Rapport du CNES : les 50 vérités qui accablent le gouvernement
Dysfonctionnements, anachronismes, disparités sociales et déséquilibre régional en matière d’emploi, d’éducation, de logement, de transport, de santé publique, de relation entre administration et administrés et entre élus et citoyens.
C’est ce qui ressort en substance du rapport du Cnes sur le développement local qui a été remis au président de la République. Il comporte cinquante recommandations et prône "un plan d’urgence" pour sortir du marasme. Cependant, avec un gouvernement qui est logiquement en fin de mission, occupé par une campagne morose pour les élections législatives, les populations qui avaient entrevu une lueur d’espoir dans des assises inédites qui leur ont été destinées, sont toujours dans l’expectative, alors que leurs conditions de vie ne cessent de se détériorer de jour en jour.
"Le changement doit être radical"
Sur saisine du président Bouteflika et après une tournée marathon du Cnes qui a sillonné les quatre coins du pays pour palper de visu la réalité du terrain, l’institution que préside Mohamed Seghir Babès a, au terme de 7 rencontres régionales puis deux rencontres nationales, fait un constat sans complaisance. "Le changement doit être radical. Les méthodes de gestion doivent changer afin de parvenir à une nouvelle dynamique apte à réaliser un véritable développement local à la hauteur des aspirations des citoyens et de leurs ambitions". Le Cnes, en qualifiant sa mission dans le rapport, dont nous avons obtenu une copie, de "démarche visant à analyser et évaluer la problématique de développement local à travers l’écoute des doléances des citoyens et de leur vécu réel et dans un véritable esprit critique", relève que "les Algériens demandent l’amélioration de leurs conditions de vie, ce qui est une revendication légitime". "Le rapport a gêné bon nombre des membres du gouvernement, nous a-t-on dit, car il met le doigt sur leur mauvaise gestion et leur absence de vision."
Un camouflet
Le document semble être un camouflet au gouvernement et avec lequel le président a voulu court-circuiter les notes optimistes de l’exécutif voyant que le front social est constamment en ébullition. La feuille de route du Cnes appelle à l’application de réformes globales, à court, moyen et long terme, et met l’accent sur la nécessité de rattraper le retard et de rectifier le tir et ce, en intégrant ce plan dans l’action du gouvernement. Parmi les axes ayant eu un pan important de l’expertise du Cnes, nous citerons :
Redéfinition du rôle de l’Etat et de ses démembrements
Pour atteindre un nouveau système de gouvernance dans une approche de la base au sommet, le Cnes recommande la décentralisation des pouvoirs. L’objectif étant de définir les missions et les rôles de chaque acteur pour éviter le chevauchement et les interférences entre l’administration centrale, l’administration locale et les élus. La décentralisation permettra également aux collectivités locales une autonomie d’action. Pour ce faire, le rapport insiste sur la "libération des énergies créatrices et innovantes, l’instauration d’une démocratie participative qui impliquerait la société civile". La révision de la fiscalité locale est également au menu des recommandations. Il est conseillé aussi plus de prérogatives aux walis pour qu’ils soient "en mesure de prendre des décisions, superviser la création d’entreprises et les accompagner, notamment celles créées par les jeunes promoteurs et ce travail pourra être renforcé par la création d’un observatoire national du développement local ayant pour mission l’étude, l’analyse et l’évaluation des projets pour le compte des collectivités locales". Une dynamique qui devra également être "expurgée des contraintes de la bureaucratie, et apte à instaurer des canaux d'écoute et de dialogue avec l’administration et les élus pour répondre à la demande sociale". En outre, "le développement des villes doit se faire dans le respect des normes universelles et sur des bases scientifiques avec une plus grande implication du mouvement associatif, notamment des comités de quartier, et une consécration de la culture civique et celle du vivre-ensemble".
