Glissement ou dévaluation du dinar, quelle différence ?
Dans un commentaire largement reproduit par la presse algérienne, selon un conseiller à la Banque d’Algérie, le dinar n’a subi ni dévaluation ni dépréciation et encore moins un effritement.
Je le cite : "Le régime de change algérien est à classer dans la catégorie flottement dirigé. Il n’y a pas de dévaluation lorsque le taux de d’une monnaie est flottant ou flottant dirigé. On recourt à la dévaluation dans le cas du régime de change fixe lorsque l’économie est en profond déséquilibre. C’est-à-dire lorsqu’un pays importe beaucoup plus qu’il n’en exporte. La dévaluation intervient pour équilibrer la balance commerciale et rendre les importations plus chères pour favoriser les exportations". Pour ce conseiller l’économie ne connait pas de déséquilibre et ce glissement a favorisé les exportations algériennes. Je souhaiterais un débat serein, sans passion, loin des discours euphoriques afin d‘éclairer l’opinion algérienne sur des sujets stratégiques qui engagent l’avenir de l’Algérie. Questions de sémantiques ? Il faut être pratique. Le lecteur confronté à la réalité quotidienne, loin des théories abstraites des bureaux climatisés, appréciera.
J’en conviens, le dinar algérien n’est pas une monnaie convertible car non cotée au niveau des bourses internationales. Certes, les réserves de change ne sont qu’une richesse virtuelle provenant des hydrocarbures et l’objectif stratégique est de les transformer en richesses réelles, posant d’ailleurs la problématique du rendement réel tenant compte du taux d’intérêt pondéré par le taux d’inflation mondial, de plus de 90% déposés tant en bons de trésor américains qu’en obligations européennes. Mais n’oublions pas que la cotation du dinar algérien, sans les hydrocarbures représentant, 98% des exportations libellées en dollars et important 70/75% des besoins des entreprises (taux d’intégration public/privé inférieur à 15%) et des ménages dont 60% en euros et que les entreprises créatrices de richesses non liées à la rente des hydrocarbures moins de 20% du produit intérieur brut PIB, flotterait entre 300 et 400 dinars un euro. D’ailleurs depuis plus ‘une année l’écart entre le marché officiel et le marché parallèle ne cesse de se creuser pour s’établir entre 1401 et 150 dinars un euro. Cela est le reflet de la faiblesse de la productivité du travail, une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen, l’Algérie étant une économie rentière.
Pour un opérateur économique ou un simple citoyen algérien quelle différence y a-t-il entre le glissement du dinar et une dévaluation lorsqu’il échangeait en 1992, 20 dinars pour un dollar, 40 dinars pour un dollar après la dévaluation officielle entérinée par le gouvernement algérien en 1994 suite au rééchelonnement imposé par le FMI ? Par rapport à 1992, la dépréciation du dinar algérien est exactement de 390% et il faudrait doubler ce taux par rapport aux années 1970/1980. Pourquoi cette dépréciation du dinar algérien par rapport aux monnaies maghrébines : le dirham marocain est coté 11,16 un euro et le dinar tunisien 1,98 un euro ? Pour vérifier les dires du conseiller du gouverneur, je me suis présenté à la banque et j’ai demandé si j’achète une marchandise à l’étranger (biens d’équipement, matière premières ou produits finis) combien me faut-il de dinars car l’Algérien paye en dinars ? Le 07 mars 2012, la banque m’a réclamé (pour la vente) près de 78 dinars pour un dollar et près de 106 dinars pour un euro alors que la cotation était inférieure en décembre 2011 à 98 dinars un euro et inférieure à 95 dinars un euro moyenne 2008 (source Banque d'Algérie). Que se passe t-il si je fais le calcul uniquement entre le mois de décembre 2011 et le 7 mars 2012 ? Si ma marchandise à l’étranger en euros vaut 10 millions d’euros, je débourserai 1060 millions de dinars algériens sortie usine plus le transport soit une différence de plus de 80 millions de dinars par rapport à l’ancien cours, auquel s ’additionnera les droits et taxes à la douane calculés sur la partie dinars amplifiant le montant additionnel. A cela s’ajoutent 20% de taxe donnant 210 millions de dinars soit un surcout de 14 millions de dinars par rapport à l’ancien cours soit au total 94 millions de dinars. A ce montant, il faudra ajouter les frais de