Mostefa Ben Boulaïd, une grande figure algérienne
Après un demi-siècle d’histoire obscurantiste ou falsifiée débitée par les idéologues du pouvoir algérien et leurs associés (omniprésents dans les médias et l’édition), la jeunesse algérienne aspire à connaître l’histoire réelle de la révolution algérienne pour se débarrasser de l’État mafieux de Bouteflika.
Elle pourrait s’engager alors dans un combat pour la formation d’un État de droit, à la suite d’un processus constituant démocratique et se projeter dans l’avenir pour construire une Afrique du Nord unifiée dont le creuset n’est pas arabo-islamique, mais berbère. C’est pour aider cette jeunesse que nous parlerons de ce géant que fut Mostafa Ben Boulaïd.
Parcours d’un révolutionnaire
Ben Boulaïd est né le 5 février 1917 à Arris (Aurès) dans une famille de paysans. En 1936, émigré dans la région de Metz, il est élu responsable syndical. Mobilisé dans l’armée française en 1939, il est libéré en 1942 et devient meunier à Arris. Il est élu responsable du syndicat des commerçants de la région et, dès 1943, il commence à s’intéresser à la politique grâce à un militant du PPA, Mahieddine Bekkouche, libéré de la prison de Lambèse la même année. En 1943, il est mobilisé à Khenchela comme réserviste jusqu’en 1945 et c’est après son retour à la vie civile qu’il adhère au PPA clandestin puis au MTLD.
En 1953, Messali intervient pour que Ben Boulaïd soit coopté au comité central comme responsable de l’OS reconstituée, sur la base d’un second rapport de Hocine Aït Ahmed de 1952, et placée sous la direction du secrétaire général Ben Khedda et du président du parti Messali Hadj.
Pendant la crise du MTLD, il se rend à Niort (ouest de la France) en février 1954 et pendant les discussions avec Messali, il plaide pour éviter une cassure du parti, sans comprendre la nature de la crise. De retour en Algérie, il préconise "la neutralité", ce qui explique l’absence d’une délégation des Aurès au congrès d’Hornu. Informé des résultats de ce congrès, il revient à Niort en juillet 1954 et il apprend de son chef hiérarchique, car l’OS existe toujours, que la direction issue d’Hornu, le Conseil national de la révolution (CNR) réorganise le parti pour l’engager dans la lutte pour l’indépendance en décembre 1954, après la session de novembre de l’ONU.
C’est dans ces conditions que Ben Boulaïd s’engage plus activement dans le CRUA, considéré par lui comme un simple organisme technique pour se procurer les armes de l’Égypte, via la Tripolitaine. Déjà Mezziani Messaoud (Chihani Bachir) qui avait rencontré Mohamed Khider au Caire, le 5 avril 1954, avait été convaincu que Nasser soutiendrait la lutte armée, dès son déclenchement.
Le 15 août, Ben Boulaïd se rend à Tripoli où il informe Ben Bella des résolutions prises le 25 juillet par les 22 du CRUA de déclencher la lutte armée. Après les assurances reçues, il revient en Algérie et arrache l’adhésion de Krim Belkacem au CRUA.
Le 1er novembre, c’est au nom de Messali Hadj que Chihani Bachir, Ben Boulaïd et toute la wilaya des Aurès entrent dans l’insurrection. Les armes promises par Ben Bella qui devaient transiter par la Tripolitaine et le Sous n’arrivant pas, Ben Boulaïd nomme Chihani Bachir chef de l’Idara (état-major) des Aurès et se rend à Tripoli. Arrêté le 11 février à Ben Gardane dans le Sud tunisien, il est transféré à la prison de Constantine. Interrogé par Vincent Monteil, le 16 février, il lui dira qu’il reste fidèle au programme du PPA, dont le mot d’ordre central : l’élection d’une Assemblée Constituante souveraine, reste la solution au problème algérien. Le 20 juin, le Tribunal militaire de Constantine condamne Ben Boulaïd et Bouchemal à la peine de mort. Ben Boulaïd entame aussitôt une grève de la faim. Dès la nouvelle connue à Paris, Marceau Pivert, Claude Bourdet, Robert Cheramy et Paul Ruff prennent l’initiative, de former un Comité de défense pour empêcher les exécutions.
