Quand l'information tue l'information
Talleyrand disait que tout ce qui est excessif est nul. Mais tenant compte de la fragilité de la cervelle humaine quelle "nullité" arrive à gommer sa trace.
Jamais on n’a été aussi informé et jamais on n’a été aussi ignorant et dépourvu de tout instinct de survie. Jamais ce dicton n’a été si bien vérifié : "Celui qui sait n’a pas la parole et celui qui a la parole ne sait pas." Car comment expliquer ce mal-être cette peur cette résignation à ce qui aurait pu être guéri à temps ? A quoi ça sert ce tsunami d’informations si on n’est ni capable de le digérer ni d’échapper à son agression ? Hier, on évitait de courir deux lièvres à la fois de peur de s’égarer, se briser le cou ; aujourd’hui, on capte cet herbivore en milliards d’exemplaires virtuels.
L’internet a été vulgarisé pour transformer la planète en village, briser la solitude des uns, dénoncer les alcôves mafieuses, livrer la connaissance à tous, créer des génies à la pelle et la paix dans un monde supposé hostile par ignorance. Or les divorces et mésententes se multiplient ainsi que le friendship kleenex, le fossé se creuse de plus en plus entre la base et le sommet de la pyramide et on n’a pas réussi à mettre au point le produit miracle qui transformera la poudre, inventée il y a des milliers d’années, en élixir de vie. Une connexion qui en fait n’a réussi qu’à déconnecter nos illusions : égalité, bonheur, science, intelligence collective. "Toutes les valeurs qui ont été prêtées à l’électricité et à la communication électrique jusqu’à l’ordinateur, le câble et la télévision par satellite, le furent d’abord au télégraphe avec un identique mélange de fantaisie, de propagande et de vérité." (1) Le verbe communiquer est devenu le "sésame ouvre-toi" des psys et jamais la solitude n’a été aussi partagée. Au fur et à mesure, on a perdu notre flair primitif. Idem pour la nature qui est en train de perdre ses abeilles en multipliant ses moustiques. Un moustique ça peut nuire sans paludisme. Souvenons-nous de cette catastrophe dans la ville de Bhopal aux Indes, un pays évolué ayant des structures sociales influentes et intelligentes.
A cause d’une fuite de gaz, en une seule journée, 8000 personnes moururent 20 000 plus tard et 100 000 autres furent mutilés perdirent la vue sans oublier tous les autres condamnés à des maladies chroniques et des malformations du fœtus. L’usine fabriquait des produits toxiques anti-moustiques. Dans le passé, les Indes n’avaient aucun problème de moustiques, les grenouilles les avalaient gratis pour préserver la santé des hommes. Pour faire bonne figure au touriste occidental qui raffolait des cuisses de grenouille, on liquida le précieux batracien. On peut multiplier cet exemple à l’infini un peu partout sur la planète. Jamais les hommes du pouvoir n’ont eu une telle puissance de nuisance une telle capacité à nous manipuler avec leur blabla et une telle sacralisation à neutraliser jusqu’à nos ombres.
Cette "bonne fée" vient à domicile par écran interposé essorer nos cellules graisseuses. En définitif, elle n’a nourri que le stress ; elle a boosté les drogues et les suicides ; elle a fait du 20eme siècle l’inventeur des camps de concentration et des génocides. Plus ces informations sont nombreuses plus elles s’enterrent sans être utilisées. Toutes ces technologies de la communication ont tué notre système communicatif intrinsèque. Comme si l’émetteur a été sciemment inadapté au récepteur. Ces ondes magnétiques électriques nous harcèlent en nous anesthésiant. On a plus envie de prendre un livre, discuter avec le parent l’ami le voisin. Plus envie de se torturer les méninges pour faire des recherches en passant des nuits blanches dans la réflexion alors que le clavier est là pour nous emmener vers le monde entier. On sait à peu prés tout ce qui se passe aux quatre coins cardinaux, de notre lit on peut discuter avec n’importe quel insomniaque à des milliers de kilomètres. Raconter nos rêves et nos cauchemars sur un blog, interpeller sur facebook même le président des USA et se vanter d’avoir plus de succès… Et après ? Un réveil de drogué qui se shoote entre deux insatisfactions deux souffrances.
Ces océans d’informations à défaut de faire de nous des frères et des savants, ont fait de nous les esclaves d’un clavier dur qui ne commande qu’un écran "plat". La perte d’un simple portable et c’est la catastrophe, un flash disc et c’est l’horreur. Nous sommes devenus des tubes qui déversent dans des récipients out. "La première de toutes les forces qui mènent le monde est le mensonge", disait Revel. Les politiciens en usent et abusent du mensonge de la vérité maquillée. Quand le peuple a accès aux magouilles de ses chefs il devrait être en mesure d’agir pas seulement d’encaisser sinon où est la morale de ce déballage ? Tel le parent inconscient qui se contente de connaitre la faute de son enfant sans sévir.
En France, au pays de la démocratie, les 2/3 des sondés disent voter pour Sarkozy pour ne pas avoir la gauche au pouvoir en 2012 et de l’autre côté, les 2/3 des sondés disent voter Hollande pour se débarrasser de Sarkozy. Et tous sont convaincus que la droite comme la gauche sont responsables de la situation peu reluisante de leur pays. On ne peut pas affirmer que les Français sont des cons et pourtant, ils continueront à voter pour ce duo perdant jusqu’au bout. Dans les pays arabes, saignés par les dictatures et les violences, les gens sont prêts à remplacer un despote nationaliste par un despote islamiste. Comme s’ils craignaient plus la liberté de l’autre que leur propre emprisonnement. Pendant que les peuples s’autoflagellent chacun dans son coin, les dirigeants font front commun malgré la différence de leur pedigree. Ils se soutiennent mutuellement démocrates ou pas. Du pire dictateur au président cool, tous se protègent à part quelques brebis galeuses qu’ils sacrifient après délibération. La mondialisation s’est s’arrêtée à leur niveau et malgré leurs promesses mirifiques, ils nous ont fait cadeau des inégalités et de la précarité comme s’ils s’apprêtaient à nous enterrer ou à émigrer vers une autre planète plus rentable. Si avant le salaire d’un patron était de 30 fois celle du travailleur maintenant il se multiplie par 300 et plus.
