Nicolas Sarkozy ou l’artifice de la mort
"Les larmes les plus amènes versées sur les tombes tiennent aux paroles passées sous silence et aux actions restées inaccomplies." Lilian Hellman
Au moins une chose est incontestablement certaine dans les esprits sains de toutes les personnes décédées depuis l’apparition de l’homme dans l’univers, aucune n’est jusqu’à présent revenue parmi nous pour nous discourir sur quelque chose qui n’a rien à voir avec la vie telle que nous la vivons sur Terre. L’homme connaît la vie qu’il accomplit dans le temps qui lui est imparti, des premiers instants où il a sa conscience de soi jusqu’à la dernière fraction de seconde en train de mettre fin à l’ultime consumation de son existence.
Il y a qui croient en l’au-delà, beaucoup aux esprits des morts qui voyagent, d’autres à la réincarnation, néanmoins sur la base partagée par tous et depuis toujours : le jour de la mort est un fait inéluctable, la fin de la vie d’un être en tant qu’organisme défini, quand la conception lavoisienne est admise déjà depuis longtemps dans le simple apprentissage de l’abécédaire physiologique. L’être humain est fait de substances primitives "ordinaires" qui n’existent pas seulement dans ce qui le constitue en propre, nécessaires à son métabolisme, elles sont aussi "ailleurs" indispensables comme pour ce qui le concerne, pour le fonctionnement d’autres métabolismes, au profit d’organismes plus simples ou plus complexes.
Il y a la mort qu’on appelle communément la "mort naturelle", qui signifie le vieillissement maximum, impossible à dépasser, progrès scientifique ou prouesse de sorcellerie aidant, conduisant irréversiblement à la déconfiture de l’individu, toutes espèces vivantes confondues. Ensuite nous avons la mort prématurée, par la carence dans les structures de la matière vivante ou par la maladie qui font que l’organisme se détruit plus vite avant de disparaître. Mais enfin il existe la mort accidentelle, involontaire ou décidée. Pour l’exemple, un heurt dans la chaussée ou un crime passionnel, sur le plan de l’individu, un tremblement de terre ou une guerre à l’échelle des sociétés.
Mais la mort dans le règne humain est aussi un phénomène de culture interprété d’une société à une autre par des rhétoriques. Hors du cadre de la prédation, l’animal meurt dans sa peau, ses poils, ses plumes, ses écailles et meurt et dépérit sur place, dans l’espace-temps de son trépas ; mais l’homme quitte son habit pour le suaire, sa maison pour la sépulture, son village pour la nécropole, le cimetière. La pierre tombale remplace sa carte d’identité. On place dessus un croissant, une croix ou une étoile. Beaucoup y adjoignent une épitaphe. Certains y construisent des mausolées ou autres édifices de prestige et de gloire. Ceci pour la majorité humaine vivant dans des communautés ancrées de près ou de loin à des traditions héritées de modèles de croyance des trois grandes religions monothéistes où un extraordinaire paradoxe s’invite dans les relations humaines pour faire de l’acte mortuaire un enjeu de conscience de l’importance du sacré de la vie. Au point de considérer souvent la violation d’un domicile moins grave que celle d’une tombe.
Toutes les langues modernes actuelles possèdent leur terme identifié dans le discours le plus sérieux pour désigner la profanation. Qui d’une acceptation à une autre dans les paradigmes culturels des sociétés signifie une atteinte au sacré. Dès lors les valeurs de la vie et de la mort s’emmêlent dans les discours et dans les rapports de l’être, en tant qu’individu et en tant que communauté.
A peine avalée la réalité physique et psychologique des "morts" successives dans l’évènement de Montauban et de Toulouse dans la douleur des proches des victimes et de ceux du présumé assassin, que vient alors, sans transition, se greffer la question du sacré à travers un fulgurant retournement de conscience mettant à rude épreuve les fractions de l’imaginaire collectif dans les deux cités mais en même temps dans toutes les autres en province jusqu’à la capitale où se décantent, au final, les discours d’obédience. Et il ne tarde pas de se passer en France une situation d’absurdité où le sacré de la vie- toutes les personnes péries par la faute des actes commis, par le présumé tueur et par les forces d’intervention du Raid, avec les peines entraînées - cède la place au sacré de la mort avec ses interprétations spontanées ou fabriquées.
