La parfumeuse : Interview de Mohamed Benchicou à l'Est républicain (version intégrale)
Dans un entretien accordé au quotidien L’Est Républicain, Mohamed Benchicou analyse la portée historique inédite d’une nouvelle grille de lecture des premiers pas du nationalisme algérien en France, dans les années 1920 et de l’idée pionnière de l’indépendance de l’Algérie, portés à bras le corps par une inconnue de l’Histoire officielle de l’Algérie contemporaine, Emilie Busquant, héroïne ainsi sortie des ténèbres, des gommages et des perversions prémédités, glorifiée, ici, dans son humilité, ses sacrifices inouïs pour l’indépendance de l’Algérie.
Dans La parfumeuse ou l’histoire occultée de Madame Messsali Hadj, un émouvant récit, un livre choc pour ses révélations sur l’origine du drapeau algérien, Emilie Busquant naît ou renaît dans le rôle exclusif qu’elle eut au côté de son compagnon, Messali Hadj, et non des moindres, dans la germination de la revendication de l’indépendance de l’Algérie à un moment où celle-ci n’était pas du tout envisagée, voire inenvisageable. La Parfumeuse n’est pas une œuvre de réhabilitation mais d’«habilitation» au fronton de l’histoire de l’Algérie moderne.Au-delà des circonstances de la parution de La Parfumeuse qui coïncident avec le 50e anniversaire de l'indépendance algérienne, Mohamed Benchicou, par ce roman iconoclaste, à rebours de la sécheresse de l’Histoire inventée et imposée, débroussaille une historiographie obsolète et mensongère. Sur les pas d’Emilie Busquant qui s’offre au lecteur dans son itinéraire flamboyant, l’auteur de Le mensonge de Dieu se libère et libère son héroïne, Emma, du cadre historique qui en aurait fait une Emma Bovary du nationalisme algérien.
Emma, la narratrice de ses propres rêves et désillusions, de ses fraternités et de ses solitudes, de son algérianité irrédente, irréductible, désintéressée, de ses sacrifices pour «Hadji», pénètre un univers romanesque et poétique dans lequel la magie opère tant et si bien que les élans internationalistes des années 1920 puissants et généreux, la naissance des premiers partis nationalistes algériens au sein des mouvements syndicalistes ouvriers métropolitains, ne relèvent plus d’un déterminisme mécanique, mais permettent le rêve initial qui germa un soir de 1923 dans une chambre mansardée du quartier de père Lachaise, à Paris, entre une jeune Lorraine frondeuse, Emilie Busquant et un jeune tlemcénien aguerri aux vicissitudes coloniales, Massali Hadj ; un rêve encore à l’œuvre dans les replis d’une Histoire algérienne qui n’a pas encore livré tous ses secrets…
L'Est républicain : Émilie Busquant fait sa première apparition dans Le mensonge de Dieu. Avec La parfumeuse, elle prend tous les espaces de l’Algérie de la première moitié du 20e siècle. Y-a-t-il dans sa biographie romancée, poétisée, une volonté de sublimation?
