MAROC - L'abstention est une sanction du système politique

Pour l’universitaire Yahya El-Yahyaoui le fort taux d’abstention aux législatives du 7 septembre ne signifie pas un désintérêt des citoyens marocains pour les pratiques démocratiques. Au contraire, selon lui, ses concitoyens ont fait preuve d’une conscience politique aiguë, née d’un ras-le-bol vis-à-vis d’institutions au bord du naufrage. A lire son décryptage du message politique contenu dans ce boycott...

On n’arrive toujours pas à saisir les enjeux du dernier scrutin. Sa préparation tout comme ses résultats n’auraient engendré que du vide ! Pendant la campagne, les différents partis présentaient les mêmes programmes, les projets n’étaient pas chiffrés et les promesses relevaient de la surenchère. Et, depuis, on a toujours du mal à évaluer cette opération électorale. On peut néanmoins en faire un premier bilan qui se résume en trois observations de fond.

Premièrement, le taux de participation [37 %, contre 52 % en 2002] a reculé et le vote blanc ou nul a progressé par rapport aux échéances précédentes. Beaucoup de bulletins comportaient des insultes et des termes exprimant la protestation et une profonde colère. Tout le monde s’est lamenté de la faiblesse de la participation, en l’interprétant comme le signe d’un dégoût pour la politique ou d’une dangereuse indifférence. Or les Marocains s’étaient massivement inscrits sur les listes électorales et s’étaient déplacés pour renouveler leurs cartes d’électeur. Certains observateurs et instituts de sondages en avaient conclu que le taux de participation atteindrait au moins 70 %. Il ne s’agit donc ni de dégoût pour la politique, ni d’indifférence, mais d’un boycott. Les Marocains ont sanctionné des élections pour un Parlement qui n’a pas de véritable pouvoir ni pour légiférer, ni pour influencer la composition du gouvernement, ni pour le contrôler, ni pour lui demander des comptes et encore moins pour le destituer. Il s’agit clairement d’un message politique.
Deuxièmement, on voit se dessiner une crise de confiance à l’encontre des partis politiques. Le citoyen sent bien qu’il y a un hiatus entre ces partis et sa réalité quotidienne. Il prend conscience que, pour l’élite politique, un siège parlementaire ne sert qu’à obtenir des avantages financiers et à entretenir des réseaux d’influence. Ce qui a été sanctionné, c’est un gouvernement et une politique nationale qui ne se préoccupent pas de la vie des gens.

Un ras-le-bol vis-à-vis d’institutions en faillite

Troisièmement, dès l’annonce des résultats, tous les partis sont rentrés dans le rang et se sont prêtés au jeu des consultations avec le Palais, dans l’attente de la décision du roi concernant le choix du Premier ministre. Lors de cette phase, le rouage le plus important est le consensus général autour de la primauté du roi, qui a toute latitude pour désigner le chef du gouvernement en dehors de la majorité issue des urnes. Certes, tout le monde sait que le choix se fait en fonction des équilibres et arrangements politiques. Mais, parmi les compétiteurs, aucun n’a réellement une vision d’ensemble et ne connaît vraiment les motivations qui vont guider le choix du roi. Certes, celui-ci a promis de respecter la démocratie et de désigner un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, et il a tenu sa promesse [le 19 septembre, Abbas El-Fassi a été nommé à ce poste]. Mais la Constitution lui accorde les pleins pouvoirs pour cette nomination.

Encore une fois : quel est le principal enseignement de la séquence politique ouverte par ces élections ? C’est que les Marocains n’ont pas la moindre confiance dans leurs partis. En boycottant ces élections, ils ont voulu faire tomber les masques, mettre à nu ces partis. Ils ont fait preuve d’une conscience politique aiguë, née d’un ras-le-bol vis-à-vis d’institutions au bord du naufrage et qui ont besoin d’être réformées d’urgence. On aurait totalement tort de penser que les Marocains se désintéressent de la politique de leur pays.

Al-Quds Al-Arabi

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Algerienne

Si tout le maghreb boycott les elections il y a un hic sur lequel il faut se pencher, les peuples ne font plus confiance à leur dirigeant et ont ras le bol de l'hypocrisie ambiante, que ce soit chez le monarque ou chez les dictateurs maquillés avec une pseudo_democratie de mauvais gout, le peuple en a par dessus la tête d'etre consideré comme la dernière roue de la charette, lorsqu'on sait que tout est joué d'avance on en a marre d'etre utilisé pour valider des mensonges qui vont à contre courant de l'intérêt general.

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khaledinfo

Les sections (AMDH) de Rabat, Salé et Témara ne ratent jamais l'occasion de manifester concrètement leur solidarité avec les victimes du makhzen (elles détiennent le record des sit in).

Une fois de plus, elles n'ont pas raté le rendez-vous avec l'histoire. Le samedi 6 octobre, elles ont organisé une caravane de solidarité vers la ville de Sefrou (35 voitures), ville victime de la répression le dimanche 23 septembre 2007, jour de protestation contre la cherté de la vie. Les militants des droits humains, de la gauche radicale, ont exprimé sur place leur soutient inconditionnel à la population de Sefrou en général et aux familles des victimes en particulier. La section de l'AMDH de Sefrou, quant à elle, elle ne ménage aucun effort pour soutenir les victimes, pour dénoncer l'arbitraire, et pour exiger la libération inconditionnelle des 44 détenus.

Comme de coutume, Samira, notre Samira a été de la partie, il suffit de regarder son blog.

Les militants ont l'air de dire " on n'est pas là pour vous demander de voter pour nous".

C'est un meeting de solidarité avec la population et non un "meeting de soutien à un parti parlementaire".

Militants-citoyens, c'est la symbiose qui fait bonheur, qui fait avancer le train du combat de la gauche.