Les chefs d’Etat algériens : une prise de pouvoir par la violence
"Celui qui sait commander trouve toujours ceux qui doivent obéir", Nietzsche
En cinquante ans d’existence au monde, dans le concert des nations disposant d’un Etat, l’Algérie a de tout temps possédé un président problématique.
Au commencement, la guerre d’Algérie entre Algériens
A l’origine de l’autodétermination, Ferhat Abbas, élu à l’Assemblée nationale constituante, devint officiellement le premier chef de l’Etat de l’Algérie indépendante. Contre le principe du parti unique dont s’accapare Ahmed Ben Bella au Congrès de Tripoli, bien encadré par les armées des frontières avec à leur tête Houari Boumediene, il dut démissionner devant le fait accompli d’un régime antipopulaire procommuniste instigué par un leader douteux à la fois allié au panarabisme de Jamal Abdenasser, aux Soviétiques mais à la France aussi.
Il s’aligne sur le Caire dans le but d’effiloquer toute continence berbère régentant les modes de vie établis depuis des siècles en Algérie que même l’occupation française en cent trente-deux années d’oppression ne put-elle annihiler. Sa répression sanglante contre le soulèvement mené par le FFS à sa tête Hocine Ait Ahmed, qui revendiquait le principe de la démocratie et de la libre expression mais pas résolument l’intérêt ethnique, participait donc de porter la voix du leader égyptien dans le Maghreb mettant ainsi en péril à la fois le régime de Habib Bourguiba mais aussi et surtout le bien-fondé du royaume chérifien. Ce qui se fut traduit sur le terrain des "nouvelles réformes de l’Algérie libre" par des campagnes d’arabisation faisant s’esclaffer aussi bien le Monde arabe que les pays qui tenaient à leur francophonie. Du genre, pour rappeler aux jeunes générations, d’arabiser un ancien café colonial qui s’appelait Anatole France, dans la précipitation "révolutionnaire" du tac au tac et du mot à mot, se transforma-t-il en Anatole El Djazaïr, mais qui continuait de servir de la bière et du pastis du côté de Bologhine, ex-Saint-Eugène.
Les péripéties vers l’incongru
Le parapluie de Moscou était propice à Ben Bella parce que la menace de Khroutchev des deux bombes atomiques sur Londres et Paris à propos de l’annexion du Canal de Suez était encore fraîche dans l’imaginaire dictatorial du héros de Monte Cassino et son régime fort intéressant pour casser du caïd et du bourgeois indigène. Au point de nationaliser des boulangeries, des ateliers de savates et des établis de manches à balais. J’ai des souvenirs personnels d’un voisin à Kouba, en banlieue algéroise, possédant un "taxi compteur" qui dut, le pauvre, de crainte de se voir signaler par la milice de l’étatisation, se débarrasser dare-dare de son appareil métrique pour continuer de travailler comme clandestin.
Beaucoup d’historiographes inscrivent son avènement à la tête de l’Algérie indépendante selon un programme établi méticuleusement par des proches du général de Gaulle qui lui auraient conseillé "un instable psychologique" mais ayant une grande affinité individuelle, dans l’évolution du vécu personnel – Ben Bella joua au football professionnel à l’Olympique de Marseille, dans l’équipe nationale militaire mais détenteurs aussi de hautes décorations de gloire et de prestige. Ce qui expliquerait peut-être son difficile détachement de l’emprise émotionnelle vis-à-vis de le France.
Vladivostok à el Hadjar – Annaba…
Ce qui n’était pas le cas pour Houari Boumediene qui s’oppose radicalement à la France. Indigène pure souche, allé à l’école du second collège comme la majorité des colonisés jusqu’au CEP, puis par le phénomène dans le tiers-monde envahi en général et en Algérie en particulier connu sous le terme du "principe du chaos", jusqu’à une instruction plus étoffée en Tunisie et en Egypte, dans le civil et dans le militaire, il atteint finalement des "qualifications sur le tas" qui feront de lui un chef depuis l’extérieur. Aucun historien ni biographe n’a été en mesure de dire avec précision les détails qui l’ont rationnellement emmené à devenir en 1962 le personnage le plus puissant du pays. Qui ont été ses amis authentiques parmi ses compatriotes, qui ont été ses véritables supports matériels et moraux dans le monde. Nul n’a rapporté quelque rapport "tangible" entre lui et le Kremlin pendant la Révolution et jusqu’aux premiers mois de l’indépendance. Quand bien même l’idée de l’importation du socialisme scientifique sous l’appellation de "socialisme spécifique" théorisé par un doctorant, ami de Belaïd Abdeslam, en l’occurrence Gaston de Bernis de la fameuse théorie des industries d’entraînement, ne lui fut venue qu’au moment de la cogitation sur la nationalisation des hydrocarbures. Assez de thèses ont été élaborées sur sa fomentation du coup d’Etat, sur sa façon de régenter le pays, par rapport aux populations et par rapport au reste du monde, mais très peu a été soumis à l’opinion à propos des tenants et des aboutissants de sa subite et foudroyante maladie. Jamais officiellement sa famille de Guelma ni Anissa Boumediene n’ont exigé une enquête sur sa curieuse maladie.