Inefficacité des dispositifs d’emploi de jeunes
Le document élaboré par le Cnes explique que "l’emploi est l’une des préoccupations majeures des citoyens et suite aux pertes de postes d’emploi aussi bien dans le secteur public que privé, la seule alternative notamment pour les jeunes reste les mesures décidées dans le sens de la création d’emplois", cependant note le Cnes, "en dépit des coûts exorbitants engagés dans la lutte contre le chômage, les dispositifs mis en place n’ont pas prouvé leur efficacité. Les jeunes qui ont eu à s’exprimer lors des consultations se sont dits exaspérés par ces dispositifs et ce, à cause des passe-droits, de la bureaucratie et la mainmise de certains réseaux occultes". Le Cnes recommande "la révision globale de tous ces dispositifs et la possibilité de transformer les projets individuels en projets collectifs orientés, sous l’égide de l’Ansej et de la Cnac, et d’inclure la notion de l’emploi pérenne dans l’essence même du développement local, tout en accompagnant les jeunes promoteurs en leur accordant des avantages incitatifs pour la création de PME (petite et moyenne entreprise), TPE (très petite entreprise), ainsi que des start-up (entreprises émergentes)".
Le rapport insiste sur "l’élaboration d’une stratégie politique en faveur des jeunes". Si on part du principe que plus de 75% de la population est constituée de jeunes, on peut dire sans complexe que le peuple algérien est jeune et pourtant leur exclusion des domaines de la vie sociale, politique et économique est flagrante et ne répond à aucune logique. Déblocage du programme des 100 locaux par commune Le programme lancé en grandes pompes et qui devait constituer une bouffée d’oxygène pour les jeunes porteurs de projets est en stand-by et souvent quand les jeunes se rapprochent des APC pour s’en enquérir, ils ont cette phrase en guise d’explication "l’opération n’est pas encore terminée". Le Cnes a son point de vue là-dessus et analyse la situation en mettant le doigt sur les dysfonctionnements qui entachent l’exécution dudit programme. Le document souligne que le programme présidentiel des 100 locaux par commune "est une très bonne initiative mais son application est truffée de problèmes". Le Cnes précise que "ce programme enregistre un grand retard inexpliqué dans son exécution" et relève "les choix inappropriés des assiettes de terrain qui sont éloignées des habitations, la distribution opaque des locaux, leur l’exiguïté et les conditions inadéquates en rapport avec leurs activités". Le Cnes conseille de "revoir l’application de ce programme et lui donner toute l’attention qu’il mérite".
Outre le secteur de l’emploi, le Cnes, après ses moult pérégrinations, exhorte le gouvernement à "élaborer une stratégie nationale en faveur des jeunes car il s’avère que les efforts consentis dans les domaines de l’éducation, la formation, l’emploi, la protection sociale, la santé et le sport ont donné des résultats en deçà des attentes de cette frange de la population". C’est pour cette raison qu’"il faut revoir la perception que l’Etat a des jeunes et rétablir la confiance entre les deux et ce, en faisant une évaluation détaillée des différentes politiques pour déceler les failles et élaborer une nouvelle politique en adéquation avec la réalité". Et d’ajouter : "Il est impératif d’inscrire la question des jeunes dans les priorités urgentes du gouvernement." Parmi les propositions, on citera "l’organisation de congrès nationaux de jeunes qui seront un espace de concertation aptes à concentrer les visions, notamment dans l’élaboration des politiques en faveur des jeunes qui regrouperaient tous les secteurs de l’Etat et dans lequel le mouvement associatif sera un acteur principal".
Révision profonde du code des marchés publics
L’une des plaies de l’économie nationale est incontestablement l’octroi des marchés publics qui est à l’origine de la corruption qui mine l’Etat, notamment avec le lancement des grands chantiers. Le rapport du Cnes voit dans "le code des marchés actuel un texte qui nécessite une révision profonde". Il est précisé que "le développement local a besoin de ressources financières et de suivi pour la création d’annexes régionales de la commission nationale des marchés publics et afin de réduire les délais s’agissant des études techniques des projets d’investissements. Ce qui a pour objectif d’ouvrir le champ à la consultation et aux appels d’offres pour plus de souplesse, une plus grande participation des entreprises dans l’exécution des programmes. Ce qui évitera les pertes de temps et d’argent". Le Cnes souligne qu’il faut également "déterminer de manière explicite la définition de la promotion immobilière dans le nouveau code des marchés publics". Et de poursuivre : "Il faut et de façon solennelle et déterminée utiliser les systèmes électroniques dans les opérations financières et l’octroi des marchés publics et ce, pour lutter contre la corruption et lever les obstacles qui entravent les responsables locaux dans leur action."