Mohamed Benchicou : De sublimation, dans le sens de glorification, non. Du reste, cela aurait juré avec le personnage. Émilie Busquant fut une femme simple, qui ne cherchait ni reconnaissance ni gloire, en dépit de tout ce qu’elle a entrepris pour l’indépendance de ce pays. Elle a permis à Messali Hadj d’être ce qu’il a été ; elle a lutté contre le cours du temps, contre les colonialistes français, contre les assimilationnistes algériens qui quémandaient juste une petite place au sein de la patrie française… Mais elle ne réclamait aucune contrepartie. C'est assez précisé dans le livre : «Elle n’avait jamais rien revendiqué pour elle même, étant de ceux qui n’avaient jamais songé à tirer gloire ni bénéfice de leurs actes pendant la nuit où les hommes étaient enchaînés. Pour une certaine classe d’hommes, cela allait de soi.» Et puis, elle le sait, la postérité est une affaire d’hommes, presque jamais de femmes, encore moins de femmes impies comme ils disent, seulement une affaire d’hommes. Il n'y avait donc pas une volonté de sublimation mais sans doute d’éloquente réhabilitation. Une résurrection qui serait à l'image de son effacement : titanesque, fulgurante, exceptionnelle... Je voulais que l'on redécouvre, à travers cette femme, ce que fut réellement le mouvement national algérien depuis ses premiers balbutiements : rien d'autre qu'un élan généreux, internationaliste, une hallucination projetée dans le futur par des hommes et des femmes qui ignoraient les frontières et qui voulaient pour ce peuple sa part de liberté. Je voulais aussi, à travers la fin déchirante d’Émilie, qu'on établisse un lien entre cette mort déchirante, subite, et la mort des premiers rêves qui fondèrent le mouvement national : libération de l'homme, assemblée constituante, État démocratique et ouvert à toutes les races et à toutes les confessions… Émilie, c'est, en définitive, l'histoire d'un élan internationaliste qui a ensuite été perverti et réduit à un nationalisme exclusiviste renfermé sur lui-même et générateur de toutes les déviations, tous les abus, jusqu'aux autocraties qui nous gouvernent aujourd'hui.
Dans ce roman, Emma, à postériori, ne démythifie-t-elle pas Messali Hadj, puisque, à la place du "père" du nationalisme algérien c’est "la mère française) du nationalisme algérien" qui s’y énonce et en revendique la "maternité" ?
Oui, mais ce n’était pas tant le souci de « démythifier » Messali que celui de « démythifier » les fausses légendes qui entourent le mouvement national, qui a impulsé mon travail. Ce n'est pas tant la « maternité » qui se rattache à Émilie Busquant que celle qui nous relie à l'humanité qui est le propos de ce roman. Tout le problème est là : sans la « mère », le « père » n’aurait sans doute jamais existé. Le mouvement national qui a conduit à l’insurrection de Novembre, né dans les années 1920 (avec sans doute un élan qui lui était antérieur), n’est pas d’inspiration algérienne mais internationaliste. C'est sans doute difficile à admettre, mais ce ne sont pas les Algériens indigènes qui furent à l'origine du mouvement national émancipateur qui débouchera, des péripéties aux péripéties, à l'insurrection du 1er novembre. Ils n’en n’avaient ni la capacité ni la vision.
Qui est donc à l'origine de l'idée de l'indépendance algérienne ?
Le mouvement national algérien qui a conduit à l'indépendance est né en France, fruit de volontés internationalistes, dans un contexte mondial favorable à la libération de l'humanité, celui de l'après première guerre mondiale, avec la révolution bolchévique, l'essor des partis communistes et du mouvement ouvrier, la troisième internationale, auxquels se sont ajoutés les grandes épopées d'Atatürk en Turquie, d'Abdelkrim dans le Rif marocain et je crois aussi, les années folles avec le dadaïsme, l'enterrement de l'ancien monde, la libération de la femme, Coco Chanel etc. Nous sommes au début des années 20 ne l'oublions pas, pour la première fois une révolution prolétarienne est parvenue au pouvoir en Russie ; Lénine et Trotski considèrent que la révolution russe se prolongera par une révolution générale dans le monde entier. Le processus qui conduira à la naissance du mouvement national algérien vient , en grande partie, de cette volonté de généraliser la révolution prolétarienne à toute la planète. L'Étoile nord-africaine, première organisation politique qui revendiquera l'indépendance et qui enfantera le PPA puis le contexte très insurrectionnelle de novembre 1954, est née par la volonté de la troisième internationale dans les années 20, en tant que parti prolétarien. L'Étoile fut, dès son origine, un parti prolétarien qui s'inscrivait dans une stratégie de reconquête mondiale décidée à Moscou et qui consistait à étendre la révolution à toute l’humanité… Dans la stratégie de la troisième internationale, l'Étoile devait se prolonger en Algérie même par la création d’un parti nationaliste et révolutionnaire qui est le but réel de la stratégie de l’Internationale communiste et qui devra être ouvert aux forces anti-impérialistes, comme la bourgeoisie démocratique, à l’exception des couches compromises avec l’impérialisme.
