Hollande à Bouteflika : 5 petits mots et puis s’en vont !
"Le jour où l’Algérie n’aura plus de gaz, la France ouvrira une ambassade à Ghardaïa." Rabah Bencherif
"Un regard lucide et responsable sur son passé", c’est exactement le regard que doit avoir un maître face à son élève en train d’apprendre l’Histoire, ou celui d’un bon négociant sur l’origine d’une marchandise et sur le contrôle de son authenticité. Mais, ici, c’est ce qu’écrit le président français, François Hollande, au président algérien Abdelaziz Bouteflika dans une lettre qu’il lui adresse à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de son pays. En tout cas il s’agit dans l’ensemble du message, me semble-t-il, la phrase la plus intéressante qui mérite l’analyse au moins pour ce qu’elle peut charger comme connotations intelligibles par rapport aux frottements au sommet depuis les premiers gouvernements, de part et d’autre, une fois l’Algérie reconnue comme Etat politiquement indépendant – le reste pourrait consister en un exercice de masochisme au profit d’un spécialiste de l’économie politique en mal d’expérimentation sur l’endurance.
Les mots de la politique
Quelqu’un de lucide c’est quelqu’un de clairvoyant et une entité qui est lucide est une entité qui est claire, tandis qu’un individu responsable est une personne qui répond de ses actes et des actes d’autrui dont il a l’égide. Et par conséquent il est loisible de se permettre la reformulation de la phrase, afin d’en saisir le fond et l’intérêt dans l’échange avec le partenaire à qui elle s’adresse, l’effet qu’elle lui produit ou la réaction qu’il est attendu de lui, donc la réordonnancer de cette manière : «un regard clair qui répond de ses actes et des actes de tous les Français sous l’autorité de François Hollande, le président de la République, qui est responsable des citoyens et des citoyennes, c’est-à-dire qu’il répond en même temps de ses actes et des actes de tous les membres de la République.» Mais là encore on ne sait pas si le «regard lucide, clair» est aussi celui de tous les Français et les Françaises qui ont porté haut celui qui s’apprête à regarder lucide, clair. Et des autres qui ne l’ont pas soutenus mais qui sont obligés de faire tout comme parce que les contraintes de la démocratie l’indiquent. Et c’est de ce côté de la chose où ce n’est pas clair et dont les responsabilités s’emmêlent.
Un chef d’Etat peut avoir une vision claire et responsable de ce qui lui semble être le passé de son pays. C’est son droit, à François Hollande, de choisir entre Robespierre et Danton, d’avoir son idée personnelle sur la décapitation de Louis XVI, de faire interférer dans sa conscience le rôle qu’a eu à jouer François Mitterrand dans le gouvernement de Vichy, de considérer les bombes dans les cafés d’Alger occupé comme des actes terroristes ou des opérations de combat pour le recouvrement de la liberté, mais encore plus dans le plus récent, de dénoncer ou de soutenir l’intervention française en Afghanistan ou en Libye. Mais tout individu qu’il est, responsable de son passé propre et lucide là-dessus, comme tout être sain d’esprit, est-ce qu’au titre et à la valeur d’un citoyen élu président de la République, lui est-il rationnel de prétendre parler au nom d’un passé où ni lui ni la génération à laquelle il appartient, n’étaient pas encore de ce monde ? Difficile, car un homme politique est une institution, voire un dogme, qui possède ses repères dans l’Histoire et dans les intérêts. C’est pourquoi un homme – ou une femme – d’Etat qui parle, il n’est pas aisé de saisir la conscience de l’homme qui est en lui.
L’Histoire entre l’intérêt et l’entourloupe
Les puristes carrés durs, de Paris et d’Alger, vont tout de suite dire qu’il faut se référer à la loi, s’il faut dénoncer, applaudir ou fermer les yeux. Vas-y pour la loi. Le cabinet de l’Elysée propose un projet de texte condamnant le fait colonial dans son ensemble et celui ayant eu lieu en Algérie en particulier ; en séance plénière d’automne on vote pour et une fois le texte promulgué, tous ceux qui osent prononcer le nom de Massue opérant en Algérie ou celui de la guillotine de Barberousse, ils seront affectés manu militari à Fresnes. Et entre temps, la légende au bas de l’effigie de l’Emir Abd el Kader – là, j’écris le nom du héros de Mascara à «la française» - sur la plaque sera rectifiée, héros algérien tout cours au lieu, comme c’est voulu marquer ainsi, «héros national algérien» et François Hollande aura aussi vite fait des excuses là-dessus sur la méprise qui devait laisser accroire, dans la hardiesse de l’ambiguïté structurelle de la phrase, à la nationalité double.
Condamner Zaatcha, les villages rasés, les pilonnages, les enfumades, les déportations en masse, les expropriations, les enrôlements de force, les viols, l ’OAS, et cetera, d’accord. Et alors ? Ensuite ? Ça participera de quoi en concret, palpable, dans les affaires courantes, sur le plan des échanges pratiques ? Par exemple de quelle manière ça pourrait motiver ou désaffecter pour une tâche précise dans un projet commun d’étude de bâtisse des ingénieurs algériens et des homologues français, quand les uns reconnaissent les méfaits du colonialisme et les autres s’en battent les flancs ? De quelle façon un technicien français dans l’ingénierie médicale peut-il s’impliquer à faire apprendre son savoir à des étudiants algériens s’il s’en fout éperdument de cette question ? Faudrait-il refuser une offre intéressante de la part d’un spécialiste de la semence végétale qui propose la mise en place d’un laboratoire pilote dans un site agricole en Algérie pour la raison qu’il est comme sa famille, nostalgique de l’Algérie française ?