La fatalité démissionnaire par l’épreuve de la foi
A la veille de son coma irréversible, après treize années de règne unilatéral, le plus futé des observateurs n’avait dans l’idée qu’un Chadli Bendjedid, commandant de la région militaire de l’ouest du pays, "chaïb erras", tel que l’appelait la gent militaire à l’époque, serait le troisième président de l’Algérie indépendante. Au lieu de l’un des ministres clés ou des personnages parmi les plus importants dans l’Administration, un Conseil national de sécurité du sort de l’Algérie entre les mains de l’officier le plus âgé dans le grade le plus élevé. On ne revient sur son parcours jusqu’à la date de son "démissionnement" pour dire seulement qu’il a dirigé le pays avec la même théorie du chaos ou le concept de l’instabilité tel que le traite les mathématiciens prêtait pour son compte à l’insalubrité. Au stade où toutes les incuries des modèles de gouvernance se regroupaient autour de la personne de Larbi Belkheir son omniscient chef de cabinet. Comme pour donner raison au général de Gaulle répondant à Paul Delouvrier, alors quittant le poste de délégué général du Gouvernement en Algérie, qui lui disait que les accords avec le FLN allaient irréversiblement vers l’indépendance, il lui dit : "Mais nous verrons cela dans trente ans !". Il laissa l’Algérie en 1992 dans un état de catastrophe pire qu’en 1962.
Ensuite arrive le malheureux Mohamed Boudiaf ramené de sa retraite au Maroc pour sauver sa patrie, régler son compte à l’intégrisme et remettre l’Administration dans le circuit intelligible. Il est assassiné quelques mois après son avènement comme président de l’Etat de la manière la plus spectaculaire et la plus lâche. C’est alors le tour de Liamine Zeroual supplier de rempiler lui aussi depuis une retraite tranquille à Batna, tranquille sur le plan de la responsabilité devant la nation parce que le pays était alors à feu et à sang. Avant de clore son mandat, il remet le tablier. Il n’aurait pas accepté des directives musclées contre l’intérêt de la nation.
Les manigances constitutionnelles
Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, n’a pas été choisi par ses pairs en 1979 pour prendre le relais à la mort de Boumediene. Les garants de l’Etat d’urgence décrété depuis la rupture du processus électoral mettant vainqueur au premier tour le parti islamiste de Abassi Madani de Ali Benhadj, font appel à lui après le départ de Zeroual. Mais il se présentera comme candidat indépendant" à côté de sept autres de différentes formations, dont Hocine Ait Ahmed, Youssef Khatib, Mouloud Hamrouche, qui se retirent à la veille du premier tour le laissant seul parce que ces candidats auraient eu la preuve que le pouvoir militaire était plus que favorable à la victoire de l’ancien chef de la diplomatie algérienne. Bouteflika gagne donc le suffrage à la majorité. Il se réinvestit cinq années après toujours victorieux contre des candidats sans consistances et sans atouts. Toutefois, il va devoir trafiquer la Loi fondamentale pour postuler à la troisième candidature que l'écrasante majorité des citoyens dénonce jusqu’à aujourd’hui.
Au lendemain des heurts sanglants dans le Monde arabe, il improvise un discours sur des réformes politiques floues sans vision globale susceptible d’intéresser les populations. Dont les élections législatives pour le 10 mai qui selon lui "garantiraient la victoire définitive de la démocratie" mais qui ne semble pas spécialement emballer les Algériens et les Algériennes, habitués au traquenard électoral.
Pour ainsi dire, depuis les youyous de juillet 1962 jusqu’aux éclats de rires contre les sites de campagne qui s’installent dans les cités et les villages en passant par "Bab El Oued echouhada !" d’Octobre 88, les présidents algériens ont eu au départ ou à l’arrivée le ressort de l’accident.
Nadir Bacha
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