Émilie Busquant symbolise donc cet apport internationaliste décisif. Ce serait en cela qu'elle serait donc "la mère du mouvement national algérien"…
Oui, en quelque sorte. Sans la «mère», il n'y aurait jamais eu le « père ». Émilie était la gardienne de cette révolution prolétarienne étendue à l'Algérie. Elle le restera jusqu'à la fin. Pendant 30 ans, elle soutiendra son compagnon contre les adversaires de l'indépendance qu'ils soient colonisateurs français ou assimilationnistes algériens.
Il n'y avait donc personne en Algérie pour revendiquer l'indépendance ? Même pas l’élite indigène ?
Mais quelle élite ? Jusqu'au début des années 40, l'élite algérienne, c'est-à-dire les élus de Bendjeloul, Ferhat Abbas, les Oulémas de Ben Badis, puis, plus tard, le parti communiste algérien, tous revendiquaient l'intégration de l'Algérie à la France. Il nous faut admettre une bonne fois pour toutes qu'il n'y a pas eu de mouvement national algérien qui fut né « algérien ». Les Algériens en ce temps-là, n'exigeaient pas l'indépendance. La notion même de « nation algérienne » n'existait pas dans les esprits. Ils se limitaient à revendiquer, pour les plus audacieux, l'abolition du code de l'indigénat, une relative extension de quelques droits aux Algériens…
Même Ben Badis ?
Mais oui ! Les Oulémas, dont se revendiquent nos islamistes de 2012, luttaient pour une Algérie française ! Et cela durera jusqu'au début des années 40, sans doute jusqu'au 8 mai 1945. Cela dit, les quelques individualités algériennes des années 20 qui activaient dans l'émigration, et dont on peut citer Si Djilani Mohammed, Djeffal Mohammed, Aït-Toudert, Banoune Akli, Far Kaddour, Ghandi Salah, Ifour Mohammed, Issaad Hassan, Belghoul Ahmed, Chabila Djilali, Khairallah Chedl, Ben Lakal Mahmoud, Lemou Mohammed, Marouf Mohammed, Bouchafa Salah, Bourahla Ahmed…, ont certes joué un rôle. L'immigration algérienne de l'époque a fourni le cadre dans lequel a éclos le nationalisme algérien. Mais tout était conçu par le mouvement ouvrier international. Les individualités que j'ai citées gravitaient tous ceux autour du parti communiste français. Et quand il créera l'Étoile nord-africaine, en 1926, Abdelkader Hadj Ali ne fera qu'exécuter les directives de la troisième internationale.
Les prises de parole d’Emma déroutent le lecteur. Elle se confie à son chat, à sa fidèle voisine, à Hadji, à elle-même en fin de vie, aux premiers jours de sa rencontre avec Messali, dans la mansarde de père Lachaise. Le vertige esthétique qu’elle imprime au roman fait-il de Messali Hadj un être hésitant et pas du tout l’homme au destin déterminé ?
Mais Messali de cette année 1923 ressemble à l'Algérie de l'époque : hésitant, cherchant son identité, sa voix, partagé entre sa propre liberté, c'est-à-dire dénoncer l'occupant et chercher à jouir de quelques uns de ses bienfaits. Ce sera l'action résolue du mouvement ouvrier international qui enclenchera le processus de revendication de l'indépendance et qui l'entraînera, sous l'escorte d'Émilie, dans l'action revendicative de l'indépendance. Rien ne sera plus dur et plus compliqué. Il formera avec sa compagne, un couple presque solitaire. Ils affronteront les colonialistes, les opportunistes algériens, et même les amis communistes lorsque la nouvelle stratégie du Komintern, à partir de 1926, dictera que l'on freine l'aspiration à l'indépendance et qu'on se concentre sur le " succès du socialisme" dans le monde. C'est alors qu'interviendra Émilie Busquant pour « désobéir » à cette directive supérieure et provoquer la première crise sérieuse entre le mouvement indépendantiste algérien représenté par l'étoile nord-africaine et Moscou. C'est cela qui a fait dire à Émilie que le mouvement national algérien est un mélange d'islam et de doctrine anarchiste.
