Egypte : onze raisons qui accusent le pouvoir militaire

Les généraux ne veulent pas lâcher le pouvoir.
Les généraux ne veulent pas lâcher le pouvoir.

Le carnage au stade de foot de Port-Saïd aurait-il eu lieu sans l’aval des militaires ? Le quotidien cairote énumère les raisons qui laissent penser à l’implication des forces de l’ordre.

L’aide américaine à l’Egypte sera revue, affirme Al-Masri Al-Youm. L’armée égyptienne reçoit une aide qui varie entre 1 et 3 milliards de dollars, mais la sanglante répression menée par les militaires a poussé Washington à critiquer ces actes. Le 26 janvier, Le Caire a empêché six ressortissants américains, dont le fils du secrétaire américain aux Transports Ray LaHood, de quitter le pays. Ils seront jugés avec treize autres Américains pour financement illicite d’ONG égyptiennes.

Ce?qui?s’est?passé?au?stade?de Port-Saïd [74 morts et des centaines de blessés à la fin d’un match de foot, le 3 février], l’histoire ne le pardonnera pas. Ceux qui disent qu’il s’agit d’une affaire de hooliganisme ordinaire se trompent. D’autres soutiennent au contraire que cette boucherie a été voulue et que le but était de se débarrasser des “ultras

Première raison qui permet de l’affirmer : depuis l’abrogation [partielle] de l’état d’urgence par le Conseil militaire [le 25 janvier dernier], l’Egypte connaît une aggravation vertigineuse de l’insécurité, avec hold-up de banques comme on?n’en?avait?vu?qu’au?cinéma,?prise d’otages de travailleurs chinois dans le Sinaï et vols dans les bureaux de change [ainsi qu’enlèvements et meurtres de touristes]. Les événements de Port-Saïd s’inscrivent dans ce contexte. On dirait que cela est délibérément provoqué afin de pousser la rue à réclamer une reprise en main sous la houlette du ministère de l’Intérieur.

Deuxième raison : les ultras du club Al-Ahly [le club de foot cairote victime de ce carnage] avaient scandé des slogans ouvertement hostiles au Conseil militaire lors d’un précédent match. Cela avait été abondamment relayé sur Internet. De même, ils continuent de dénoncer les méfaits et violences de la police, notamment à travers leurs fameuses chansons, telles que “O toi, corbeau qui niches, dans notre foyer”, adressée aux forces de la corruption au sein du ministère de l’Intérieur. Bref, ils persistaient à rejeter l’arbitraire des autorités militaires. Celles-ci voulaient donc leur infliger une leçon.

Il a fallu attendre trois heures

Troisième raison : Ahmed Fathi, l’un des joueurs d’Al-Ahly, a appelé au secours un policier face aux hordes de supporters qui descendaient des gradins mais l’officier n’a pas bronché. Les joueurs étaient donc sans défense. Si les supporters de Port-Saïd détestaient à ce point les footballeurs d’Al-Ahly, ils auraient pu les attaquer et les battre à mort. [Or ils ont réservé leurs coups aux supporters.]

Quatrième raison : lors de la rencontre entre le club égyptien Zamalek et le club tunisien Ifriqiya, le 1er avril de l’année dernière, devant quelque 100 000 spec-tateurs, deux minutes avant le coup de sifflet final, des supporters avaient envahi la pelouse, environ cinq fois plus nombreux qu’à Port-Saïd. Et pourtant, personne n’était mort ce jour-là.

Cinquième raison : il y avait eu des mises en garde contre les risques encourus à l’occasion de ce match et les forces de l’ordre s’étaient bien préparées. Pourtant, le chef de la sécurité à Port-Saïd et le gouverneur de la province n’étaient pas présents, comme il est d’usage dans ce cas. Pourquoi ne se sont-ils montrés que des heures après ?

Sixième raison : tout le monde sait que de gros bataillons de l’armée sont stationnés à Port-Saïd. Pourtant, l’armée a mis beaucoup de temps à arriver sur place. Il a également fallu attendre trois heures avant que le maréchal Hussein Tantaoui [qui dirige le Conseil militaire] ordonne l’envoi de deux avions militaires pour ramener des victimes dans la capitale. En revanche, quand un incendie a éclaté lors d’un autre match qui se jouait au même moment dans un stade du Caire, les?pompiers?étaient?là?au?bout?de quelques minutes.

Septième raison : quand les révolutionnaires se faisaient tuer et éborgner en novembre dernier à côté de la place Tahrir, les “vaillants policiers” disaient qu’il fallait protéger le bâtiment du ministère de l’Intérieur. A Port-Saïd, le rôle des forces de l’ordre était d’assister au drame en spectateurs.

Huitième raison : un an plus tôt, jour pour jour, une horde de barbares [envoyés par les pro-Moubarak] avait envahi la place Tahrir à dos de chameau et d’âne pour attaquer les révolutionnaires. En presque vingt heures de bataille, 11 personnes étaient mortes. Comment, aujourd’hui, le maréchal Tantaoui ose-t-il dire que 74 morts et plus de 1 000 blessés en moins d’une heure sont “quelque chose qui peut arriver partout” ?

Un stade rempli de policiers

Neuvième raison : les supporters du club local étaient environ 10 000, face à 2 000 du côté d’Al-Ahly. N’est-il pas curieux que les victimes soient toutes du même côté ? L’explication se trouve dans le témoignage d’un des “ultras” d’Al-Ahly devant les caméras d’une chaîne de télévision, en direct du stade : “Les forces de sécurité étaient là comme un mur devant nous durant le match, mais quand les supporters ont commencé à descendre, ils leur ont curieusement ouvert le passage. Et comme les portes de sortie étaient fermées, ce fut le massacre.

Dixième raison : deux heures après le début du drame, la télévision a transmis des images du stade rempli de policiers. Alors que toute l’Egypte était sous le choc, les hommes du ministère de l’Intérieur plaisantaient entre eux. D’autres, au lieu de faire leur travail, filmaient la scène avec leurs téléphones portables. Comme s’ils étaient là en badauds et comme si tout cela ne les concernait pas.

Onzième raison : même s’il existe des tensions entre supporters des deux clubs, cela ne suffit pas pour expliquer les morts par dizaines. Pour preuve, l’afflux de milliers d’habitants de Port-Saïd pour donner leur sang et pour offrir un toit aux proches des victimes, venus du Caire.

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