Yaha Abdelhafid, "Au cœur des maquis de Kabylie"
Le premier tome des mémoires de Yaha Abdelhafid va paraitre samedi chez Inas Edition en Algérie.
"C’est l’heure des bilans". Le ton est donné dès l’avant-propos par Yaha Abdelhafidh. Celui qui était nommé par ses compagnons maquisards "Si El Hafid" livre, dans Ma Guerre d’Algérie. Au cœur des maquis de Kabylie[1] (1954-1962), son témoignage et ses souvenirs sur ce qu’a été son parcours dans cette guerre. Il le fait avec un grand souci de vérité comme l’indique les multiples incises modalisantes comme "je dois avouer…" et les circonstancielles d’opposition : "En dépit de ce que l’on a tendance à faire aujourd’hui…".
Le récit suit une progression chronologique linéaire. L’auteur, né en 1933 sous le regard des montagnes du Djurdjura en Kabylie, commence par évoquer le cadre familial qu’il dit primordial dans la formation de sa conscience sociale et politique. Il décrit en même temps la vie sous la domination coloniale, les injustices et la pauvreté qui vont présider à la guerre de 1954 : "A nous, les herbes sauvages et aux «métropolitains» le blé des vertes plaines algériennes."
C’est dans ces conditions difficiles que Yaha Abdelhafidh va grandir bercé par les récits de guerre qui ont pour héros Fadhma N’Soumer (1851-1860) et cheikh Aheddad (1871).
Entré dans les rangs du parti nationaliste PPA-MTLD, Si El Hafid va développer une haute conscience anticoloniale. Cela le met face à un monde fait de violences, notamment en le faisant assister à cette scène où des Algériens étaient jetés dans la rivière à Charleville-Mézières. C’était en 1952 bien avant les massacres d’Octobre 1961 .
Ma guerre d’Algérie est un témoignage qui révèle beaucoup de choses sur l’organisation interne du PPA-MTLD, devenu MNA, et confirme le culte de la personnalité de Messali Hadj. Il a aussi l’audace d’évoquer les violences commises par des éléments de l’ALN contre leurs compatriotes. Ces crimes sont devenus un point de focalisation en France, comme le démontre La Déchirure, de Gabriel Le Bonnin et – étonnement – Benjamin Stora, diffusé le 11 mars 2012 sur France 2, suivi d’un débat où il ne manquait plus à David Pujadas que de demander aux Algériens de se "repentir" pour avoir arraché leur indépendance. En Algérie, le discours officiel et nationaliste (dans le sens négatif cette fois) du Pouvoir en a fait un tabou parmi tant d’autres dans la fausse histoire qu’il s’est construite.
Durant ce parcours de combattant, on croise de grandes figures du FLN-ALN. Parmi elles, Krim Belkacem, Amirouche, Larbi Ben M’hidi… L’enfer de la guerre contre les populations civiles qui servaient de bouc émissaire à l’armée française. Celle-ci raflait, torturait et affamait. L’auteur y décrit aussi les opérations militaires et les embuscades menées par le FLN une certaine satisfaction dans le ton. Un sentiment qui disparaît quand il évoque le long drame de la "Bleuite" contre laquelle il s’est révolté. Il se souvient de la ravageuse "Opération Jumelles", la plus importante et la plus brutale opération militaire menée par la France en Algérie et probablement dans toutes ses colonies. Planifiée par le général Challe, l’Opération avait créé les camps de concentration en Kabylie, généralisé la torture et programmé la famine de toute la population, avec la mobilisation d’"environ 25 000 soldats en plus des 15 000 déjà installés" pour quadriller toute la région.
Yaha Abdelhafidh aborde très rapidement les luttes au sein du FLN qui allaient offrir le pouvoir à l’Armée des frontières. La suite de l’histoire est amère et Abdelhafidh la réserve pour le tome II de ses mémoires. Après l’indépendance, il va compter parmi les membres fondateurs du premier parti de l’opposition algérien le Front des Forces Socialistes (FFS). De ses années d’exil et de militantisme, le public attend avec impatience la relation des maquis de Kabylie en 1963, où le FFS avait pris les armes contre la dictature de Ben Bella. Une rébellion éteinte dans le sang et sur laquelle les témoignages sont aujourd’hui d’une grande rareté.
Ali Chibani
[1] Yaha Abdelhafid, Ma Guerre d’Algérie. Au cœur du maquis de Kabylie, souvenirs recueillis par Hamid Arab, Paris, Riveneuve éditions, 2012, 381 pages. Il vient de paraître chez Inas Edition en Algérie sous le titre Au cœur des maquis de Kabylie, mon combat pour la liberté et la patrie récit recueilli par Hamid Arab
A propos de l'auteur
Ali Chibani, auteur du recueil poétique L'Expiation des innocents, est docteur en littérature comparée avec une thèse soutenue à la Sorbonne et intitulée Temps clos et ruptures spatiales dans les œuvres de l'écrivain francophone Tahar Djaout et du chanteur-poète kabyle Lounis Aït Menguellet. Il collabore au mensuel Le Monde diplomatique, aux sites web SlateAfrique.fr et Tv5 Monde, ainsi qu'à la revue Cultures Sud. Il a également co-fondé le blog littéraire La Plume Francophone.
Séance Dédicaces
La librairie El Ijtihad, 9 rue Hamani, Alger, organise samedi 19 mai à 14h30 une séance dédicaces avec Yaha Abdelhafidh. La presse est invitée.
Commentaires (3) | Réagir ?
C'est une bonne chose, Si Lhafidh a contribué pour l'écriture de l'histoire, mais il aurait du citer ceux qui l'ont aidé à écrire et à recueillir ces témoignages, en l'occurrence l'ancien maquisard ALIK Mouloud, mon feu grand père. Si Lhafidh en compagnie avec Hamid Arab a rendu visite à mon grand père, ils sont venus chez lui à la maison, ils ont recueilli ses mémoires sans le citer. Mon grand père est doté d'une mémoire phénoménale, tous ses amis de combats n'hésitent pas de le solliciter pour chaque témoignage et commémoration. En un mot, il est la mémoire de la région d’Illilten. D’ailleurs, je n’invente rien si je dirai que la visite que lui rendais Si Abdelhafidh est motivée par sa mémoire dont il puisera l’essentiel des épisodes de son ouvrages. . Le paradoxe que j’ai relevé est que Si Elhafidh, actif dans la zone 4, nous parle peu de cette zone comme si sa mémoire était sélective. Il y a lieu de se demander pourquoi son récit ne retient que ce qui s’est passé dans la zone 3. A mon sens, ce décalage ne s’explique que par l’apport d’une autre source, qui aurait activée dans la zone 3, mon grand père en l’occurrence.
Chapeau bas pour ce grand homme, en l'occurence Mr Si el Hafidh, sincerement; mais pourquoi attendre 50 ans, n'est-il pas un peu trop tard?
On est dans une m... pas possible a cause du silence de ces anciens, notament ceux qui sont partis faire leur etudes en occident, Maintenant il n'y a que le Bon Dieu qui peu sortir cette algerie des griffes du FLN, et de la merde dans laquelle elle est coincée.
Bon courage a nous, les Algeriens.