Toute une tribu hypocrite de Sarkozy chialant et condamnant ne rendra pas la vie aux enfants, aux soldats, à l’enseignant, ni n’ôtera le chagrin de leurs chers. Le déploiement médiatique de l’évènement criminel n’a en aucun cas servi le solennel des disparitions de Montauban et de Toulouse ; au contraire il en a exacerbé des réflexes rancuniers interreligieux. Il a servi, entre autres, à réveiller les atavismes en "réserve" enfouis dans les consciences résidentes qui n’ont jamais posé les pieds dans les mosquées, les églises, les temples et les synagogues. Et qui sont les plus nombreuses parmi celles qui vont dans un mois aller aux urnes. Invitées cyniquement à se rappeler "qui elles sont", qui protége leur culture transmillénaire.
Qui a parlé dans la masse des discoureurs, ne serait-ce que pour rester dans l’esprit cartésien pour dire que la France demeure le pays de la Science et de la Raison, de l’amok ? De cette pulsion homicidaire engageant le sujet dans le crime gratuit, même s’il l’oriente pour un intérêt d’intelligibilité ou de prestige. Non, le discours politique de Nicolas Sarkozy, pour qui cet odieux évènement tombe à pic afin de faire oublier un bon moment son inaptitude à la fonction de chef d’Etat responsable, construit sur le flou quand il sort du concret de ses grands mandateurs qui tiennent la finance du pays du général de Gaulle – qui a fait toutes les guerres de son temps mais qui a parlé moins de mort que celui qui se réclame être son héritier mais qui n’hésite pas à salir, à profaner justement, jour après jour, le desseins patriotiques de l’auteur de l’appel du 18 juin 40.
Le discours de Sarkozy est une sémantique de la pire des saloperies suggestives : c’est le premier chef d’Etat français, s’il en est, depuis la Révolution, à remettre carrément en cause le principe de la séparation des pouvoirs entre la croyance et le politique. A cours d’arguments modernes qui le dépassent, il fait appel aux lexiques éculés du Moyen-âge avec le recours abstrait de la parole sur la mort hantant les esprits. Ce n’est plus le casting à la CBS ou CNN, mais presque une réalisation deStephen King mettant en scène un thriller mêlé de politique et de maléfice.
Mieux que Robespierre, avec les très strictes proportions évidemment dans l'Histoire de France, qui usait de la terreur, le président actuel en jouit, plus raffiné, plus sinistre, en la désignant du doigt, quitte à ce que le peuple français s’entredéchire dans les trois cultes qui font, qu’on le veuille ou non aujourd’hui, les piliers spirituels de sa culture : il n’y a pas d’agglomération urbaine ou rurale dans le pays réputé pour la défense des droits de l’homme qui ne comporte pas son cimetière musulman ou hébraïque. La France comporte aussi des binationaux de toutes les régions du monde et les vols commerciaux qui emmènent vers les nécropoles au bout du monde pour ensevelir un ressortissant français originaire de quelque chose sont de nos jours monnaie courante.
Un facebooker m’envoie très récemment un poste dans lequel il me raconte une histoire qui met en procès le maire d’une municipalité en dans le centre est de la France à propos de l’aménagement d’un cimetière musulman carrément défavorisé dans le choix de l’assiette, selon lui fort raviné et engouffré, par rapport à son correspondant chrétien, plat, uniforme, bien orienté et facile d’accès et de circulation à l’intérieur. En tout cas, sacré ou non, cela est bel et bien un problème, pas le discours tout autour
Nadir Bacha
Commentaires (4) | Réagir ?
Toute proportion gardée, ce qui est reproché ici à monsieur Sarkozy pourrait trouver son pendant de l’autre côté de la Méditerranée, mais en pire.
Sarkozy est désabusé face à l’ampleur de la crise, face à la montée de Mélenchon, face à son désaveux auprès des classes dites ouvrières … il ne fait qu’essayer de « recycler » une vieille recette lui avant permis de rafler la mise en 2007. Le personnage est ainsi fait depuis ses débuts en politique, et ce n’est certainement pas Chirac qui dira le contraire. Celui-ci fut même l’un de ses « modèles » avant que Sarkozy ne surprenne son monde avec son soutien à Balladure en 1995. De Villepin en a fait son ministre de l’intérieur avant que le même Sarkozy n’en fasse sa « tête de Turc ».
