Algérie (2015/2020) : comment éviter l’implosion sociale
Il suffit d’aller enquêter dans les quartiers d’Algérie et de recueillir les sentiments des citoyens pour prendre conscience de la crise de confiance.
Face à une aisance financière, à une dépense publique jamais égalée depuis l‘indépendance politique, il existe une véritable crise morale, un sentiment d’injustice sociale et de révolte latente surtout d’une jeunesse désespérée de son avenir. Les pouvoirs publics ont-ils réellement conscience de ce divorce croissant Etat/citoyens ?
Dans cette modeste contribution, en cinq questions réponses certainement imparfaites, étant conscient de l’étroitesse de la vision d’un économiste, je propose d’analyser le bilan et les perspectives de la société algérienne en espérant que d’autres disciplines dont les politologues, les sociologues approfondiront d’autres volets.
Quelle est la situation économique de l’Algérie de 2012 ?
Selon les données statistiques tant de l’ONS que le bilan officiel de la situation socio-économique du gouvernement malgré une injection massive de la dépense publique, 200 milliards de dollars entre 2004/2006, 286 milliards de dollars entre 2010/2013 dont 130 de restes à réaliser des projets non terminés de 2004/2009, dont 70% sont allés aux infrastructures, l’Etat dépense 2 fois plus que la moyenne des pays émergents d’Asie avec des résultats deux fois moindres. Le taux de croissance global de l’économie est relativement faible, sachant qu’un accroissement par rapport à un taux de croissance faible de l’année précédente (ce qui est le cas de l’Algérie) donne toujours en valeur relative un taux de croissance faible même si le taux est supérieur l’année qui suit. Il aurait été de 2% en 2007/2008, 3% en 2009, (contre 5% entre 2005/2006) et selon les estimations internationales à 4% en 2010, à 3,5% en 2011 et à 3,6% entre 2012 et 2014. Face à ces données officielles notamment du taux de croissance, l’on peut démontrer aisément à partir du renversement de la matrice du tableau d’échange inter- industriel que la rente des hydrocarbures participe pour plus de 80% directement et indirectement à travers la dépense publique au taux de croissance officiel, ne restant aux seuls créateurs der richesses que moins de 20% dans la création de la valeur. L’Algérie est en plein syndrome hollandais 98% d’exportation d’hydrocarbures brut et semi-brut et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration public/privé ne dépasse pas 15%. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures comme en témoignent l’importance des réserves de change qui sont une richesse virtuelle, l’effacement de la dette extérieure et intérieure, les assainissements répétées des entreprises publiques (plus de 50 milliards de dollars entre 1991/2010) et les 10% du PIB consacré aux transferts sociaux. Il existe une loi économique universelle : le taux d’emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité dans les sphères qui créent de la valeur. Il s’ensuit que le taux de chômage réel n’est pas de 10% comme l’affirment les officiels, mais qu’il faille tenir compte des sureffectifs dans les administrations et entreprises publiques et des emplois temporaires dominants non productifs. Nos calculs donnent un taux de chômage corrigé bien plus important dépassant les 20 % touchant notamment la catégorie 20/35 ans qui dépasse les 30%. Si l’on défalque la sphère informelle, le taux de chômage dépasse les 50/60% qui donne une situation à terme d’explosion sociale que l’on calme par la distribution sans contreparties productives de la rente des hydrocarbures. Parallèlement, l’inflation est comprimée artificiellement par des subventions et corrigé par le marché libre, en termes réel, dépasse les 10%. Quant à la cotation du dinar algérien, sans les hydrocarbures, elle serait sur le marché libre, fonction de l’offre et de la demande entre 300 et 400 dinars un euro.
Qu’en est-il de la situation sociale ?