Quel fut le rôle, alors, de Messali ?
Le mérite de Messali Hadj fut d'avoir été présent à ce moment-là, dans cette formidable ambiance des années 20, pour capter cette extraordinaire pulsion libertaire qui s'emparait du monde et d'y incruster la question algérienne. Mais pour qu'il le fasse, pour qu'il en prenne conscience, il fallait l'orienter, le « reconstruire », et c'est ce qu’a fait Émilie Busquant. Quand il débarqua de Tlemcen, Messali était un jeune homme révolté, marqué par l’injustice qui frappait les siens, subjugué par Atatürk, admirateur de Lénine, mais démuni des instruments intellectuels pour faire la synthèse entre tous les événements qui secouaient le monde en ce moment-là et élaborer une stratégie d'émancipation de son peuple. Pour qu'il soit le père du nationalisme algérien, il fallait qu'il rencontre Émilie. L'histoire de ce jeune homme venu de Tlemcen et de cette demoiselle débarquée de Lorraine, fille d’un ouvrier anarcho-syndicaliste, c'est le prototype des petites histoires fondatrices de la grande histoire, les histoires d'amour souvent, ou de camaraderie ou d'amitié dont on ne parle jamais mais qui sont à l'origine de tout. Sans cette rencontre de ce soir-là de 1923, peut-être le cours du mouvement national aurait-il été tout à fait autre.
Ce serait donc Émilie qui aurait fait adhérer Messali au parti communiste français ? Ce qui est curieux pour une anarchiste ou fille d'anarchiste…
Pas vraiment. Cette question à longtemps divisé les historiens. De mon point de vue, Émilie avait joué la carte du parti communiste parce que, comme beaucoup de communistes, mais aussi de militants venus de l'anarcho-syndicalisme ou de la gauche républicaine radicale, ont adhéré en pensant qu'ils pourraient toujours garder une certaine autonomie. Ce n'est que plus tard, quand se développa la bolchevisation des PC sous l'impulsion de Grigori Zinoviev, au cinquième congrès du Komintern, avec ses cris et ses exclusions, puis à partir de 1927 quand la troisième internationale passe totalement sous la domination de Staline, que germe la théorie dite du socialisme dans un seul pays et que la question de la décolonisation passe au second plan (des peuples colonisés seraient libérés après le triomphe de la révolution prolétaire dans le monde). C'est alors que vont s'affronter les thèses de Moscou et celle des indépendantistes de l'Étoile nord-africaine. Il y a tout un passage dans le livre ou Émilie comprend que l'heure est venue de s'émanciper des partis communistes
Qu’a-t-elle fait alors ?
Elle a rompu avec le parti communiste français et elle a persuadé son compagnon de mener une stratégie indépendante du parti communiste français. Cela a commencé à mon avis, lors du congrès de Bruxelles lorsqu’elle a, avec son compagnon, imposé que soit clamé haut et fort le droit à l'indépendance pour le peuple algérien. Ce document est le premier texte fondateur du nationalisme algérien. Il préconisait un État démocratique désigné par une assemblée constituante élue au suffrage universel. Que nous en sommes loin en 2012 !
Emma entre dans le roman en fin de vie, à la veille du déclenchement de la guerre d’Algérie. Est-ce un choix esthétique ou faut-il y lire une dimension symbolique ?
