Laurent Fabius à Alger : pour un nouvel espace euro-méditerranéen
Le ministre des Affaires étrangères françaises, Laurent Fabius, est en visite dimanche et lundi en Algérie. L'objectif : préparer la venue du président François Hollande. Mais pas seulement sans doute, puisque plusieurs dossiers sont en suspens depuis pas mal d'années.
Quel constat de la coopération algéro-française peut-on dresser aujourd’hui ?
Les échanges entre la France et l’Algérie ont plus que triplé en douze ans. Les 430 entreprises françaises présentes en Algérie emploient plus de 35 000 personnes sans compter les emplois indirects, et 180 PME françaises sont intéressées à investir en Algérie, selon des sources françaises. La France demeure le 1er fournisseur de l’Algérie avec plus de 6 milliards de dollars, et son 4e client avec plus de 4,5 milliards de dollars, selon les chiffres des douanes algériennes pour l’année 2010. Les relations économiques et commerciales ont progressé de manière très rapide depuis 1999. La France reste le premier fournisseur de l’Algérie en moyenne 2009/2010, 15,7% de part de marché, les échanges entre la France et l’Algérie ayant plus que triplé en douze ans. L’Algérie est le premier partenaire commercial de la France en Afrique (Maghreb, Egypte comprise, et Afrique sub-saharienne). Si l’on étend les comparaisons au reste du monde, l’Algérie est le troisième marché pour les exportations françaises hors pays de l’OCDE, après la Chine et la Russie. La moitié des exportations sont réalisées par des PME.
L’Algérie est un partenaire stratégique en matière d’énergie pour l’Europe (concurrent de la Norvège et de la Russie) dont la France, comme le montrent les bonnes relations entre Gaz de France, Total et Sonatrach. Et ce à travers Medgaz (Europe, via Espagne), Transmed (Europe, via Italie, le projet Galsi étant actuellement en suspens), les prévisions étant une exportation totale de 85 milliards de mètres cubes gazeux à l’horizon 2015, dont une grande partie en direction de l’Europe. Le projet Nigal (Nigeria-Europe, via Algérie) est toujours en gestation : son financement nécessite plus de 15 milliards de dollars, alors qu’il était prévu à 7 milliards de dollars. Il faudrait entrevoir également le développement de l’énergie solaire qui peut donner lieu à une coopération par la promotion de multitudes de PMI/PME du fait des données concernant l’épuisement à terme des énergies fossiles en Algérie dont la durée de vie des réserves en termes de rentabilité financière sont les plus contradictoires (16 ans pour le pétrole, 25 ans pour le gaz, en tenant compte de la forte consommation intérieure et des prévisions d’exportation). Rappelons que dans le domaine énergie, quatre accords ont été signés : le premier, l’Accord algéro-français de partenariat énergétique, vise à renforcer la coopération entre les administrations et les entreprises du secteur des deux pays. Le second Accord constitue un renouvellement du protocole d’accord signé en 2003, entre l’Agence de promotion et de rationalisation de l’énergie (APRUE), côté algérien, et l’Ademe, côté français. Deux autres accords de nature commerciale ont été signés entre l’entreprise nationale Sonatrach et Gaz de France par les PDG des deux compagnies. Les investissements en hausse de Total marquent le retour des Français dans le secteur des hydrocarbures en Algérie, où ils ont été supplantés par les Américains et les Britanniques. Concernant les services nous assistons à la présence des banques françaises en Algérie à l’instar de BNP-Paribas et Société Générale, ainsi que assureurs français comme le grand assureur Axa.
Des échanges insuffisants et structurellement figés
Il faut reconnaître que les relations économiques entre l’Algérie et la France, malgré des discours de bonnes intentions, sont loin des attentes entre les deux pays, se limitant essentiellement aux hydrocarbures pour la partie algérienne, aux services, notamment bancaires, l’agroalimentaire, les produits pharmaceutiques et les produits issus de l’industrie automobile pour la partie française, alors que les potentialités sont énormes. Il y a effectivement des aspects politiques qui freinent ces échanges. Il appartient aux historiens algériens et français d’en faire l’écriture objective. Mais, il faut être conscient que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d’État, mais sur des réseaux et organisations décentralisés à travers l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération, le dialogue des cultures, l’émigration ciment de l’inter-culturalité pouvant être un vecteur dynamisant.
Certes les échanges commerciaux sont en hausse mais demeurent figés dans leurs structures. Malgré une bonne évolution, ces échanges sont dérisoires comparées aux exportations et importations des deux pays. La France, dans bon nombre d’affaires en Algérie, est devancée par l’Italie et la Chine qui prennent des parts de marché de plus en plus en plus importantes. C’est que dans la pratique des affaires il n’y a pas de "fraternité", de sentiments, et l’Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c’est le cas de la France. Les opérateurs, qu’ils soient arabes, algériens chinois, français ou américains, étant mus par la logique du profit maximum, iront là où, sous réserves des contraintes sociopolitiques et socioéconomiques, ils pourront réaliser ce profit maximum. C’est dans ce cadre, que le gouvernement algérien a décrété plusieurs textes encadrant l’investissement étranger. Outre que pour toute soumission des investisseurs étrangers, la préférence nationale a été portée de 15 à 25% selon le nouveau code des marchés, signifiant que même si le coût est 25% plus élevé pour la réalisation de tout projet, la priorité sera donnée à l’entreprise algérienne, pour le commerce. La loi de finances complémentaire 2009, avalisée par celles de 2010/2011, prévoit pour le commerce 30% au maximum pour les étrangers et 70% pour les nationaux.