L’Algérie régresse pour l’indice du développement humain (IDH) entre 2008/2011. Cet indice du développement humain mitigé est corroboré officiellement par une enquête réalisée par l’Office national des statistiques en 2009, qui précise qu’au quatrième trimestre de l’année 2009, plus de la moitié de la population en activité était dépourvue de couverture sociale, et 50,4% de l’ensemble des travailleurs n’étaient pas déclarés à la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas). Sur les 9.472.000 occupés, enregistrés au 4e trimestre de l’année 2009, 4778.000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la sécurité sociale, soit un occupé sur deux. L’enquête fait apparaître que près de cinq millions d’Algériens sont en situation de précarité, ne pouvant ni se faire rembourser leurs frais médicaux et encore moins de pouvoir bénéficier d’une retraite décente puisque les entreprises qui les emploient ne s’acquittent pas de leurs frais de cotisations. L’ONS montre que le phénomène touche en priorité le monde rural dont la proportion a atteint les 60% tandis qu’en zones urbaines les travailleurs non affiliés à la Caisse de sécurité sociale représentent 46, % de la population activant au noir, avec 89% dans le secteur de l’agriculture et 79,8% dans celui du bâtiment et des travaux publics. Cette situation, si elle venait à persister, fragiliserait la situation des finances de la Caisse nationale des assurances sociales(CNAS) et mettrait indiscutablement en danger l’existence même du système de régime des retraites en cas de chute des recettes des hydrocarbures. Justement, dans le cadre, de la bonne gouvernance, l’organisation internationale Transparency International dans son indice de perception de la corruption dans ses rapports annuels 2009/2011 évalue l’Algérie à un indice de corruption élevé. Toujours au niveau des rapports internationaux, une récente étude datant de mars 2010 réalisée par la Global Financial Integrity (GFI) et publiée à Washington DC (USA), a classé l’Algérie au troisième rang au niveau continental, des pays ayant un haut débit de sortie financière illicite. Selon la même étude, cette sortie de fonds accroît l’inflation, réduit les rentrées fiscales, et compromet l’investissement utile facteur de la croissance. Son plus grand impact a été relevé, notamment, sur ceux qui sont au bas des barèmes de revenus, la suppression des ressources qui pourraient être utilisées pour réduire la pauvreté et la croissance économique. Ce rapport insiste sur la nécessaire transparence pour restreindre la tendance de cette sortie de fonds et également la concertation internationale autour de ce phénomène, car, s’il y a des pays corrompus il y a forcément des pays plus corrupteurs que d’autres.
La communauté algérienne installée à l’étranger peut contribuer au redressement de l’Algérie ?
Un pays qui se vide de ses cerveaux est comme un corps qui se vide de son sang. Une société qui se vide de ses compétences est comme un corps sans âme. Il existe des lois économiques universelles : c’est le travail qui a changé de forme, la qualification supposant une formation permanente pour s’adapter à un monde évolutif qui est la source de la richesse des nations et non la rente. Il ne faut avoir une vision unilatérale de l’immigration si les émigrés reviennent dans le pays d’origine après avoir acquis une expérience. Ce sont souvent les gouvernants de ce bon nombre de pays sous développés notamment en Afrique et dans le monde arabe qui encouragent directement ou indirectement la fuite de l’élite, malgré des discours à consommation interne envers la diaspora et souvent dans un cadre de chantage pour museler les intellectuels locaux donc ne faisant presque rien pour retenir le peu qui reste. La diaspora est très attentive à la situation de ses collègues au niveau local. Exemple le poste services au niveau de la balance de paiement (paiement de bureaux d’études étrangers) est passé de 3 milliards de dollars entre 2002/2003 à plus de 11 milliards de dollars entre 2010/2011. La raison est du fait que l’élite aspire certes à un salaire adéquat mais surtout à plus de libertés et veut contribuer à la gestion de la Cité. Le système socio-éducatif peut être inadapté. Dans ce cas on forme pour l’étranger mais cela peut renvoyer à la panne de la machine économique qui n’offre pas de débouchés existant des liens dialectiques entre ces deux situations.
La politique économique actuelle est-elle appropriée ?
L'Algérie semble avoir du chemin à faire pour pénétrer dans les arcanes de la nouvelle économie et le patriotisme économique ne saurait s’assimiler au tout Etat .Certes, tous les pays protègent leur production nationale grâce à l’Etat régulateur stratégique en économie de marché pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques à ne pas confondre avec le retour à l’Etat gestionnaire de l’ex économie soviétique comme le montre les décisions récentes de bon nombre de pays développés, mais d’une manière ciblée et ne décourageant pas l’acte d’investissement y compris étranger. De plus en plus d’experts algériens préconisent de lever ce voile juridique de peu d’efficacité économique et de mettre en place un autre indicateur d’appréciation beaucoup plus significatif qui est celui d’une balance devises positives c’est à dire que les entrées en devises doivent être supérieures aux transferts. En donnant une préférence de 25% c’est accroitre le taux de profit local (rentes de situation) qui se répercutera dans le coût final amoindrissant les avantages comparatifs pour l’exportation et pénalisant les consommateurs locaux avec la hausse des prix.