Il y a la grande part du symbole évidemment. Émilie termine sa vie en Algérie qu'elle ne reconnaissait plus. Il était venu le temps où le rêve de l’indigène, celui d’une indépendance à la saveur de l’humanité avait tourné au cauchemar nationaliste, oublieux des générosités qui lui avaient permis de voir le jour.On lui avait rappelé qu’elle n’était que la roumia. Indigne d’être la campagne d’un homme dont la réputation dépassait les frontières de l’Algérie. Cette ingratitude, cette ignorance crasse de ce que fut le mouvement national depuis 1920, fut je crois le grand tournant qu'il allait nous déposséder des grandes ambitions que les premiers militants avaient nourries pour nous.
Par la voix d’Emma, "Hadji", narré dans un espace féminin, est aux antipodes de son image historique "mâle et misogyne". Les deux Messali, l’intime, le fragile, l’enfant et l’officiel, celui de l’histoire, du populisme, du PPA, sont-ils en dualité ou se complètent-ils ?
Ils se complètent évidemment. Messali est diabolisé ou encensé sans qu'il soit véritablement connu. J'ai essayé de dépeindre l'homme avec ses utopies, sa volonté, son courage, ses faiblesses…L'enfant de la zaouïa épris de Jean-Jacques Rousseau et de Verdi. Vous savez bien que les gens adorent juger sans se préoccuper de savoir. Messali, comme tous les hommes qui ont eu à piloter un destin, est un être complexe et qui porte en lui toutes les complexités de notre mouvement national. Il faut étudier Messali avant de le condamner ou de l'aduler. On en comprendra alors un peu plus sur notre mouvement national, sur nous-mêmes et sur ce qui nous est arrivé. Avant de mourir, Émilie lui laisse ce message : "Mon Hadji…Je te laisserai incompris et écartelé entre toutes tes subjugations, entre Dieu et Lénine, entre les communards et les derkaouas, la zaouïa et la Bastille, entre Salah-Eddine et Jean- Jacques Rousseau, fils hagard d’une colère universelle, progéniture des révoltés des Tuileries et d’Abdelkrim le Rifain, créature nourrie de mille ans d’impatiences, et l’impatience, comme la colère, ne se connaît pas de frontières, pas de langue, ni de race, pas de religion…" Elle anticipe sur ce qui va lui arriver : "Mon cher Hadji, Ils te crucifieront sans jamais rien connaître de tes tiraillements. Ils te voueront à l’anathème sans jamais rien savoir de tes déchirements. Mon Hadji… Je vais partir, et ils te maudiront. Chacun te voulait pour lui, avec lui, pensant comme lui, labellisé, encarté, porteur d’un seul étendard… Mais moi, celle qui t’aura aimée pour toi-même, je sais que tu étais avec tout le monde à condition que tout le monde te laisse être avec toi-même. Tu n’auras été, tout compte fait, que mon petit amour de darkaoui."
Émilie Busquant ne porte-t-elle pas une ambiguïté historique : elle se jette corps et âme dans le choix de l’Algérie sans chercher à continuer le combat de son père pour une France républicaine, antifasciste, anticolonialiste ?
Mais en luttant pour l'indépendance d'un pays colonisé par sa propre patrie, Émilie contribue à créer cette France républicaine, antifasciste, anticolonialiste ! Elle ressentait comme un lourd embarras d’appartenir à un peuple amnésique, celui-là dont les aïeux s’étaient soulevés pour la liberté et l’indépendance en 1789 et qui acceptait de voir soumettre un autre peuple à l’abaissement. C’est devant des milliers de personnes qu’elle le déclara, en novembre 1934, dans un meeting à la salle de la Mutualité, organisé par l’Étoile nord-africaine en réaction à l’incarcération de ses dirigeants. C'est une internationaliste, ne l'oublions pas. Son horizon ne se limitait pas à une patrie. Son compagnon lui-même, dans l'oraison qu'il lira sur sa tombe, dira que "dans son coeur il n'y a pas de frontières".
Le choix de l’Algérie que cette Lorraine a fait ne relève-t-il pas du subjectif, pour l’amour qu’elle porte à Hadji ayant les mêmes blessures d’enfance que les siennes?
