Bouteflika invite la France à l'examen de conscience : est-il crédible ?
En invitant la France à faire son mea culpa sur son passé coloniale de manière "lucide et courageuse", Bouteflika se pose en vigile de la mémoire flouée des Algériens. Or, durant ses treize années de règne, a-t-il eu cet examen "lucide et courageux" sur sa propre gouvernance?
Dans une lettre adressée au Président de la République française à l’occasion de la fête du 5 juillet, le président algérien a estimé qu’il était temps de faire un "examen lucide et courageux" du passé entre l’Algérie et la France. François Hollande, de son côté, dans une missive de vœux à son homologue algérien à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, a estimé qu'il y avait "place désormais pour un regard lucide et responsable" de la France sur son passé colonial en Algérie.
D’un côté comme de l’autre, il y a une volonté de "lucidité", de discernement, plus exactement, dans le passé historique qui lie les deux pays. Mais quel sens recouvre ce mot selon qu’il est prononcé par l’un et l’autre. Pour Bouteflika, cette lucidité se veut un "examen courageux" du passé entre l’Algérie (colonisée) et la France (coloniale). 50 ans après l’indépendance du pays, que signifie cet examen lucide ?, qui suppose à postériori que tous les examens antérieurs ont manqué de discernement sur le passé colonial de la France et que l’heure est venue pour les règlements des contentieux historiques. Par cette approche "lucide", Bouteflika veut dépassionner cette mise à l’épreuve de l’Histoire mais il l’entend «courageuse» ce qui suggère que l’ancienne puissance coloniale a peur de reconnaître son passé colonial, de faire son mea culpa. Il faut donc qu’elle sorte de ses silences et qu’elle reconnaisse un passé d’un siècle et demi de conquêtes coloniales, d’expropriations foncières, de massacres, de torture, d’exactions, d’OAS. Mais pour exhorter l’ancienne puissance coloniale, devenue cinquante ans après les accords d'Evian une terre d’asile d’intellectuels persécutés, menacés de mort par le terrorisme islamiste et le refuge "historique" de jeunes harragas expropriés de leur pays par ses propres gouvernants, encore faut-il que Bouteflika ait ce même regard «lucide et courageux» d’un compatriote sur l’histoire de son pays.
Cette question mérite d’être posée : depuis 13 ans de règne, quel a été son rapport avec l’histoire contemporaine de l’Algérie, celle de la guerre de libération et celle de la décennie noire ? Il a nourri des polémiques sans lendemain sur l’histoire des harkis, exigé de la Françe à reconnaître le caractère "génocidaire" du massacre du 8 mai 45, voué aux gémonies les harkis. A quels buts ? Des associations, avant lui, ont exprimé quelques unes de ces revendications, entre autre, le "génocide" du 8 mai 45, sous la plume de Bachir Boumaza avant qu’il ne soit élu Président de l’Assemblée nationale, par le collectif du 8 mai 45 et par des historiens essayistes comme Mostefa Lacheraf et Redouane Aïnad Tabet dans une approche autrement plus sereine, académique et scientifique à l’épreuve des faits. Ces mêmes historiens ont été limogés de leur poste ministériel, tel Mostefa Lacheraf du Ministère de l’Education national bien avant Bouteflika et d’autres historiens chercheurs, qui, cette fois, sous son règne, ont été minorisés au sein des universités pour avoir justement développé ce regard lucide sur l’histoire coloniale de l’Algérie dans ses réalités et ses contradictions.
On s’aperçoit, dès lors, que cette campagne médiatique menée par Bouteflika contre la France coloniale, lorsqu’il entamait son deuxième mandat en 2004, n’est que discours de campagne, une opération de charme pour gagner à sa cause les islamistes et les milieux islamo-conservateurs rentiers et prédateurs, en déviant les véritables problèmes de l’Algérie mise à feu et à sang par les maquis terroristes, d' une Algérie malade de son indépendance et de sa religion qui, depuis longtemps, ne se nourrit pas de son passé puisque les jeunes âgés de moins de 20 représentent plus de 80% de la population. Bouteflika a donc exploité avec préméditation le passé colonial de l’Algérie, l’a instrumentalisé à des fins personnelles et l’a surtout fondé sur une politique obscurantiste, d’islamisation. Pis encore : il a perverti la juste reconnaissance par la France d’un passé colonial abominable hors des passions rancunières - car un crime qui n’est pas condamné par l’histoire rebondit - en en faisant l’ennemi de sa concorde civile pour la "paix". Son argument alors : le terrorisme islamiste, c’est "hizb França", "la main étrangère", les "néocolonialistes", "la revanche des des harkis", dédouanant donc les maquis d’alors du GSPC et du GIA de leurs crimes, attribuant leur massacre de populations civiles, à la France coloniale.
