Appel à la mobilisation, à la résistance et aux ruptures… pour la fin de la domination

L'Algérien doit de se réapproprier son destin.
L'Algérien doit de se réapproprier son destin.

Les législatives de 2012 ont scellé un clivage larvé entre les Algériens. Ceux qui sont pour la participation au vote et ceux qui sont contre.

Ce clivage implique pour les uns leur complicité dans la reconduction du statu quo, qui leur garantit un accès conséquent a la rente. En échange ! ils s’investissent par leur soutien dans la pérennisation du système de pouvoir dominant, qui a besoin d’une élite soumise pour expédier ses affaires de gouvernance, sans pour cela venir lui contester son hégémonie sur le pouvoir de décision, ni sur son caractère illégitime, encore moins sur ses passifs en matière de crime contre les droits humains et la dilapidation des biens publics. Pour les autres, ils n’ont eu d’autres choix que dans l’engagement dans la lutte pour l’instauration d’un état de droit.

L’Algérie se trouve ainsi scindée en deux parties qui se tournent le dos, laissant entrevoir un face à face en perspective dont on ne peut prévoir à ce jour les conséquences.

Pendant que l’Algérie soumise avec sa myriade de partis politiques et de presse publique et "indépendante" sans substance courbe l’échine face à l’appel du régime dictatorial, l’autre Algérie, celle qui a pris le parti de se dresser contre le pouvoir despotique dominant, dans une posture de rupture, appel à la mobilisation, résiste et lutte pour mettre fin au système de pouvoir dominant. En quête d’une souveraineté, ayant déjà été mise sous séquestre avant même la naissance de l’État. Dans le désordre certes, avec insuffisamment de détermination et de volonté, mais non sans avoir créé un précédent historique irréversible. Refusant la résignation et disant non à la soumission. La maturation de la radicalisation de ce défi est devenue possible à la suite d’un énième leurre de normalisation de la vie démocratique, dont la lassitude engendrée par son caractère répétitif et sournois a précipité la rupture. Celle-ci ouvre incontestablement la voie à un processus de lutte qui marque le début de la fin de la souffrance de tout un peuple, qui a été confiné depuis l’indépendance dans un état de marginalisation total, non loin d’une situation assimilable quelque peu a de l’apartheid.

Depuis l’avènement des révoltes dans les pays arabes durant l’année 2011, les élites algériennes et les partis politiques opposés au système de pouvoir dominant ont considérablement multiplié les appels à la mobilisation de la société pour en finir définitivement avec celui-ci. Elles se sont surtout exprimées en ordre dispersé, sans aucune concertation, ni unification de leurs actions. Ces appels, dont l’impact sur la conscience collective est non moins négligeable, sont restés lettre morte et n’ont pas abouti au résultat attendu. Ils se sont dissous, tel un écho lointain dans l’immensité et la complexité de la diversité du paysage politique et multiculturel de la société algérienne.

Ces appels partent tous du même constat, la gravité de la béance qui sépare le pouvoir du peuple. Caractérisée par la dissolution du lien social et la perte totale de confiance en l’État et en ses institutions. Débouchant sur un chaos sociétal, réduisant le peuple à une masse informe, qui n’a aucune perspective, que de subir la pression d’un pouvoir illégitime, despotique et corrompu.

D’une part, ils s’accordent sur le constat que le système est irréformable et qu’il n’a pas de solution d’échange, d’où l’appel à la nécessité de la rupture. Car le réformer, cela signifie la fin des privilèges, la neutralisation de la prédation, l’assainissement des passifs judiciaires de crimes et de dilapidation des biens publics, auxquels les coupables, qui sont les responsables de ce système mafieux, devraient répondre. D’autant qu’ils ont impliqué presque la majorité du personnel administratif et des cadres des services de sécurité et des entreprises publiques dans un vaste réseau de corruption, à même de les entraîner inévitablement avec eux en cas de leur chute. Dans ce cas précis, tous s’accordent sur la rupture, car le constat est évident pour tous, le pouvoir ne peut s’en sortir de ce dilemme autrement que de reconduire indéfiniment ce régime, qui lui garantie impunité et pérennité. De ce fait, ils s’accordent à reconnaître que le pouvoir occulte (DRS et cadres de l’armée impliqués dans la conduite de ce système despotique) est certainement en train de manœuvrer tout ce qui est relatif aux législatives de mai 2012 pour la reconfiguration de la future coalition au gouvernement, la future assemblée nationale, la révision constitutionnelle qui se profile et la désignation du prochain président, pour que rien ne change.