Cela a bien sûr été déterminant. Ils étaient tous les deux, en fait, d’une engeance commune, celle des exclus du bonheur, fils d’un monde où la pauvreté n’était pas une honte, mais la norme. Un même joug semblait les unir, un joug impitoyable et ancien, tel un implacable harnais qui aurait rattaché deux bêtes de sommes à l’attelage et qui, du coup, les aurait jointes dans la souffrance et l’humiliation, mais aussi la rage de s’en sortir. "Nous étions tous deux orphelins, privés du droit de voter, moi parce que j’étais une femme, toi parce que l’on avait considéré que tu étais un sous-homme, un indigène. Nous venions d’une de ces contrées maudite où l’on ne connaît aucune raison de vivre et de trop nombreuses d’en finir, d’une de ces famille qui se ressemblent dans la détresse. Nous étions unis par un siècle de souffrance et une vie à réinventer ; par nos fantasmes, nos illusions sans doute, nos rêves aussi. Nous étions deux solitudes dans Paris survolté, deux solitudes à la recherche d’une nouvelle vie, comme un couple de moineaux dans un ciel trop vaste mais enivrés par la perspective d’en découvrir l’infini."
Le parallèle fait avec Coco Chanel ne porte-t-il pas préjudice à Emma sachant que celle qui a libéré la femme de ses corsages a été accusée pour ses sympathies avec les nazis ?
Mais nous parlons, ici, des années 1920 ! Les nazis n'étaient pas encore constitués ! La collaboration réelle ou supposée de Coco Chanel avec les nazis n'aurait lieu que 20 ans plus tard.
Pourquoi le titre "La parfumeuse" alors qu’elle est couturière… du drapeau algérien ? Est-ce le parfum persistant d’Emma sur le corps de Messali Hadj et sur "le corps" de tout un pays, l’Algérie ?
Le parfum est pris ici comme symbole continuellement présent dans le roman. Émilie était vendeuse au rayon parfumerie des Magasins réunis. Mais elle rayonnera de son parfum à chaque instant du mouvement national, entre 1924 et 1945.
Les comptes rendus de presse y ont vu une simple "réparation" de la mémoire d’une oubliée de l’Histoire. Qu’en dites-vous ?
Non ce n'est pas simplement cela. L'aspect de la "réparation" est certes dominant, déterminant ou même, en ce sens que nous avons affaire à un effacement de l'histoire absolument sans précédent et que cet effacement constitue lui-même une singularité qui aurait mérité, à elle seule, que ce livre soit écrit. Mais le roman ne répare pas un simple oubli. Je l'ai voulu "réparateur" d'une signification du mouvement national, celle d'une résistance induite par un élan internationaliste et non pas seulement un soulèvement, une insurrection, dictée par je ne sais quelle pulsion nationaliste soudaine. Le mouvement ascendant algérien, dans sa génèse a été un mouvement inspiré par les pulsions libératrices du monde du début du siècle et des années 1920 (fin de la Première guerre mondiale, révolution bolchevique, et toutes les autres formes de libération de l'homme et de la femme, du mouvement dadaïste à l'émancipation de la femme qui se débarrassait de ses corsets et de ses fanfreluches pour apparaître au monde dans toute sa beauté nue…) Il y avait dans ce fol investissement humain qui s'était organisé autour de l'Étoile nord-africaine, un besoin d'équité certes, un besoin de justice, de liberté, mais surtout un monument besoin d'être de son époque, du monde nouveau qui s'épanouissait autour d’eux et sans eux. Le mouvement national algérien était bâti sur une soif de liberté, de démocratie, d'égalité entre dans ma femme, de modernité… C'est-à-dire tout ce que l'on n’a pas encore obtenu, parce que, dans les années 30 dans les années 40, puis dans les années 50, il y a eu vol de nos rêves originels. C’est tout cela, La parfumeuse.
Rachid Mokhtari (L’Est Républicain)
Commentaires (13) | Réagir ?