Or l’essentiel pour l’Algérie est de favoriser une accumulation du savoir faire à la fois managériale et technologique, grâce à un partenariat gagnant/gagnant, l’Etat pouvant détenir des minorités de blocage pour des segments stratégiques, l’objectif étant une valeur ajoutée interne positive. Par ailleurs, ces mesures bureaucratiques axé sur le volontarisme étatique, démontrant la panne de la réforme globale (politique, économique et sociale) du fait de rapports de forces contradictoires qui se neutralisent, les gagnants de demain n’étant pas forcément ceux d’aujourd’hui les réformes déplaçant des segments de pouvoir, cela pose problème pour les différentes conventions signées. Pourtant, l’Algérie sous réserve de la levée des contraintes mentionnées précédemment supposant de profondes réformes micro économiques et institutionnelles, une visibilité et cohérence dans la politique socio- économique peut devenir un pays pivot au sein de l’espace euro-méditerranéen et arabo-africain passant d’ailleurs par la nécessaire intégration économique du Maghreb pont ente l’Europe et l’Afrique. En cette ère de mondialisation avec les grands espaces et les effets de la crise d’octobre 2008 qui aura pour conséquence une importante reconfiguration géostratégique et économique entre 2015/2020, il est dans l’intérêt de tous les pays d’accélérer l’intégration L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; la taille du marché intérieur estimée à environ 36 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes (pétrole, gaz), ainsi que d’autres ressources minérales non négligeables, peu ou pas exploitées, notamment le phosphate, le fer et l’or, des ressources humaines en grande partie jeunes, qualifiées et abondantes. Elle a un stock de la dette inférieur à 4 milliards de dollars, des réserves de change d’environ 188 milliards de dollars.
Ainsi, l’Algérie a beaucoup d’opportunités mais en étant réaliste en tenant compte des avantages comparatifs mondiaux car nous sommes à l’ère de la mondialisation. Il s’agira également de revoir la configuration des relations internationales actuelles grâce à un partenariat équilibré et solidaire pour une prospérité partagée et loin de tout esprit de domination. Car l’histoire bien que mouvementée impose au Nord et au Sud d’entreprendre ensemble.
Que deviendra l’Algérie dans 20/30 ans ?
La question est pertinente et relève de la géostratégie. La population algérienne était de 35,6 millions d’habitants au 1er janvier 2010 et l’Office des statistiques ((ONS) donne une population de 36,3 millions d’habitants au 1er janvier 2011. Concernant la structure de la population, la répartition par âge fait ressortir que la population âgée de moins de 15 ans constitue 28,2% de la population totale et celle de moins de 5 ans, 10%, ce qui témoigne de l’augmentation récente de la natalité. La population active devrait dépasser les dix millions et la demande d’emplois additionnelle varierait entre 300.000 à 400.000 personnes par an, nombre d’ailleurs sous estimé puisque le calcul de l’ONS applique un taux largement inférieur pour les taux d’activité à la population féminine, représentant pourtant la moitié de la population active et dont la scolarisation est en forte hausse. En projection c'est-à-dire au moment où l’Algérie aura épuisé ses réserves d’hydrocarbures, entendu en termes de rentabilité financière, supposant que le taux de natalité se maintient au rythme actuel, dans 20 ans la population approchera 50 millions d'habitants avec trois millions d’étudiants et la demande additionnelle d’emplois annuelle dépassera 700.000/800.000 tenant compte de l’emploi féminin en croissance où nous assistons dans les lycées et universités une réussite féminine en croissance.
Et 2030 c’est demain car l’Algérie est indépendante depuis 50 ans fonctionnant toujours sur la rente des hydrocarbures malgré des promesses sans lendemain. Je ferai deux hypothèses. La première hypothèse serait le statu quo actuel et des discours d’autosatisfaction source de névrose collective déconnectés des réalités tant locales que mondiales. Entre-temps la jeunesse aura pour exigences, un emploi, un logement, se marier et avoir des enfants, et donc une demande sociale croissant. Ceux qui travaillent actuellement, auront entre 60 et 70 ans et seront en retraite. De ce fait, il est à prévoir que sans hydrocarbures, et c’est une forte probabilité, il y aura forcément suppression du ministère des hydrocarbures et celui de la Solidarité nationale avec le risque d'implosion de la caisse de retraite, et sans devises pas d'attrait de l'investissement. Il s’ensuivra un chômage croissant, des tensions sociales et une instabilité politique à l'instar des pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne, et le risque d'intervention de puissances étrangères.