Il a donc dévoyé le segment historique en en faisant un substitut idéologique à l’œuvre destructrice des maquis du GSPC et, aujourd’hui d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Il y a quelques jours, dans le contexte du cinquantenaire de l’indépendance, son ministre des Moudjahidines, Mohamed Cherif Abbas, est monté au créneau pour appeler à "la criminalisation" de la France coloniale alors que jamais ce terme de "criminalisation" n’a été évoqué dans la lutte antiterroriste. Si l’on croit la thèse de Benjamin Stora qui revoit à la baisse le nombre des martyrs durant la guerre de libération nationale, le bilan chiffré dépasserait à peine les 200.000 morts, des civils, tués durant la décennie noire.
Mais où est donc ce regard lucide chez Bouteflika qui accorde l’immunité totale au terrorisme islamiste, à leur chef idéologique, nourrit le lit de l’islamisme politique en crachant sur les actes héroïques de l’Algérie tant de 54 que des années 90 durant lesquelles d’anciens résistants de la guerre de libération ont repris les armes contre les GIA. Ces patriotes ont été désarmés par sa politique de réconciliation nationale et condamnés à mort comme ce fut le cas pour Mohamed Gharbi.
Bouteflika est-il habilité à demander à la France de reconnaître les pratiques génocidaires de son passé colonial en Algérie alors même que les mêmes pratiques génocidaires ont été pratiquées sur des milliers de familles algériennes par le terrorisme islamiste. Bien sûr, le terrorisme islamiste ne saurait faire oublier les massacres coloniaux mais il les a reconduits en la forme et en le fond et il été gracié, ennobli, historié, héroïsé au point où il est allé jusqu'à cet aveu - il est bon de rappeler cette phrase lancée par lui lors d’un conseil des ministres - : "Si j’avais leur âge ( des terroristes), j’en aurais fait autant".
Le fait colonial qu’il demande à la France de reconnaître a été reproduit avec la même sauvagerie par les terroristes du GSPC et du GIA et bénéficie à ce jour de l’impunité totale. Pour cela, Bouteflika n’est pas habilité à exiger de la France un mae culpa sur ses antécédents coloniaux. Il faut sans doute un Président élu démocratiquement sur le fond, qui abolisse purement et simplement la politique de concorde civile, engage une lutte résolue contre le terrorisme islamiste, remette le pays sur les rails, pour qu’enfin, il y ait véritablement ce regard lucide sur l’Histoire.
C’est d’ailleurs un peu de cela que contient le discours de François Hollande, hier, à l'occasion de la fête du 14 juillet, abordant l’éventualité d’une intervention militaire au Mali. Il faut a-t-il dit, un gouvernement crédible au Mali pour envisager une telle mesure car a-t-il dit, c’est aux Africains de décider quand et comment ils pourront envisager une intervention armée commune contre Al Qaïda au Maghreb islamique. De même, comment le règne de Bouteflika qui s’emploie à vider le pays de ses richesses, faire de l’histoire comme on dit la servante de son pouvoir, installer une dictature incolore et inodore, pernicieuse, rampante, sous le couvert d’un patriotisme de mauvais aloi et de guingois, peut-il se targuer d’être le vigile de la mémoire flouée des Algériens.
Osons cela : c’est son attitude irresponsable qui a réveillé en France les réseaux des ultra de l’Algérie française qui ont applaudi à sa réconciliation nationale et permis à Sarkozy de faire voter la loi sur "La colonisation positive".
Sur ce sujet, la sémantique de François Hollande est tout autre. En affirmant qu’il y a "place désormais pour un regard lucide et responsable" de la France sur son passé colonial, ce qui veut dire, un regard critique interne et non dirigé vers l’Algérie, il met en valeur son pays afin qu’il se débarrasse de ses cauchemars coloniaux et que ces derniers, en les condamnant pour une France plus juste, celle de la diversité, ne soient plus des violences coloniales rapatriées dans les banlieues françaises ou servent d’effigies à des Mohamed Merah. Mais c’est là un autre aspect de la question…
R.N
Commentaires (6) | Réagir ?
Il est très difficile pour l'Algérie de demander des comptes sur le passé coloniale à la République française. Pour une raison simple car' Algérie' est responsable de crime contre l'humanité, elle est responsable de 230000 morts d' Algériens en dix ans.
Car l’État de droit n'a pas encore vu le jour en Algérie. Ce pays est toujours gouverné par une junte militaire avec quelques civiles issue du FLN.
Il faut une élite politique algérienne digne de ce nom, alors que aujourd'hui les élites politiques algériens sont des voyous. Pour quelques dollars ils peuvent vendre leurs Mère. D'ailleurs ils ont vendu le pays notamment le sud du pays pour les sociétés pétrolière étrangers
En effet, je rejoint tout à fait Oziris, et je rajouterais que si la France veut un un jour, ou aspire de devenir une vrai démocratie, il faut absolument qu'elle passe par le repenti, mais qu'elle dise toutes les vérités, et sans exception.