Pour l’agriculture, la nouvelle loi foncière 2010 restreint presque toute activé pour les étrangers. Concernant l’encadrement de l’investissement étranger dans les services, BTPH et industries y compris les hydrocarbures, le privé étranger doit avoir au maximum 49% et le local 51%. Par ailleurs, l’État algérien a introduit des changements entendant faire prévaloir le droit de préemption, et que « toute transaction qui ne respecte pas les dispositions légales ne sera pas avalisée par les pouvoirs publics et sera déclarée nulle et sans effet », invoquant l’article 62 de la loi de finances complémentaire de 2009 qui stipule que "l’État ainsi que les entreprises publiques économiques disposent d’un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d’actionnaires étrangers". Comme il ya lieu de signaler qu’en cas de cession se pose le problème de l’application des dispositions de la loi de finances 2009 qui stipule un taux d’imposition à 20% du taux de l’IRG applicable aux plus values de cession de la partie étrangère (article 47 Loi de finances 2009), ainsi qu’un contrôle plus rigoureux des transferts de capitaux à travers la nouvelle réglementation des changes. Lors du Conseil des ministres du 25 août 2010, ces mesures ont été étendues aux banques étrangères complétant l’ordonnance n°03-11 du 26 août 2003, relative à la monnaie et au crédit.
Améliorer la coopération Algérie/France dans le cadre de l’Etat de droit et la démocratie
Sous réserve de profondes réformes micro-économiques et institutionnelles, liant réformes et démocratie, une visibilité et cohérence dans la politique socioéconomique évitant l’instabilité juridique perpétuelle qui décourage tout investisseur dans le moyen et long terme, l’Algérie a les potentialités pour passer d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures et devenir un pays pivot au sein de l’espace euro-méditerranéen et arabo-africain. L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen Orient ; la taille du marché intérieur estimée à environ 36 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes (pétrole, gaz), ainsi que d’autres ressources minérales non négligeables, peu ou pas exploitées, notamment le phosphate, le fer et l’or ; des ressources humaines en grande partie jeunes, qualifiées et abondantes.
Autres atouts : l’Algérie a un stock de la dette inférieur à 4 milliards de dollars, des réserves de change d’environ 190 milliards de dollars au 1er juillet 2012 et un programme d’investissement 2010/2014 de 286 milliards de dollars et, enfin, les liens historiques et culturels qui unissent l’Algérie et la France. En cette ère de mondialisation avec les grands espaces et les effets de la crise d’octobre 2008 qui aura pour conséquence une importante reconfiguration géostratégique et économique entre 2015/2020, il est dans l’intérêt de tous les pays du Maghreb d’accélérer l’intégration économique, si l’on veut attirer des investisseurs potentiels intéressés non par des micro espaces, mais par un marché de plus de 100 millions d’habitants pour le Maghreb, de 500 millions pour l’espace euro-méditerranéen, et 1,5 milliard d’âmes à l’horizon 2020 pour le continent africain (1). D’ailleurs l’avenir de l’Europe et du Maghreb est en Afrique. Que la France et d‘une manière générale l’Occident, évite les erreurs du passé, où elle a encouragé les régimes dictatoriaux et la corruption. Combien de dirigeants arabes et africains ont des biens colossaux en France alors que la misère de leur peuple s’accroit ? D’où l’importance de mettre en place de nouveaux réseaux entre l’Europe et l’Algérie, conciliant une économie une marché humanisée et la modernité des deux cotés de la méditerranée, les anciens réseaux affilés surtout aux partis communistes, étant devenus inopérants, et ce à l’instar de la stratégie US. Qu’elle médite les expériences récentes tunisiennes, libyennes, yéménites, égyptiennes, actuellement le drame malien et syrien en ne se limitant pas seulement aux aspects économiques, mais en prenant en compte les dimensions sociales, politiques et culturelles. Certes le changement bénéfique ne peut provenir que de l’intérieur mais elle peut contribuer à favoriser la protection des droits de l’homme, la promotion de la femme signe évident de la vitalité de toute société, bref l’Etat de droit et la démocratie tenant compte de l’anthropologie culturelle des sociétés.
Le devoir de mémoire s’impose entre la France et l’Algérie, les deux venant de célébrer l’Algérie 50 années d’indépendance, la France le 14 juillet où ces révolutions ont reposé sur les principes de liberté individuelle et collective. Dépassionnons les relations entre l’Algérie et la France mouvementée, comme celles d’un vieux couple, grâce à un partenariat équilibré et solidaire pour une prospérité partagée, loin de tout esprit de domination. Tout en n’oubliant pas le passé, le plus important au moment de ces bouleversements mondiaux est de préparer l’avenir nsemble.
Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités
(1) "Le Maghreb dans son environnement régional et international : la coopération Europe/Maghreb face aux mutations géostratégiques mondiales" : contribution du professeur Abderrahmane Mebtoul à Institut Français des Relations Internationales (IFRI, Paris, 28 avril 2011 ; 60 pages), où l’auteur insiste sur les résultats mitigés du processus de Barcelone, sur l’urgence d’une nouvelle conception des relations internationales, loin de tout esprit de domination.
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