L'Algérie des chimères… ou le peuple sans rêves
Et, pourtant le peuple s'est mis à rêver un certain octobre 1988. Ce fut le pire des rêves qu'il avait risqué.
Car, cela lui avait coûté le prix de près de 200 000 victimes, près de 10 000 disparus et non retrouvés à ce jour, assassinés et torturés par des mains des plus barbares et des plus cyniques, au point que les cris de leurs douleurs furent entendus par les hommes des bords les plus éloignés de la terre. Encore une fois, un certain avril 2011, il s’est remis à rêver. Lorsque, par une ruse machiavélique, son bourreau de toujours lui miroita un rêve, auquel il avait feint de croire, malgré la réserve sur sa conviction de l’inaccessibilité de son vœu dans ces conditions. Car, son bourreau n’était motivé que par sa seule crainte de voir la colère de son supplicié se déchaîner et emporter dans son torrent de vagues, à la quête de sa dignité de peuple libre, toutes les certitudes qu’il avait cyniquement tissé pour maintenir sa position de dominateur privilégié. Ni le rêve de liberté, tant désiré par le peuple, ni le torrent de vagues à la quête de sa dignité de peuple libre, tant craint par son bourreau, ne furent à l’ordre du jour en cette échéance du10 mai, où l’Algérie des chimères reprendra le dessus sur les conjectures, nées de ce printemps des peuples qui avait un moment laissé planer l’espoir d’une dignité retrouvée.
Et ce n’est qu’une partie remise. Parce que le bourreau est convaincu que le peuple, telle une nature en éclosion, continuera dans son désir refoulé au plus profond de lui-même, à toujours rechercher à suivre la trajectoire qui le mènera à coup sûr vers la lumière de ses rêves. Également convaincu, que la diversité des couleurs de ses rêves, qui ne sont mus dans l’unité que par le destin commun de la quête d’une universelle dignité, ne pourra, tout au plus, que ralentir l’échéance de cet accomplissement incontournable et inévitable. Car, conscient que l’homme est doué d’une prédisposition naturelle à refuser la résignation, la fatalité et la soumission et ne pourra se dissoudre dans la ré animalisation. Dans cette situation d’inégales conditions et d’objectifs antagoniques et inconciliables, la partie ne pourra que continuer à se jouer dans une confrontation des plus larvées poussant le cynisme du bourreau jusqu'à l’outrance. Elle incitera ce dernier à redoubler d’imagination et de ruses pour anéantir toute tentative de réactivation des dynamiques que son supplicié mettra en œuvre pour réaliser ses rêves inaliénables et éternels.
C’est selon la conjoncture du moment. La ruse est éphémère et l’objectif est toujours le même : respecter indéfiniment les places et la distribution de l’ordre hiérarchique des supplices et des privilèges.
L’arme fatale du bourreau se résume à l’exploitation des faiblesses de sa proie, qui est rangée dans sa plus grande composante par l’ignorance, aliénée dans la croyance, et rendue vulnérable par la trahison des clercs et des mécènes, tels des saltimbanques embusqués dans l’ombre des privilèges, monnayant leur allégeance en débitant des discours anesthésiants envers des sujets asséchés de représentativité et dépourvus de discernements savants. L’exploitation des faiblesses du peuple consiste dans le plus simple de son expression à réactiver les rhétoriques populistes, pour réveiller cet inconscient collectif resté prisonnier de l’aliénation dans un nationalisme primaire, capables d’effacer le temps d’une pause, toute velléité de refus du discours dominant. Et déployer leurs effets néfastes sur la possibilité de prise de conscience des sujets sur leurs pénibles conditions d’enchaînement.
