Un livre de Salah Guemriche sur ce qui reste d'Alger la Blanche
"O Alger", "El-Djazira"… Alger la Blanche convoitée, qui a connu de multiples envahisseurs, garde son âme libre. Alger la blanche ou biographie d’une ville est l’œuvre remarquable de Salah Guemriche, publiée aux Editions Perrin.
Avec son irrésistible talent de restituer les mots à leur origine, Salah nous propose un magnifique voyage sur les côtes tempérées de l’ancienne Icosium. "El-Djazaïr, littéralement «les îles», désigne un chapelet d’îlots et de rochers à l’entrée de la rade".
A travers les mutilations humaines et architecturales du colonialisme, Alger la Blanche résiste encore à l’épreuve des dangers. Cette candeur blanchie par le soleil a accueilli d’illustres personnages. Cervantès, les frères Goncourt, Karl Marx, Jules verne, le Corbusier, et tant d’autres… Si la mosquée révolutionnaire de Oscar Niemeyer n’a pu voir le jour, Alger reste encore dans les cœurs, la capitale du Panaf Africain de 1969, avec Myriam Makéba, Archie Shepp "qui se rue, sur scène, applaudi par les militants du Black panthers, pour aller improviser des arabesques folles entraînant jusqu’à la transe. (…) La folie de l’art et de la culture avait saisi tout un peuple", révèle l’auteur.
Salah Guemriche retrace la destruction des lieux saints d’Alger, transformés en Eglise ou en ruine, et puis, "le café Malakoff, tout une histoire !"
Son livre est un véritable cabinet de curiosité qui rassemble des faits étonnants, lointains et proches. Cette traversée historique et culturelle, entre les vestiges d’une basilique paléochrétienne datant du cinquième siècle, découverte lors de l’installation du métro, en passant par des souvenirs de nuits passées à la cinémathèque d’Alger, jusqu’à l’actuel Casbah menacée par des effondrements naturels, est un véritable plaisir.
Salah reprend Camus, mais il le reprend pour mettre en relief une ambigüité. «Le soleil tue les questions» écrit Camus dans les malentendus. Cette Ville tombeau ne tue pas les questions, selon Salah Guemriche. Certains, comme Tahar Djaout, ont su la questionner pour nous rendre la vie habitable. Alger La Blanche de Salah Guemriche est une œuvre lumineuse et vivante qui achève les machinations impitoyables et étouffantes des hommes qui consistent à tuer les questions.
Fadéla Hebbadj
Et Salah Guemriche cite l’archevêque Duval, de nationalité algérienne, qui murmura avant de mourir : "Que de souffrances ! Mais il faudra bien que cela finisse un jour ! Vous, vous le verrez, moi pas… L’Algérie, alors étonnera le monde !"
Alger la Blanche, Biographies d’une ville
Salah Guemriche, Editions Perrin, 2012.
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" (…) Mais d’autres étymologies du nom de la ville ont été avancées, parmi lesquelles la plus sérieuse reste celle qui fait référence au nom de Dziri (ou Ziri), qui fut le patronyme de Bologhine Ibn Ziri, celui-là même qui, dès l’an 960, fit de l’antique Icosium sa capitale et celle de sa dynastie : les Zirides. Et de fait, en arabe, pour désigner l’habitant de la capitale algérienne, on emploie le mot « Dziri », qui signifie bien, et jusqu’à nos jours : « Algérois ». Dziri, ou Dzeïri, selon l’accent régional, fait penser du reste à la mention que l’on trouve chez le géographe arabe El-Bekri (XIe siècle) qui, lui, parle de « Djezeyer » ou « Dzeyer » (Alger) …
(...) Moins importante mais mieux lotie, géo-stratégiquement, que Tipaza et Césarée de Maurétanie (l’actuelle Cherchell), Icosium fut en fait livrée comme « butin de guerre » dans le conflit qui opposa les légions romaines (dépêchées par Caligula) aux légions numides de Ptolémée de Maurétanie…
Cité berbère, et pour une part judéo-berbère, christianisée après Rome et avant Tours, cité considérée à l’époque comme la « Rome des Gaules », Icosium est le sixième comptoir phénicien, après Hippone (Annaba), Jijel, Bougie, Tipaza et Cherchell, à avoir compté parmi sa population une communauté juive berbère. Vandale au Ve siècle, avant de redevenir romaine, puis byzantine ; arabo-musulmane à partir du début du VIIIe siècle ; capitale, vers l’an 960, de la dynastie berbère islamisée, les Zirides ; nid de corsaires (les fameux frères Barberousse) à partir du XVIe siècle ; turque de 1529 à 1830, puis française jusqu’en 1962, Alger aura subjugué, assimilé ou rejeté ses occupants successifs. " (Salah Guemriche, Alger la Blanche, biographies d'une ville, p. 27-30).
Je ne pourrais que vous inviter à écouter la complainte de M. Meskoud dans sa chanson " Ya Dzayère ya el assima" et bien sûr d'en méditer les paroles. La vitrine de l'Algérie nous renvoie l'image de ses responsables. Des roturiers ! Une malheureuse mésalliance dans le couple Alger-gouvernant. Alger était belle dans sa robe blanche et sentait le jasmin avant l'arrivée des prédateurs, une engeance sans origine qui a produit la saleté, la corruption, l'indécence et le désordre. Même nos campagnes n'ont pas échappé à ce mal qui a défiguré tout le pays.