Au regard de l’émigration
Regarder lucide et responsable sur son passé excite en quoi la réalité de la communauté algérienne installée en France ? Mais laquelle ? Personne n’ignore qu’il y a un kaléidoscope de groupes d’Algériens en territoire français. Il y a d’abord les Français d’origine algérienne qui n’ont à vrai dire rien à attendre du gouvernement algérien dans la garantie de leur existence dans leur pays, parce qu’ils sont français de nationalité unique et il y a les binationaux qui posent, en gros et entre autres, des problèmes au gouvernement algérien concernant le droit à être élu dans des institutions algériennes et au gouvernement français dans le domaine de l’assurance et de la sécurité sociale. Et ensuite nous avons les Algériens qui possèdent des permis de séjour pour travailler – certains pour étudier mais qui finiront par y rester ; ils sont plus nombreux que les premiers qui, en définitive, ils n’ont d’algériens que les traits maghrébins et la nationalité algérienne mais de temps en temps ils s’enflammes pour les couleurs que porte l’équipe de foot algérienne qui joue un match prestigieux. Et enfin il y a la migration touristique qui peut aller d’une semaine à vingt ans. Aucune statistique sérieuse n’a été faite sur ce sujet pour au moins les deux décennies précédentes qui aura vu une bonne partie de la population algérienne quasiment vieillir en France sans régulariser son séjour ou comme on dit ses « papiers », cette population pourrait être estimée à des centaines de milliers de cas, peut-être plus, si l’on considère le problème depuis la liberté de circuler en Europe où quiconque à partir d’un visa pour l’Espagne ou la Grèce, par exemple, du jour au lendemain il se retrouve tournant un boulon à Perpignan ou traire les vaches en Normandie.
Le pardon dans touts ses valeurs
Quitte à vouloir faire dans la parodie dramatique, saisissons les 230.000 nouveaux bacheliers algériens, sur une population juvénile de plus de la moitié de la population - qui est de 37 millions – parlons-leur de repentance et en même temps des possibilités d’études à Grenoble, Montpellier, Bordeaux, Aix-Marseille, Strasbourg, Nice, Lille, demandons-leur de choisir entre Marine Le Pen et Khalida Messaoudi la veille et allons voir le lendemain dans les consulats de France en Algérie pour voir s’il y a du monde. Nous risquons d’y trouver non seulement tous les bacheliers de cette année mais aussi ceux et celles qui l’ont obtenu des années auparavant, pour beaucoup ayant même obtenu des diplômes «prestigieux.» Un regard lucide et responsable, voilà où il faut le rendre terriblement à sa juste place. François Hollande, super puissant d’un produit national brut, bon an, mal an de quelque 2000 milliards de dollars, dix fois plus important que celui de Abdelaziz Bouteflika, qui, au demeurant, il n’est comptable que par la valeur du seul produit des hydrocarbures car ailleurs, dans d’autres domaines déterminant le travail de l’industrie, de l’agriculture ou des services, il est honteux d’en citer les marges, il le dit, tout compte fait, comme il aurait pu dire n’importe quoi parce qu’il sait qu’il n’a pas en face de lui une équivalence rationnelle dans le patrimoine mondiale du développement. Le troisième millénaire, désormais, n’admet à la crédibilité universelle que les pays créateurs de valeurs certaines, comme depuis la nuit des temps les valeurs qui écrivent justement l’Histoire. Nul n’entendra parler de Sophocle si les Pythagore et Euclide n’ont pas donné le ton pour que les charpentiers puissent bâtir les grands navires qui sillonnent le monde.
La France a toujours le dernier mot pour tout le monde
Il a, le président français, tout le loisir de parler flou, de dire la poésie même, si ça se trouve. Cinquante est un chiffre rond pour lequel il ne s’agit pas de dire des choses simples, sans emphase, et les philosophes autour de l’Elysée sont loin d’ignorer que le président algérien a de tout temps voulu laisser accroire – n’a-t-il pas répéter à plusieurs reprises «je suis de l’école française ; il fallait qu’il précise, à chaque fois, de l’école française indigène, du Second collège – que non seulement c’est un grand révolutionnaire, quelqu’un qui, entre autres, ait réglé un joint de culasse à la France, mais aussi, en dernier ressort, un sage du genre Gandhi, ou qui sait, du Dalaï lama de l’Islam – la preuve, il n’a pas hésité à amnistier des milliers de criminels en un tour de main, entre rebelles armés, militaires et flics n’en faisant qu’à leur tête.
Elle peut avoir été dite par de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estain, Mitterrand, Chirac ou Sarkozy, cette petite phrase, «il faut à la France un regard lucide et responsable sur son passé», les dirigeants algériens jurant de ne jamais être à la hauteur de leurs responsabilités respectives depuis cinquante ans, elle a le sens que la France ne peut prendre que ce qui est prenable de l’Algérie. la main-d’œuvre ? La France n’en veut plus, les gens crèvent la dalle dans ses territoires et le chômage y est endémique. Sa matière grise ? Le Tiers-monde en dispose à tire larigot et les voies d’accès pour certains pays de l’Asie du Sud-est y sont tracées depuis les points d’ancrage de la délocalisation, tandis que les cadres qui arrivent par les l’Est de l’Europe y sont parmi les mieux accueillis. Que reste-il ? Le tourisme ? Possible, si Paris décide de réduire à la mendicité le Maroc et la Tunisie pour lesquels, sans ressources énergétiques, la manne touristique est le maillon salvateur de leur équilibre économique entre l’agriculture et la manufacture. Alors ? Le gaz, vous dites ? C’est ce qui demeure en attendant son épuisement, repentance ou pas.
Nadir Bacha
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