Affaire Merah : quel rôle ont joué les services secrets français ?
Quels contacts entretenaient les renseignements français avec Mohamed Merah avant ses tueries de Toulouse ? Zahia Mokhtari, l'avocate algérienne de son père, affirme détenir deux vidéos, réclamées par la justice française, qui prouveraient que le "tueur au scooter" a été manipulé.
Ces enregistrements, qui n'ont pas été rendus publics, auraient été réalisés par Mohamed Merah au moment où la police assiégeait sonappartement toulousain et sont cités à l'appui d'une plainte pour meurtre déposée lundi à Paris par les avocates du père du "tueur au scooter", Mes Zahia Mokhtari et Isabelle Coutant-Peyre. Aussi étrange que cela puisse paraître ces enregistrements sont chez Echourouk, pas chez le juge d'instruction parisien.
Ainsi, mardi, le quotidien Echourouk a publié une traduction en arabe des conversations présumées entre Mohamed Merah et des policiers lors du siège qui fut fatal au tueur, une transcription qui a été authentifiée par Me Coutant-Peyre. Selon le quotidien, l'auteur des tueries de Toulouse et Montauban aurait affirmé avoir découvert durant ce siège qu'un homme qu'il croyait être son ami était en fait une "taupe", un agent des services français qui l'aurait manipulé, l'incitant notamment à partir en Irak, au Syrie et au Pakistan.
Extrait : "Allô Mohamed, sors et rends toi, personne ne te fera de mal, tu me connais et tu connais ma parole…", peut-on lire. "Va au diable espèce de traître, pourquoi voulez-vous me tuer aujourd’hui, qu’ai-je fait ? Je n’ai rien fait, je n’ai tué personne. C’est toi qui m’as emmené dans cette situation et je ne te le pardonnerai pas", aurait répondu Merah à son interlocuteur, un certain "Jossier". Un échange houleux s’ensuit entre les deux hommes. "Tu m’as envoyé en Irak, au Pakistan et en Syrie pour aider les musulmans et ensuite tu apparais comme un criminel et capitaine dans les renseignements, je ne te pensais pas comme ça, jamais !".
Beaucoup de questions entourent cette affaire. D'abord on se rappelle des déclarations de l'ancien président Sarkozy et de son ministre de l'Intérieur qui avaient insisté tous les deux que tout allait être fait pour le prendre vivant. Et on sait comment l'opération a fini. Ensuite : comment cet enregistrement qui contient ses échanges avec des agents de la DCRI serait-il arrivé aux mains du journal Echourouk surtout quand on sait que Mohamed Merah était encerclé et n'avait aucun contact avec l'extérieur ?
Me Coutant-Peyre a affirmé qu'il revenait à Me Mokhtari, sa consoeur algérienne, de transmettre ces vidéos à la justice, comme l'a demandé le parquet de Paris.
Contactée par l'AFP, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) n'a fait aucun commentaire sur ces vidéos. De source proche de l'enquête, on se montrait cependant très réservé sur ces vidéos que le tueur aurait envoyées de son téléphone portable à son père.
Les spéculations sur les liens entre Merah et les renseignements étaient apparues peu après la mort du tueur le 22 mars, du fait notamment de ses contacts avérés avec un agent de la DCRI de Toulouse en novembre 2011, à la suite de voyages en Afghanistan et au Pakistan. C'est ce même policier de la DCRI qui était intervenu pour négocier lors du siège. Un ancien patron du contre-espionnage, Yves Bonnet, s'était ouvertement interrogé sur un éventuel rôle d'indicateur que Merah aurait pu jouer.
Mais Bernard Squarcini, alors chef de la DCRI, avait démenti fin mars que l'homme qui avait abattu de sang froid sept personnes à Toulouse et Montauban entre les 11 et 19 mars ait été un "indic". Ce que l'ancien ministre de l'Intérieur Claude Guéant avait également "totalement exclu".
Une source policière a affirmé mardi à l'AFP que Merah a "pu être traité" directement de Paris par un agent de la DCRI - proche de Bernard Squarcini - car localement "ce n'était pas possible avec six agents travaillant sur une trentaine d'objectifs". Cet agent a "effectué des séjours à Toulouse dans cet esprit", selon elle, ce "qui ne veut pas dire que Merah a été un indicateur".
Merah, selon plusieurs autres sources policières du Renseignement, avait "le profil de cette minorité" de Français parfois "envoyés par les services secrets +faire le djihad+" sous "divers prétextes et parfois sous différentes pressions aussi". Selon ces sources policières du renseignement, cette information est toutefois "difficilement vérifiable".
Des éléments versés au dossier d'instruction et cités par Le Monde laissent penser que l'évolution du tueur vers un islam radical fut relativement tardive, après une enfance violente marquée par un fort sentiment d'abandon.
Les avocates de familles de victimes, Mes Samia Maktouf et Béatrice Dubreuil, ont indiqué à l'AFP que ces dernières étaient "extrêmement choquées de ce nouvel épisode" et attendent "des autorités que la vérité éclate". "Elles attendent en particulier beaucoup de la déclassification promise de tous les documents nécessaires à l'enquête", ont elles déclaré. Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a demandé une étude approfondie "sur ce qui a dysfonctionné" dans l'affaire Merah en raison d'un "échec" de l'Etat qui "n'a pas su ou pas pu protéger des Français".
LM/AFP
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