Mme messali fut une "parfumeuse" une vendeuse de parfum qu'un benchicou veut encenser et du coup nous enfin pour lui et ses acolytes, réhabiliter ce paltoquet que fut messali et ces sbires du MNA. Novembre, Abane (qui a condamné messali à mort) Ben mhidi, Boudiaf, Ait Ahmed sont éternels!mr benchicou nos chouhada ne sont pas mort vainement, détrompe toi et lourdement. ni le ppa ni le mtld n'ont rien avoir avec ton internationale, ni le bochevisme, la lutte c'etait en algerie depuis des lustres et non dans les bureaux de la rue du colonel fabien et autres buveries de st michel et du quartier latin. on se la coulait douce en metropole pendant que le bendjeloul, ferhat abbas, ben badis, el ibrahimi, lamine debaghine et autres belouizdad affrontaient le colonat hideux. medite cette phrase de Abbane la revolution n'est inféodée ni à moscou, ni au caire, ni à londres ou newyork. roman bidon, sans plus avec beaucoup de bruit de trotskystes en mal d'existence.
@ Nachabe Madih & Brahim Arbat
Désolé d'intervenir dans votre "duel" assez musclé je dois le dire, mais comme on dit allah ghaleb, "mon coeur m'a mangé" (traduction littérale du kabyle bien sûr!).
Mon commentaire-je vous rassure-se contentera de reprendre quelques unes de vos empoignades (sans les "sic" à chaque fois), puis, je me permettrai de conclure si vous le permettez.
N. Madih : " C'est en cela que je vous contredis en vous apprenant que bien de personnages historiques ont moult fois été revisité par des hommes de lettres pour mieux répondre aux questionnements laissés en suspens par l'Histoire... Alors, sieur Arbat, il n'est donc pas très sage de jurer sur des points dont on risque fort bien d'être contredit! "
B. Arbat : "... dans les dernières pages du vieux bouquin que tu cites comme référence récapitulative, montre bien que tu es épidermique, superficiel, disons farfelu, au point où tu n’hésite pas à le comparer à un roman « encore chaud » que tu n’a pas encore lu. Passez la brosse, ça pourrait se comprendre, mais contredire de cette manière, c’est vraiment con. "
N. Madih : "... Il y a plein de chose à ajouter pour parfaire ta formation de novice en littérature française, mais je te laisse d'abord le soin et le temps pour bien cogiter ces quelques rudiments de base que je t'offre par charité bien algérienne... "
B. Arbat : "... Tu as mis à peu près deux journées entières à googler sans pitié pour ton âme, à essayer de voir comment retomber sur tes jambes quitte à te mettre, psychanalytiquement, carrément dans la peau d’un spécialiste de la littérature française rompu dans les chaires autour des couloirs de la Sorbonne et du Collège de France... "
N. Madih : " Pourquoi me mettre dans la peau d'un spécialiste de la littérature française étant donné que je suis déjà du domaine?... Pour ton salut, je te conseille vivement de bien réviser mes deux leçons sur la critique littéraire que je viens de te dispenser par charité bien ramadanesque. Sur ce, mon travail m'attend. "
Eh bien les amis, l'on constate tout d'abord une évacuation progressive du thème central de vos échanges (La Parfumeuse de Benchicou) au profit d'assertions et de contre-assertions sur fond de critique litterraire.
Ensuite- testostéronne oblige- vous êtes passés à la légitimité de l'un et de l'autre à discuter de la chose litterraire sur cet espace.
Bel 3âribia (nagh s'théqvaylith), finalement, l'oeuvre de Benchicou elle-même n'aura servi que de "moyen" pour affirmer la suprématie de l'un ou de l'autre dans le domaine de la critique littéraire!
Rien de mal à cela si ce n'est que j'aurais bien aimé participer à cette empoignade si seulement j'avais lu La Parfumeuse. Dommage! Le Madih doit se demander encore pourquoi je me mêle de ce qui ne me regarde pas.
La réponse est aussi simple que "yahwayid" (mais avec l'acception "cela me plait" et non "chahh")... ne va pas me déclencher une déferlante de mises au point dhi lâ3nayak !