Tolstoï affirmait que l’histoire serait une excellente chose, si seulement elle était vraie. Elle ne pourra jamais être vraie puisqu’elle a besoin d’avoir accès à la vraie information détenue par quelques rares privilégiés dont elle est le fond de commerce. D’après Habermas, la communication est au cœur du lien social. Devenue technique, elle a fini par se détacher du social en clonant le réel au fictif. Elle oblige l’homme à n’avoir de relations qu’avec des objets morts. Les technocrates sont devenus des Frankenstein et nous des proies coincées dans la toile des circuits artificiels. John Saul a écrit en 1992 : "Quand j’ai affaire à des membres de nos élites, je suis toujours frappé par leur profond pessimisme, et plus particulièrement en ce qui concerne la nature humaine. Ils semblent douter que l’individu moyen puisse travailler suffisamment dur, reconnaitre la beauté, voter pour la meilleure politique ou même obéir comme il conviendrait. Ils partent du principe que cet individu ne comprendra jamais la complexité des responsabilités que le sort a dévolues à ceux qui possèdent la compétence et le pouvoir." Vingt après, le doute n’a fait que contaminer l’autre camp et toutes les informations à la "tout va très bien madame la marquise" n’y pourront rien changer. La première chose que partagent les gens de la rue les internautes c’est la suspicion envers leurs politiciens et leur fascination pour le star système imposé. Résultat, les chefs, pour nous mettre définitivement en boite, ont pris le masque des étoiles, des hommes-dieux.
A quoi ça me sert de savoir si DSK a violé la femme de ménage si tel acteur a divorcé ou si telle actrice s’est mariée avec un nabab… Si à 4 degré la neige me coince dans mon taudis et personne ne peut me dire comment mes aïeux se débrouillaient sans gaz ni électricité quand la température descendait à 0 degré ? A quoi ça me sert de savoir que le député X l’a emporté sur le député Y si mon enfant est malade et que personne ne peut me dire où trouver le médicament prescrit. Sachant que j’ai perdu à ma naissance la médecine naturelle bon marché de ma grand-mère et que l’heureux élu de l’assemblée ne prendra pas le deuil si je perdais mon rejeton. Jefferson affirmait que les hommes se divisent en deux groupes : ceux qui ont peur du peuple et ceux qui s’en méfient ; ceux qui s’identifient à lui et lui font confiance. (2) Où trouver ces derniers ? Sur une autre planète ou dans quelques pays nordiques qui ne font jamais l’actualité. 24 h sur 24 h, on nous bombarde par l’emploi du temps du président le programme de son rival les performances du sportif le résultat du match le dernier album du chanteur le défilé de mode de la "griffe" le film vrai faux "césaré" la couleur tendance la crème antiride miracle le voyant extra-lucide l’augmentation du prix du pétrole le contrat en or du footballeur les hallucinations du prédicateur l’horoscope certifié beau temps … et tous ces vendeurs de rêves qui disparaissent avec la pression d’un bouton. Saul disait que si Voltaire était l’homme le plus célèbre du 18e siècle, ce fut Mickey Mouse que revint cet honneur au 20e siècle.
Au 21e siècle on a le choix entre un Zidane et un Obama, des hommes qui sont des symboles certes mais qui ont changé leur vie plutôt que celle de leurs semblables. Les vrais héros ceux qui ont apporté quelque chose à l’humanité resteront boudés par les medias. Il faudrait attendre leur mort pour que les générations à venir leur fassent honneur. Mozart a bien été enterré dans une fosse commune en présence d’un chien et quelques anonymes et tant d’autres génies qui ont été obligés de mendier de voler de se suicider pour calmer leurs souffrances… Ce bric-à-brac d’informations cloisonnent au fur et à mesure qu’il s’installe parce que falsifié en amont pour ne pas nuire à la source. Que savons-nous de plus que nos ancêtres sans télé sans téléphone sans internet ? Nous avons les mêmes caïds à la différence qu’il nous est impossible de leur baiser la main ou de prendre le risque de la mordre, leur inaccessibilité fait que c’est leur image virtuelle qui arrive à nous convaincre qu’ils ne sont pas le fruit de notre imagination. Toute information est décidée, liftée au sommet de l’olympe comme du temps des dieux. Même pour les journalistes d’investigation, l’information n’est jamais livrée à l’état brut, il faut la "travailler" comme le diamant pour en tirer le maximum avec le minimum de risque. "Selon les lois qui gouvernent ce mélange de mots, d’attachements, de souhaits, de haines et de craintes que nous appelons opinion, un fait n’est ni réel ni irréel : il est désirable ou indésirable. C’est un complice ou un comploteur, un allié ou un adversaire, ce n’est pas un objet à connaitre." (3) Et comme l’opinion se nourrit aussi bien d’informations contrôlées que non contrôlées, le diable y perdrait son latin et nous notre temps ainsi que cette harmonie si nécessaire à notre bonheur…
Mimi Massiva
(1) James. W. Carey (anthropologue américain de la communication)
(2) John Saul (Les Bâtards de Voltaire)
(3) Jean-François Revel (La Connaissance Inutile)
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