En plus de la révision des codes des marchés, le Cnes table sur la redynamisation du programme des 200 000 PME qui, selon l’entité de Babès, "ne doit pas être improvisée mais émanant d’une initiative locale partant des demandes exprimées localement et soutenue par un accompagnement efficient, un suivi et un contrôle". Le Cnes exhorte le gouvernement "à impliquer les grandes entreprises publiques ainsi que le privé dans cette opération". Le rapport du Cnes indique que "parmi les obstacles à l’investissement national et étranger réside la problématique du foncier industriel. Le manque de terrains pour la construction a eu pour conséquence la concentration dans certaines villes urbaines et a causé des dommages irréversibles au foncier agricole, alors que les communes recèlent un énorme patrimoine qualifié de dormant constitué de bâtiments industriels et de terrains appartenant aux OPGI qu’il est utile d’utiliser à bon escient, surtout que ces biens sont déjà équipés de toutes les commodités". Ajoutez à cela, "l’autoroute Est-Ouest permet aux communes de s’ouvrir de nouvelles perspectives pour proposer des terrains industriels". Le tourisme est l’un des moteurs du développement local et national et constitue le secteur par excellence à promouvoir pour préparer l’après-pétrole, le Cnes souligne qu’"en dépit des tentatives pour relancer le tourisme, il subsiste beaucoup de points faibles, alors que l’Algérie dispose de ressources extraordinaires, à tous les niveaux, qu’il est urgent d’exploiter".
Programmes de logements insuffisants
Il est clair que la crise du logement constitue l’un des nœuds gordiens, devant lequel l’Etat reste impuissant. Il ne se passe pas un jour sans qu’une liste de bénéficiaires ne fasse l’objet d’émeutes et de mécontentements. Les programmes de logements accusent des retards considérables qui dépassent largement les délais de plusieurs années sans que cela inquiète les responsables. Le Cnes constate que "la question du logement est récurrente et elle attire particulièrement l’attention de différentes manières. Les programmes sont insuffisants et inadaptés, les conditions d’accès ainsi que la distribution ne sont pas claires". Le rapport insiste sur "la transparence et l’équité dans la distribution des logements sociaux, l’augmentation des quotas réservés aux jeunes. La redéfinition des critères d’octroi du logement social pour permettre à un plus grand nombre de citoyens d’en bénéficier, l’augmentation des aides aux particuliers désireux de construire leurs propres maisons, notamment dans les zones rurales, ce qui leur permettrait une stabilité et réduirait les exodes, et enfin la construction de logements destinés exclusivement à la location, notamment dans les grandes villes et les agglomérations". Le rapport du Cnes s’étonne que "les formats de logements soient totalement inadaptés au Sud, alors qu’ils doivent être intégrés à l’environnement saharien avec des cours, des terrasses, et des endroits aménagés pour les bêtes".
L’agriculture, un secteur sous-exploité
Les prix des produits agricoles ont grimpé de façon fulgurante ces derniers jours et aucune cellule de crise n’a été installée pour en déterminer les causes et y remédier. Il est vrai que le Premier ministre et les autres membres de l’exécutif ont plus important à faire que de s’occuper du pouvoir d’achat des citoyens ! Ils sont en campagne pour glaner les voix de ces mêmes citoyens ! Le rapport du Cnes a ciblé les failles et place le secteur de l’agriculture en pole position des secteurs à forte valeur ajoutée. Il constate que ce secteur "recèle des richesses colossales du nord au sud, d’est en ouest mais, malheureusement, elles sont sous-exploitées et parfois inexploitées". Le document suggère de "procéder en urgence à un balayage de toutes les terres agricoles sur tout le territoire national en tenant compte des spécificités de chaque région. De protéger les terres agricoles en appliquant les lois avec rigueur, intégrer les énergies renouvelables dans l’agriculture, moderniser et développer toutes les formes d’élevage en mettant en place un mécanisme de protection des races". Le document préconise d’"organiser des formations techniques en faveur des agriculteurs, encourager les jeunes à s’orienter vers le secteur de l’agriculture en leur octroyant des exploitations agricoles, organiser et créer des marchés pour les produits agricoles et appliquer un contrôle sur les bénéfices des intermédiaires et mandataires afin d’éviter la spéculation, généraliser l’assurance sur les risques liés à la production agricole et, enfin, mettre en place un conseil consultatif supérieur de l’agriculture qui intégrerait toutes les parties prenantes aux fins d’une participation dans l’élaboration des politiques agricoles".
Nadia Salemi
Commentaires (6) | Réagir ?