D’autre part, ils s’accordent sur le fait que, pour atteindre ce but, toute la stratégie du pouvoir en cette période est l’homogénéisation de la situation politique de façade par rapport à l’issue qui a été réservée aux révoltes arabes. En se soumettant aux forces impérialistes et à leur tête les États-Unis, qui parrainent des réformes et des élections consacrant un leurre de victoire de l’Islam politique dit « modéré », qui reste sous contrôle, devenu redevable envers eux et fréquentable par la communauté internationale et en ne remettant pas en cause leur domination par des accords économiques, commerciaux et financiers inégaux, ainsi, que leur alignement sur leurs options stratégiques. Car, si le pouvoir vient à refuser de souscrire à ce diktat, les États-Unis, soutenus par leurs vassaux européens et les monarchies du conseil de coopération du Golfe (CCG) ont le pouvoir et la volonté, au nom des droits de l’homme et de l’ingérence humanitaire, de leur faire une guerre ouverte avec l’aval de l’ONU et de la Ligue arabe.

Ils espèrent que la prise de conscience du peuple dans la nécessité de la mobilisation se manifestera à l’issue des législatives de 2012, à partir du moment où il y aura une prise de conscience de la reconduction d’un avenir entravé, par un pouvoir sans perspectives de développement, qui tourne à vide sur lui-même.

C’est une grave erreur que de se limiter à ce constat. En vérité, le désordre et l’insuffisance de ces appels à la mobilisation sont imputables essentiellement à l’insouciance devant la complexité de la situation multiculturelle et pluriethnique de l’Algérie. Tous les constats relatifs à la déliquescence du pouvoir qui motivent leurs démarches, tout en étant communes, sont interprétés par une légitimation idéologique spécifique à chaque tendance au détriment des autres composantes du champ politique configurant l’opposition au système de pouvoir dominant. La complexité de la situation multiculturelle et pluriethnique ne présente pas moins d’une contrainte. La dépolitisation des consciences populaires entreprises par le pouvoir depuis l’indépendance et ses conséquences sur le renforcement de l’imaginaire politique conservateur constitut un obstacle de taille pour convaincre ceux qui sont aliénés dans un imaginaire mythologique religieux, qui est naturellement antinomique avec un projet de société véritablement démocratique, d’adhérer à des appels pour un projet de constitution d’un état sécularisé. De même pour les Algériens qui aspirent à un état sécularisé, qui leur garantie toutes les libertés y comprit la liberté de conscience, ne peuvent adhérer à des appels émanant d’une élite conservatrice, dont le projet de société qu’ils proposent contredit leur aspiration, justement par ce manque de sécularisation.

C’est une donnée qu’il faut impérativement prendre au sérieux. Car, les Algériens se trouvent généralement dans une situation de non contemporanéité, dans la mesure ou ils refusent les temps présents. Devant cette situation, les Algériens ouverts au monde contemporain, même minoritaires, doivent s’engager dans une seconde rupture, contre les forces réactionnaires et antidémocratiques au sein de la société cette fois, qui apparaît à l’évidence comme indispensable. Car l’État totalitaire est ancré dans la psyché collective.

Les appels émanent des nationalistes conservateurs se fondent sur le projet d’établissement d’un État hybride, à cheval entre la modernité et la tradition, mais à dominante conservatrice. Ils recourent généralement à une rhétorique populiste, qui consiste à s’attirer la sympathie du peuple, par l’exaltation de ses faiblesses culturelles induites par l’ignorance dans laquelle le pouvoir dominant l’a confiné. Ils instrumentalisent un anti-occidentalisme mi-primaire, mi-savant, une sorte d’hybridation culturelle, qu’ils font valoir comme discours mobilisateur pour une rupture avec le système dominant et l’instauration d’un régime démocratique. Cet anti-occidentalisme considère à tort que les acquis des lumières servent d’alibi à l’impérialisme et à la domination de l’Occident. Leur antithèse aux valeurs des lumières débouche sur une attitude narcissique, en opposant l’ersatz du fantasme identitaire comme défi à ces valeurs universelles. La revendication de la souveraineté dans des valeurs islamiques se fonde sur une vision autarcique dans leur rapport aux autres. C’est un défi lancé à l’Occident et à la modernité, mais condamné à ne pas trouver de valeurs de substitution et d’échange à celles de l’universalité de la raison des lumières. Le discours identitaire nourri uniquement du ressentiment et de la négation de l’autre ne peut aboutir qu’à la régression. Plus autarciques, les appels des islamistes radicaux, théocratiques, anachroniques, se fondent sur l’établissement d’un État théocratique et prônent l’application stricte de la charia. Ils incarnent la radicalité du défi contre les valeurs universelles. Ils considèrent le mythe théocratique comme la fin de l’histoire.

La démocratie ne peut se concevoir en dehors d’un projet de société sécularisé, car sitôt, elle sera confrontée à une limitation des libertés religieuses et, donc, des libertés de conscience. Si aux origines du mouvement national, la problématique identitaire était une stratégie de contestation de la spécificité de la personnalité algérienne par opposition à la personnalité coloniale, cela ne pouvait de ce fait signifier que le projet de société, objet des luttes pour l’indépendance, devenait de facto une référence exclusive. Cette tendance idéologique en rupture avec le système dominant pose effectivement problème pour une unification des forces démocrates. Cette énième division donne une occasion supplémentaire au pouvoir dominant pour affaiblir les forces qui s’opposent à son hégémonisme, au même titre que les appels des séparatistes kabyles, qui se fondent sur la partition de la nation. Dans leur délire séparatiste, les Kabyles confondent le concept de culture avec l’identité ethnique.