Quant à la deuxième hypothèse, elle se base sur les conditions de développement de l'Algérie où l’on aura préparé l'après-pétrole. L’on aura révisé profondément la politique socio-économique en misant sur des segments de savoir en évitant l'instabilité juridique, le manque de cohérence et de visibilité. La corruption qui devient dramatique généralisable à tous les secteurs, source d’une démobilisation générale, serait alors combattu par de véritables contrepoids démocratiques et non par des organes techniques aux ordres de peu d’efficacité, dans les faits et non par des textes. Dès lors la sphère informelle intimement liée à la logique rentière, produit de la bureaucratie et des dysfonctionnements des appareils de l’Etat qui favorise cette corruption, serait intégrée progressivement au sein de la sphère réelle. Le développement se fonderait alors sur les piliers du développement du XXIe siècle, tels que la revalorisation du savoir, de l'Etat de droit et une nouvelle gouvernance par la réhabilitation du management stratégique de l'entreprise et des institutions, et par une libéralisation maîtrisée grâce au rôle central de l'Etat régulateur. Le dialogue politique, économique et social évitant la concentration excessive du revenu national au profit de rentes spéculatives destructrices de richesses aurait remplacé les décisions autoritaires. L’on aurait mis fin au gaspillage de la rente des hydrocarbures, de ces dépenses monétaires sans se préoccuper des impacts pour une paix sociale fictive. L’on aurait préparé un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur les énergies renouvelables. L’on aurait réhabilité l'entreprise publique et privée, loin de tout monopole, seule source de création de richesses permanente. Et l’on aurait misé sur l’investissement immatériel qui manque aujourd’hui cruellement à l’Algérie privilégiant la qualité et non la quantité, évitant des universités à fabriquer des chômeurs, non imputable uniquement à l’enseignement supérieur qui hérite, mais devant revoir le fonctionnement de l’école du primaire au supérieur en passant par le secondaire et la formation professionnelle. Nous pouvons investir autant de milliards de US$ dans les infrastructures, comme actuellement, sans connaître de développement voire régresser. Et surtout, et c’est une des raisons fondamentales de la crise mondiale actuelle, on devra réhabiliter la morale à tous les niveaux. C’est que l’on construit une économie d’abord sur les valeurs morales d’une société (l’éducation civique la tolérance, la performance, le sens du devoir, l’ordre de mérite, le gout de l’effort..). La structure des sociétés modernes et puissantes qui dominent le monde, s’est bâtie d’abord sur des valeurs et une morale comme nous l’a enseigné justement le grand sociologue Ibn Khaldoun qui dans son cycle des civilisations montre clairement que lorsque l’immoralité atteint les dirigeants qui gouvernent la Cité c’est la décadence de toute société, d’où d’ailleurs la nécessité de l’alternance du pouvoir pour avoir du sang neuf. Ce qui renvoie à l’Etat de droit et à une démocratie dynamique assise sur une justice indépendante. Comment voulez-vous qu’une justice impartiale fonctionne au sein d’une société à corruption socialisée ? C’est en d’autres termes, donner aux Algériens, dans leur différence, l’envie de construire ensemble leur pays, d’y vivre dignement et rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions de la République, de préserver les libertés individuelles et consolider la cohésion sociale.
Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités et expert International en management stratégique
Commentaires (3) | Réagir ?
Le système est exactement dans la même situation que le Bourgeois Gentilhomme de Molière, il veut apprendre la prose et la danse de ses maitres-chanteurs qui se bousculent au portillon pour le flatter et lui accorder plein de satifécits. Des maitres-chanteurs qui lui ont promis de l'élever au titre honorifique de Mamamouchi qui fait son bonheur et lui sied à merveille. Un système médiocre et exécrable qui n'a même pas l'intelligence de voir ses propres tares et ses insuffisances pour s'éviter la honte et le ridicule de ceux qui l'observent. Un système qui veut développer le pays sans le savoir et la connaissance mais seulement avec l'argent que lui procure la rente et des voeux pieux qui ne portent pas plus loin que le bout de son nez. Un système qui a troqué sa fierté et son patriotisme révolutionnaire contre la paresse et le débrayage h24 que lui apporte sa religion. Un éternel assisté de la mondialisation économique qui ne trouve même pas les solutions appropriées à ce qui fait sa propre nourriture comme les maladies de la pomme de terre et de la plupart de ses vergers etc...
L'explosion est pour bientôt. Le peuple ne pourra plus tenir longtemps