Dans cette phase d’incertitudes, suite au "coup de force" dénoncé par un homme courageux, tête de liste malheureux de ces législatives, si la tendance est au marchandage de compromis pour sauvegarder les privilèges, des voix s’élèvent çà et là contre toute compromission à l’insu du droit du peuple à disposer de lui-même. Ainsi, Samir Bouakouir, candidat recalé du FFS, avait courageusement dénoncé cette nouvelle forme de corruption par le marchandage pour l’allégeance au pouvoir contre des privilèges. En échange, il fallait avaliser le processus électoral et cesser toute contestation de celui-ci, par crainte de contamination de la volonté populaire. Cette attitude sournoise trouve une certaine illustration dans les propos sans concessions du cinéaste Jean Luc Godard dans une interview sur son film Socialisme en ces termes : "Je me souviens pendant la guerre de 40, les salauds savaient qu'ils étaient salauds et qu'ils mentaient. Aujourd'hui non, ils sont devenus sincères, ils sont sincèrement des salauds, ils ne se pensent pas mal. Avant ils se pensaient mal et à partir d’un certain moment, on est passé de salaud à un salaud sincère."
Mais les voix libres que tout le monde attend ne peuvent être que celles du repentir. Des voix qui consistent à reconnaître publiquement la grave erreur d’un moment d’égarement, en ayant contribué à la légitimation d’un pouvoir à la dérive, par la participation à son sauvetage. Au lieu de persister à vouloir faire croire, dans une fuite en avant, que leur action était un acte patriotique irréprochable, qui, pour certains, relève de manière inavouée de l’attrait irrésistible de la mangeoire et pour les autres, de ne pouvoir admettre un tel égarement, car cela les obligerait, pour eux et pour leurs partis, d’adopter une attitude de rupture avec le pouvoir central. Parce que l’aboutissement des intentions et des promesses de réformes et de changement avancées par le pouvoir n’était après coup qu’un leurre et, sa légitimité ne peut qu’être remise en question et n’a plus lieu d’être.
Le rêve éveillé, qui caractérise cette période trouble et troublante pour le devenir de la nation, trouvera-t-il des hommes et des femmes libres pour lui donner une forme et le mener à son terme, en épargnant au peuple une guerre civile tragiquement meurtrière ? En méditant ces paroles prévenantes et pleines de sagesse, toujours du même cinéaste à propos de son film Socialisme, qui affirmait "… qu’on ne peut pas penser la démocratie sans la tragédie… sans les familles politiques qui se disputent…que la démocratie et la tragédie se sont toujours accompagnées dans l'histoire pour déboucher sur la guerre civile…les familles politiques qui se disputent, ne pensent pas à Sophocle…"
Pour l’heure, les instincts du patriotisme et du nationalisme primaire, qui, toutes tripes saillantes, sont distraits par un deuil fabriqué de toutes pièces, au détriment de l’intimité d’une compatriote, qui nous a quittés, sans pour autant nous avoir tenus compagnie par le passé, comme l’avait si bien formulé le chroniqueur Kamel Daoud, dont Chikha Rimiti serait dubitative dans sa tombe si elle venait à savoir. Alors, que pendant ce temps-là se prépare pour un mois durant, le montage de toutes sortes de frasques possibles et imaginables, d’un engouement stérile autour de l’Équipe nationale de football, qui aura pour effet certain une anesthésie générale de la volonté de contestation des conditions politiques pouvant mener le peuple à son rêve essentiel. Il sera pendant ce temps-là ! reclus, malgré lui, dans un rêve éphémère de gloire nationale, que cette équipe pourrait lui procurer.
Youcef Benzatat
Commentaires (6) | Réagir ?
À quoi bon faire des rêves éphémères lorsqu’on vous sert sur le plateau : un paradis divin que ne pourra jamais atteindre aucun rêve humain? Il suffit juste d’avoir la foi.
Comment avoir la foi? Mais c’est très facile! L’école s’en charge diablement bien.
L'analyse de Y. Benzatat est certes pertinente, mais au-delà de ce constat, ne devrions-nous pas plutôt songer aux moyens de contrer ce pouvoir qui se permet (après le "printemps"arabe) de nous servir "une chorba"froide et fade;je dirais"sans goût"?C'est le changement dans la continuité!Mais qui veulent-ils convaincre?Personne n'est dupe! pas même le citoyen"lambda"si courtisé (avant) et qui sait que ce n'est pas pour ses beaux yeux que les "prétendants"l'ont tant courtisé!
Honte à ceux qui se sont prêtés à cette mascarade qui crient"au loup"tout en faisant partie de la meute!