Tissu économique algérien : l'emprise de la sphère informelle spéculative

Devant la démission des autorités, l'informel est devenu la norme du marché.
Devant la démission des autorités, l'informel est devenu la norme du marché.

Nous n’avons pas attendu les résultats du recensement du gouvernement de 2012 pour avoir mis en relief déjà entre 2007/2008 la dominance de la tertiairisation dangereuse de l’économie algérienne, ni le Conseil économique et social (CNES) * pour proposer avec de nombreux experts indépendants, un large débat sur l’avenir de l’économie algérienne réhabilitant le savoir et l’entreprise.

Nous assistons à un environnement des affaires contraignant, où dans ses rapports de 2008-2011, le World Economic Forum (WEF-Forum économique mondial), classe l’Algérie avec une place médiocre pour sa compétitivité. Concernant un facteur déterminant de l’environnement des affaires lié à la bonne gouvernance, l’organisation internationale Transparency International dans son indice de perception de la corruption dans ses rapports annuels 2009/2011, le classe comme un pays connaissant un haut degré de corruption. L’on sait que les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un "haut niveau de corruption au sein des institutions de l’Etat", et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives.

Pour l’indice du développement humain (IDH), l’Algérie n’est pas bien lotie. La valeur travail, la connaissance (le savoir) est dévalorisée au profit des empois-rentes où nous assistons à une école sinistrée. Or la ressource humaine est bien plus importante que toutes les richesses en hydrocarbures comme le montre le dynamisme des pays émergents. L’exode croissant des cerveaux algériens qui évoluent favorablement sous d’autres cieux l’atteste, malgré différents discours envers la diaspora de peu de portée. Cet indice du développement humain mitigé est corroboré officiellement par une enquête réalisée par l’Office national des statistiques entre 2009/2010, qui précise que plus de la moitié de la population en activité était dépourvue de couverture sociale, et 50,4% de l’ensemble des travailleurs n’étaient pas déclarés à la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas). Sur les 9.472.000 occupés, enregistrés au 4e trimestre de l’année 2009, 4778.000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la sécurité sociale, soit un occupé sur deux. L’enquête fait apparaître que près de cinq millions d’Algériens sont en situation de précarité, ne pouvant ni se faire rembourser leurs frais médicaux et encore moins de pouvoir bénéficier d’une retraite décente puisque les entreprises qui les emploient ne s’acquittent pas de leurs frais de cotisations. Cette situation paradoxale fait que l’économie algérienne est fortement dominée par le secteur tertiaire, selon les résultats du recensement économique effectué par l’Office national des statistiques (ONS) durant le premier trimestre 2012.

Le nombre d’entités économiques activant dans le secteur tertiaire est de 853 770 entités, soit 89,0% de l’ensemble des entités économiques, ce qui dénote clairement le caractère tertiaire de l’économie nationale. Selon les chiffres de l’ONS, la répartition des entités économiques par grand secteur d’activité montre clairement la prédominance du secteur commercial avec un total de 528 328 entités soit 55,1% de l’ensemble des entités. Plus de 84 % de l’activité se concentre sur le commerce de détail.

Evasion fiscale ahurissante

L’analyse du tissu économique algérien serait incomplète l’analyse de la sphère informelle. Encore qu’il faille distinguer la sphère informelle productive minoritaire de la sphère informelle marchande dominante, la situation actuelle met en relief les relations dialectiques entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle qui est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l’économie et le citoyen mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique avec la dominance du cash et traduit le divorce Etat/citoyens la monnaie étant avant tout un rapport social de confiance entre l’Etat et le citoyen. Cette sphère entretient une relation dialectique avec les couches rentières au niveau des différentes sphères du pouvoir, eux-mêmes liées à des sphères extérieures voulant river l’Algérie à un comptoir commercial, non intéressées par l’émergence d’un véritable développement local, se fondant sur de véritables entrepreneurs qu’ils soient locaux ou étrangers. Le manque de vision d’une stratégie fiscale, selon l’adage l’impôt tue l’impôt, en accentuant la pression fiscale sur certaines activités visibles notamment à l’aval, oubliant les monopoleurs, favorise l’extension de cette sphère. Une enquête de 2009/2010 de l’Union des commerçants algériens estimel’évasion fiscale annuelle due à cette sphère à environ 3 milliards de dollars par an.

L'informel en maître du marché

Que nos responsables visitent les sites où se développe l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et ils verront que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure mais avec des hypothèques existant une intermédiation financière informelle. Cela explique l’abandon d’exiger un chèque pour un montant supérieur à 500.000 dinars, mesure qui devait être appliquée à compter du 2 avril 2011, en rappelant que cette même mesure a achoppé entre 2007/2008 avec l’exigence d’un chèque pour 50.000 dinars. Faute d’enquêtes précises, en matière d’emplois, en prenant les données de certaines enquêtes de 2008/2009, contrôlant environ 40% de la masse monétaire en circulation hors banques mais beaucoup plus si l’on inclut les transactions en nature et 65% des segments des produits de première nécessité : marché des fruits et légumes, marché du poisson, marché de la viande rouge et blanche et le marché du textile et cuir à travers une importation de valises désordonnées.

Une récente étude réalisée par des experts américains spécialistes du Maghreb conclut que la surface économique algérienne est constituée à plus de 50% par la sphère informelle et hors hydrocarbures allant vers 70%. Cela n’est pas le produit du hasard. Cela reflète le manque de vision du passage d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures supposant de profond réaménagement dans les structures du pouvoir algérien assis sur la les liens dialectiques entre la rente des hydrocarbures et la sphère marchande informelle. Et le mesures autoritaires bureaucratiques, sans mécanismes de régulation clairs, produisent l’effet inverse. Car lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation social, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités et expert international en management stratégique

(*) Nous n’avons pas attendu les résultats du recensement du gouvernement de 2012 ni le Conseil économique et social (CNES) pour proposer avec de nombreux experts indépendants, un large débat sur l’avenir de l’économie algérienne réhabilitant le savoir et l’entrepris. Dès 2007/2008, nous avons mis en relief et attiré l'attention sur la dominance dangereuse de la tertiairisation de l’économie algérienne.

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (1) | Réagir ?

avatar
Abdellaziz DJEFFAL

L’État n'est pas absent; il est indifférent. Disposant des recettes des hydrocarbures et de l'impôt sur le revenu des salaires prélevé à la source, il ne fait pas attention à ce que l'on se dit. Pour étudier toutes les propositions faites ici et ailleurs et en mettre à exécution les meilleures, nous devons revoir le fonctionnement de l’État, voire le refonder sur de nouvelles bases.