Le hic, c'est que contrairement aux régimes républicains démocratiques, c'est le parti vainqueur aux élections législatives qui forme le gouvernement, le 1er ministre étant choisi par le président, approuvé par l'assemblée nationale. En Algérie, le 1er ministre n'est pas choisi parmi le parti majoritaire, et les ministres sont imposé dans leur totalité par le président auquel ils restent fidèles en toute circonstances. Dans ce contexte, c'est Bouteflika qui gère tout, selon ses caprices, et en fonction de son état physique et mental du moment, le 1er ministre devient de ce fait un simple "marche pied" et un "fusible" . Avec un système pareil, ni le C N E S, ni le conseil constitutionnel, ni la cour des comptes, ne peut influer sur la politique spéciale de notre pays, quant au régionalisme, c'est une réalité, puisque les enveloppes budgétaires et les compléments, sont attribués, en fonction du soutien au clan présidentiel. A voir l'état de délabrement de certaines Wilayas, on a envie de pleurer. Aussi, nous sommes pessimistes, sur la situation politique, économique et sociale a venir, les libertés individuelles et collectives, étant mises sous scellé.
@ Salim Saadoun
Qu'est-ce qu'elles ont mes références au ministère de la Défense français? Sachez que l'Etablissement dont il était question est un EPCA (Etablissement Public à Caractère Administratif), donc civil, mais sous triple tutelle: Défense (Direction, instructeurs, locaux...) / Travail et Cohésion Sociale (travailleurs sociaux, éducateurs et budget...) / Education Nationale (enseignants-formateurs, méthodes pédagogiques, supports et outils... (dont je faisais partie).
Tu as dû confondre avec la machine de guerre qu'est l'armée. Donc, je ne vois pas en quoi cela "la foutrait mal" que de référer au Ministère Porteur du projet. Même-si la dénomination de l'Etablissement-même comporte une référence à la Défense, pour autant, je n'en suis pas sorti avec un quelconque grade de militaire ou bénéficié d'un entraînement spécifique. C'est également le cas pour les jeunes qui y sont. Leur admission est basée sur la notion de volontariat, et ils signent un contrat avec l'Etablissement qui les engage au respect de certaines règles de vie en communauté, à une dynamique de construction d'un projet pro, et qui engage l'Etablissement à d'autres "choses" en retour.
Quant aux "zoufri du bled" comme vous dîtes, votre serviteur en fut un, mais personne n'est venu me chercher, vous savez. En revanche, contrairement à certains titi (s), la montagne m'avait déjà appris, dès ma tendre enfance, que seul le labeur pouvait payer. Mes cousins (algérois, eux) sont toujours là où ils étaient. C'est à dire à guetter la sortie du dernier jean Diesel ou Levis 5, les dernières Nike... en écoutant parfois du Ezzahi, d'autres fois Benhadj, et rarement du Slimane Azem. C'est vous dire ce que cette notion de "zoufri" que vous avancez peut englober. Le goût de l'effort est une culture à miss t'mourth, ça ne s'invente pas! Quand on a passé les trois quarts de sa vie à écouter du Ezzahi, du Abassi, du Benhadj, en fumant de la zetla entre deux prières... se construire un projet professionnel ou tout simplement un projet de vie, c'est plus que compromis.
Cela doit être dû aux histoires et trajectoires individuelles aussi. Car, les montagnes du Djurdjura ont énormément souffert de l'émigration massive des leurs dès les années 65-70, pendant que d'autres profitaient de l'argent de la rente pétrolière. Aujourd'hui que "la chose" touche pratiquement toute l'Algérie, on découvre tout d'un coup les bienfaits (ainsi que les méfaits) de l'émigration.
Ce que je dois à l'Algérie n'est pas descriptible, qualifiable ou quantifiable... Rabbi yézra !
Le jour où le mot "humilité" fera son entrée dans le dictionnaire de pas mal d'Algériens, je crois que les choses commenceront à aller un tout petit mieux.
En attendant, il suffit de cliquer sur le lien "LeMatinDz" et d'ouvrir ses pages (notamment les commentaires) pour s'apercevoir que ce n'est certainement pas demain la veille.
Sur ce, savez-vous ce que devient Si l'3aazzouni monsieur Salim Saadoune ? Nostalgie, nostalgie...
Quim dhi lahna = Reste en paix (littéralement) / sinon, équivalent de "au revoir... "