femme de culture. Il exclut de facto son auteur de la généalogie des Césaire ou de Malraux dont le lyrisme, nous dit Jean Caunes, témoignait d’un art de forger une sensibilité commune et, ainsi, de contribuer à construire une communauté. Mme Toumi ne sait pas convertir le souffle de son verbe en force d’entraînement. Elle ne communique pas, elle persifle.
Alors oui, cette femme qui veut nous parler de son ambition pour l’Algérie, ne sera pas notre pionnière dans l’universalité. Nous espérions une Melina Mercouri de Jamais le dimanche ; nous n’avons qu’une banale interprète de La femme acariâtre.
Mais puisque l’heure est à la culture arabe, Mme Toumi, qui dit redouter la honte, serait bien avisée d’en tirer la morale de l’histoire. En se rangeant par exemple à la philosophie de Harzat Ali : « Qui ne sait pas, ne doit pas avoir honte d'apprendre. » Ou en s’inspirant d’une vieille sagesse populaire du Hidjaz : « La honte, la seule qui puisse nous faire honte est d'être inférieur à nous-mêmes. »
C’est à cela aussi, diable, que sert la culture !
M.B.
Commentaires (33) | Réagir ?
Bravo Mr benchico, je crois que vous avez donné trop d'importance à un flic. elle est deriere l'assassinat de plusieurs intelicteuls dans ce pays, nul ne peut oublier maatoub Elouness. et si pour ses raisons elle a ete recompensé. ils lui ont nommé a la tete de ce pauvre departement, en outre elle est trop detesté en la kabylie.
@Messaouda Khaled: Les élections de 1995 étaient la dernière lueur d'espoir qui ai brillé sur l'Algérie. Dieu que nous y avions crû ! J'étais immatriculé à un consulat qui se trouvait à plus de 250kms de mon domicile, mais l'enjeu me semblait si beau que je n'avais pas hésité à faire les 500kms aller-retour juste pour donner ma voix à... Saïd Saadi et son Algérienne debout.... C'était la dernière fois que je manipulais un bulletin de vote..... Je n'en manipulerais sans doute jamais plus....