Ceci dit, il est Président de la République française jusqu’à preuve du contraire, et celle-ci est –depuis quelques années- proie à des tentatives (vaines tout de même) d’importation de toutes sortes d’antagonismes. Tantôt, le conflit Israélo-palestinien, tantôt le conflit Algéro-Marocain, tantôt l’histoire Arméno-Turque, et le plus inquiétant ; l’islamisme rompant, ou « l’islam des caves » si vous préférez. Que Sarkozy ne soit pas fin pédagogue, cela n’a échappé à personne, qu’il avance parfois des idées auxquelles il croit à moitié même constat. Mais qualifier monsieur Merah de « présumé » assassin après qu’il eut filmé ses crimes …
Exiger que la maîtrise des rudiments de l’expression écrite et orale en français fassent partie du « smic » permettant de rejoindre la communauté française est la traduction d’un constat amer. Autant les générations de nos parents et grands-parents (encore que) avaient toutes les raisons de ne pas y souscrire ouvriers qu’ils furent etc, autant un maghrébin né dans les années 80 et prétendant au fameux sésame doit (à mon avis) pouvoir satisfaire à cette exigence. Or, aujourd’hui, à quoi assiste-t-on dans des banlieues à quelques encablures de Paris ? Des quartiers entiers où la langue française est une langue étrangère, où les « la yadjouz » sont de rigueurs, où les filles sont obligées de porter le voile pour échapper à la taxation de « filles légères ». Mais en même temps, « les grands frères » muftis autoproclamés, chômeurs de longue durée, roulent dans des bolides que le Français moyen ne voit que dans les publicités.
Je n’aime pas le mot « intégration », et encore moins celui d’assimilation, mais un juste milieu est à mon avis à la portée de tous. Monsieur Sarkozy est certes ce qu’il est : c’est-à-dire un homme politique ; donc agissant par « opportunisme » (surtout en période de campagne électorale), mais de là à nier certaines évidences, c’est aussi une forme de non-pédagogie.
Le pendant de l’autre côté de la Méditerranée est beaucoup plus « marqué » car érigé en constante nationale. Qui n’a pas entendu un dirigeant algérien répéter à tue-tête à la moindre étincelle (sociale, identitaire, politique..) ce lexique usé : main de l’étranger / oulad el harka / el khawana / oulad frança … ? Sauf que quand je dis que c’est pire que ce que fait Sarkozy c’est parce que dans le cas de ce dernier, on peut parler de « combine électoraliste » de « ruse politique » …mais dans le cas de l’Algérie et des ses dirigeants il s’agit d’un trait culturel. Rappelez-vous de Boumédienne et de son fameux « hadhou oûnsouriyine » (ceux-là sont des racistes) en parlant de la kabylie, ou des islamistes qualifiant ceux qui ne sont pas de leur bord de « taghout ou mouchrik … »
Donc, Sarkozy est ce qu’il est mais n’oublions pas qu’il baigne dans un contexte où le moindre de ses « écarts » est repris, disséqué, commenté et rappelé car considéré comme « inhabituel, étrange, déplacé … ». En revanche, chez nous, ceci constitue « la norme ».
C’est pourquoi, à mon humble avis, il faut commencer par balayer devant chez soi avant de donner des leçons à quelqu’un qui en reçoit tous les jours par un système politique et médiatique qui veille au grain.
J'ai bien apprécié votre intervention Charles! Une version plus détaillée et bien expliquée de celle de Madih. Après l'orage, le beau temps. C'est bien de rendre à César ce qui appartient à César, comme vous venez de le faire d'une façon magistrale. Ne pas se positionner sur aucune idéologie qui risquerait de fausser toute opinion objective de faits à laquelle tout journaliste devrait veiller.
La différence entre Sarkozy et Marine Le Pen, par exemple est que celui-ci ment pendant que l'autre dit ce qu'elle croit être la vérité. C'est à dire, elle ne ment pas. Marine est plus dangereuse en ce sens qu'elle dit et compte faire ce qu'elle pense réellement. Plus dangereuse que l'autre parce qu'elle ne fait pas de la politique. Elle ne sait pas faire de la politique parce qu'elle ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
C'est loin d'être le cas du président Sarkozy qui, lui, ne croit à aucun moment à ce qu'il dit pour la consommation interne. Son discours est plus celui d'un opportuniste saisissant des adjuvants de circonstance pour une fin bien déterminée: se réélire. Pour cela, il ne fait que s'appuyer sur ce que l'on a semé avant lui pour la conquête de pouvoir. Il sait que la France est condamné à s'ouvrir et ne peut se cloîtrer dans un système de vase clos-Lepen.
Quelle différence il y a entre Chirac et Sarkozy par exemple? Si celui-ci est un super menteur, celui-là est juste un hyper. Voilà tout. Alors, inutile de dramatiser ce qui semble banal et propre à n'importe quel pays du monde.