Le 8 juillet, dans la Vérité, organe du Parti communiste internationaliste (PCI), Gérard Bloch, ancien déporté à Dachau, signe un article intitulé "Halte au bourreau !". C’est le point de départ d’une campagne menée par le comité. L’Appel à l’opinion et à des personnalités de toute tendance sera signé par une centaine de signatures, dont celle de Jean Cassou, J.M. Domenach, H.I. Marrou François Mauriac, M. Merleau Ponty et Albert Camus. Pendant tout le mois de juillet, le comité fera une vigoureuse campagne, mais les syndicats CGT, CFTC et FO, Le Populaire socialiste, l’Humanité et toute la grande presse (Le Monde, France Observateur, l’Express, Libération et Témoignage Chrétien) refuseront de s’associer au comité et même de publier l’Appel.
Le 15 septembre, Robert Barrat publiait dans France Observateur un article faisant du FLN la direction politique de l’ALN et les époux Jeanson publiaient en octobre L’Algérie hors la loi qui allait dans le même sens. Mais ce lobby FLN qui se met en place refusera toujours de lutter contre les condamnés à mort.
Le 8 novembre, le comité organisa un meeting contre les condamnations à mort en Algérie, dont je faisais partie comme membre du service d’ordre du PCI. Devant plusieurs centaines d’Algériens et de démocrates, les orateurs fustigèrent la politique du gouvernement et plusieurs messages de soutien furent lus dont celui d’Albert Camus. La résolution finale qui se prononçait "pour l’ouverture de négociations avec les représentants qualifiés du peuple algérien, par le peuple algérien lui-même, dans une consultation électorale libre et démocratique" était contradictoire avec celle du FLN.
Le 10 novembre, la presse annonçait l’évasion de Ben Boulaïd et onze condamnés, organisée par le MNA. En prison, Ben Boulaïd avait pu avoir, via son avocat Yves Dechezelles, un échange avec Abdallah Filali, originaire de Constantine et dirigeant du PPA clandestin au sein du MTLD puis du MNA. Ben Boulaïd indigné d’apprendre l’exécution de Chihani Bachir à l’issue d’un procès inique ainsi que la guerre engagée par Abane Ramdane contre les messalistes adhéra au MNA comme me l’a confirmé Filali. Libéré, il reprend le contrôle de sa wilaya, reconstruit l’Idara désarticulée par Laghrour Abbès puis envoie des courriers aux autres chefs de wilayas pour constituer un état-major de l’ALN, indépendant du FLN et du MNA, le problème politique devant être réglé par des élections libres à une Assemblée constituante. C’est alors que le 27 mars, Ben Boulaïd manoeuvrant un poste de radio piégé à son PC fut déchiqueté par une violente explosion, dans laquelle périrent aussi son lieutenant Hadj Lakhdar Chelihi et deux autres cadres.
Dans un tract parvenu les 6 et 7 décembre aux journaux parisiens, le MNA qui a mené une enquête sur place a établi que Adjoul, l’un des adjoints de Laghrour Abbès, étant en contact avec Krim, l’assassinat de Chihani Bachir et de Ben Boulaïd n’était pas le fait du hasard. Zighout Youcef, et Ben Tobbal, chefs de la wilaya du Nord-Constantinois n’accepteront pas la version de la mort de Ben Boulaïd faite par Amirouche, rejetant la responsabilité sur le seul Adjoul. Quant à Ali Kafi, il manifestera son scepticisme en indiquant que "les versions contradictoires sur la mort de Ben Boulaïd se sont multipliées".
Conclusions
En cette fin 1955, le FLN n’était en rien la direction de l’ALN, puisqu’il ne défendait pas le chef de la wilaya des Aurès. Dès septembre 1955, Robert Barrat, Francis Jeanson et le lobby pro-FLN qui se met en place ne mènent aucune lutte pour empêcher les condamnés à mort en Algérie.
En novembre 1955, Jean Daniel et France Observateur font partie d’un lobby qui soutient le FLN, à la différence d’Albert Camus qui défend la campagne du Comité et sa résolution générale. Il est étonnant que l’itinéraire et le combat de Ben Boulaïd ainsi que l’action menée par un Comité pour empêcher son exécution par le pouvoir colonial restent toujours méconnus ou dénaturés. À titre d’exemple, le dernier livre, très médiatisé de Benjamin Stora : La guerre des Algériens vue par les Algériens, Denoël, 2012 !
Jacques Simon
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merci bien pour les informations
nice article thanks for your information