L’identité algérienne tout compte fait ne pouvait se réduire à son caractère berbère et arabo-islamique et à leurs valeurs exclusives. Plusieurs peuples et plusieurs cultures ont effectivement participé à la constitution de l’algérianité. La richesse du peuple algérien se mesure à son fort taux de métissage et de multiculturalisme. Ainsi, les Égyptiens, les Hébreux, les Grecs, les Phéniciens, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Espagnoles, les Ottomans, les Français, et autres Maltais, Portugais, Africains subsahariens…, ont contribué à l’élaboration de la culture algérienne. La conquête arabo-islamique, de l’avis des historiens, n’a pas déplacé de nombreuses populations, et l’invasion hilâlienne s’avère être plus une exagération mythique au service de l’idéologie, qu’une réelle colonisation de peuplement. Il conviendrait de considérer les Algériens d’aujourd’hui, pour être plus plausible, comme étant majoritairement des Amazighs confrontés en permanence au dialogue interculturel, par leur position géostratégique au confluent entre méditerrané, proche orient et Afrique, et fortement acculturés par la culture arabo-islamique, que de les assimiler à des Berbères où a des Arabes, ce qu’ils ne sont pas en réalité. C’est pour cela que la sécularisation est une base politique capable d’absorber tous ces clivages et faire de l’Algérien un citoyen jouissant d’une situation transculturelle à l’avant-garde de l’Humanité. Cela nous évitera autant de dangers de partition de l’Algérie, en autonomie kabyle par exemple, on pourra aussi envisager l’autonomie du M’Zab, des Chaouis, des Touaregs, si le processus d’autonomie de la Kabylie aboutit on ne saura pas jusqu’où il peut nous mener. Cette perspective correspond exactement au projet impérialiste pour la région dans son projet de grand moyen orient. Partition de ces pays en sous-États à caractères religieux, ethniques ou tribaux, pour rendre plus facile leur inféodation.

Malgré tous ces obstacles et leur difficile résorption apparente, les forces démocratiques ne sont pas pour autant au bout de leurs peines, car ils doivent encore faire face à un autre problème, qui pèse à son tour de tout son poids sur les conditions de rassemblement de ces forces. Il s’agit des résidus d’une structure mentale patriarcale qui les affecte profondément, malgré leur apparente émancipation politique.

Nous constatons que, souvent les contributions de personnalités indépendantes ou même certains articles de journalistes engagés sont orientés vers l’analyse. On ne peut plus aujourd’hui se permettre de continuer dans ce sens. L’enlisement et la dangerosité de la situation exigent que l’analyse aille plus loin et s’impose comme praxis au sens d’une véritable théorie de l’action. Devant cette exigence, les appels à la mobilisation émanent de personnalités indépendantes et de partis politiques ayant consommé la rupture avec le pouvoir dominant, devraient être également accompagnés par des tentatives insistantes de rapprochement entre les différentes forces démocratiques en rupture avec le système. Pour que les appels soient audibles, il est impératif qu’ils soient fondés sur une éthique patriotique avec suffisamment de convictions, dans le sens de faire passer la préoccupation de l’intérêt général au-dessus de toute autre considération. En dépassant les querelles claniques et en transcendant l’orgueil de l’ego, qui est par nature incompatible avec l’intérêt général. Demander au peuple de se mobiliser sans pouvoir le faire soi-même en allant vers les autres, en cherchant la coalition la plus large, relève du non-sens. C’est certainement à ce prix-là, que le rassemblement des forces qui luttent pour une nation souveraine puisse s’accomplir.

Youcef Benzatat

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Faro Laz

L’essai de Mr YB est remarquable dans sa prise de vue de la situation actuelle du pays et des hommes. Cependant ceci a été un peu spolié par l’usage de la terminologie FLNiste du type « forces impérialistes » et « vassaux européens et les monarchies du conseil de coopération du Golfe (CCG) ».

Je voudrais ici proposer « américains » et « européens et pays du CCG » tout simplement pour éviter d’offenser quiconque.

Note : les Américains et les Européens sont possiblement arrivés à la conclusion que les pays arabes et / ou musulmans ayant démontré leur non-aptitude à se gérer correctement selon les standards modernes de véritable républiques ne peuvent être gérés que par un Islam certes modéré mais acceptable. D’ailleurs que veut-on de plus comme démonstration après autant d’années passées pour en arriver là. Les Américains très pragmatiques font des affaires au meilleur prix avec n’importe qui. Plus les individus, corporations et / ou nations sont corrompus, plus leurs prix sont bon marché.

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Mus Amsdrar

Si le projet d'autonomie aboutit ça serait salutaire et pour l’Algérie et pour la Kabylie.

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