distribution internes, le tout se répercutant sur le consommateur final algérien. Que le conseiller de la Banque d’Algérie vienne payer la différence me montrant qu’il n’y a pas d’impacts entre glissement et dévaluation tant pour les entreprises consommatrices de matières premières que l’équipement (alourdissement de l’amortissement) que des produits finis. Pourquoi avoir par le passé fait glisser le dinar à la baisse lorsque le dollar était faiblement coté par rapport à l’euro ? N’est pas pour gonfler la fiscalité pétrolière et le fonds de régulation des recettes voilant par là l’importance du déficit budgétaire ? Pourquoi avoir fait glisser le dinar à la baisse par rapport à l’euro depuis décembre 2011 alors que ce dernier a été décoté par rapport au dollar ? N’est ce pas pour essayer de limiter les importations et accélérer l’inflation importée qui combinée au contrôle de la sphère informelle contrôlant plus de 40% de la masse monétaire en circulation et de plus de 65% des segments des produits de première nécessité entrainent la hausse des prix. Dès lors assiste-t-on à la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité dont 70% perçoivent moins de 25.000 dinars net par mois, paradoxalement la cellule familiale, les transferts sociaux de l’Etat mal gérés et mal ciblés (10% du PIB), des salaires rentes sans contreparties productives et la crise de logement permettant d’atténuer les tensions sociales ?
Une dévaluation ou un glissement, je ne vois pas la différence en termes d’impacts économiques et sociaux en Algérie contrairement à ce qui se passe en Chine, qui permet de dynamiser les exportations, de ralentir les importations par la dynamisation de la production intérieure. Car, les prix compétitifs sont fonction du couple coût/qualité. Or en dehors des hydrocarbures à l’état brut et semi brut, depuis de longues décennies les exportations algériennes hors hydrocarbures dont plus de 70%, selon les statistiques douanières, sont constituées de déchets ferreux et semi ferreux et de dérivées d’hydrocarbures, stagnent entre 1 et 1,5 milliards de dollars. Plus de 90% des entreprises sont familiales peu initiées au management stratégique et selon les dernières statistiques de l’ONS fin 2011 sur plus d’un million d’entreprises toutes catégories, 50% sont représentées par le commerce en majorité de détail. Dans ce cadre, malgré les assainissements répétés des entreprises publiques qui ont couté au trésor public plus de 50 milliards de dollars entre 1991 et 2011 dont plus de 70% sont revenues à la case de départ. Bien plus les différentes mesures contenues dans les lois de finances depuis 2009 (passage du Remdoc au Crédoc, suppression des crédits à la consommation, encadrement sévère de l’investissement étranger) ont été inopérants parce s’étant attaqué au secondaire et non à l’essentiel qui est l’inefficacité de la dépense publique : 200 milliards de dollars entre 2004/2009, 286 milliards de dollars entre 2010/2013, dont 130 milliards de dollars de restes à réaliser pour des projets non terminés avec des surcoûts exorbitants, 70% étant consacré aux infrastructures et non à l’entreprise et au savoir. Ainsi la facture des importations a été clôturée fin 2011 à 46,45 milliards de dollars en hausse de 14,70% par rapport à 2010, montant auquel il faut ajouter plus de 11 milliards de dollars en services (assistance étrangère alors que l‘on marginalise les compétences algériennes locales) soit une sortie de devises approchant 58 milliards de dollars en 2011. Dans ce cas le blocage n’est-il pas d’ordre systémique posant la problématique de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance? La sécurité nationale est posée car tenant compte des extrapolations d’exportation et de la consommation intérieure (ménages et projets futurs) dans 16 ans l’Algérie sera importatrice de pétrole et dans 25 ans, importatrice de gaz, le Creg estimant la consommation intérieure de gaz entre 2015/2020 entre 50/60 milliards de mètres cubes gazeux et 85 milliards de mètres cubes d’exportation pour des réserves estimées en 2008 à 4500 milliards. Alors la population algérienne approchera les 45/50 millions d’habitants sans hydrocarbures.
Professeur des Universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul
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