La maison de Bakhta
"En attendant l’introduction du pluralisme sous n’importe quelle forme qui leur convienne, les masses arabes resteront incapables d’influencer leur propre sort, incapables d’exercer l’élément de choix sans lequel il n’y a ni créativité, ni réelle indépendance, ni même une vraie nation."
"Les Arabes sont les vrais perdants, un danger pour eux-mêmes, situés en dehors de l’histoire universelle en élaboration, de sorte que le monde se trouve privé de ce qui aurait pu être leur appréciable contribution." (1)
Dans la maison de Bakhta, le vrai séisme ne vient pas des entrailles du sol mais de la tête de la propriétaire. La vérité, quand elle existe, se traduit toujours en névrose mensongère, le lait en nœud coulant autour du cou fripé du bébé. Que peut faire ce printemps arabe, prompt à montrer ses épines sans réussir une seule rose, face à cet héritage génétique défectueux ? Les dictateurs déchus, encore vivants, doivent se frotter les mains de satisfaction. Pourtant il aurait suffit d’un peu de bonne volonté pour que ceux qui ont versé leur sang, ceux qui se sont immolés, ne meurent pas pour rien. L’histoire a bien retenu le nom du "petit" homme frêle à moitié nu et affamé, vainqueur sans violence du plus grand empire colonial de l’époque : Gandhi. Il ne suffit pas d’envahir les rues, il faut en sortir avec le bon résultat ou mourir en martyr. Mai 68 en France c’était des jeunes en colère sans idéologie ni guide, ni gourou ; juste une soif de liberté. Et c’est des adultes responsables qui ont relayé leurs doléances. Imaginons l’Europe d’aujourd’hui si des salopards avaient pris la relève. C’est ça qui pose problème maintenant dans le monde arabe : qui peut remplacer le tyran ? La foule ne connaît que deux spécimens : le zaîm et le cheikh, l’homme au "fauteuil" et l’homme au "chapelet". Déjà aux funérailles de Nasser, la foule en délire chantait : "Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah et Nasser est l’amour d’Allah (Habiballah)" (2). Lucide, Nasser a écrit dans son livre autobiographique : "Une révolution nous oblige à nous unir et à nous aimer les uns les autres ; une autre nous plonge dans la dissension, contrairement à nos désirs, et nous pousse à nous haïr les une les autres." Comme ces jeunes de la place Tahrir (sous la dictature) et ceux qui se sont entretués dans le stade de Port Saïd (après un vote libre et transparent). De nos jours, grâce aux médias, cette anomalie de la psyché arabe est mise à nue et sommée de trouver une autre excuse que celle de la manipulation. Et répondre à la question : pourquoi nos jeunes sont plus manipulables que les autres ?
Les dictateurs, des enfants maltraités
Le monde arabe ressemble à un père qui a longtemps maltraité ses enfants puis le jour où il commence à vieillir, sa progéniture qui n’a connu aucune éducation que celle de la jungle perpétue la tradition. Les psys connaissent ça : la violence appelle la violence. Les tueurs en série, les délinquants, les dictateurs ont été généralement des enfants maltraités. Il y a aussi des grands hommes qui ont passé par cet enfer mais ils ont eu la chance de rencontrer une ou plusieurs personnes pour panser leurs blessures. On peut remonter l’histoire des Arabes d’avant l’Islam, l’épée est présente même dans la poésie. On ne peut verser du sang sans être fasciné par lui, envoûté, détruit. On le voit chez les soldats américains qui reviennent d'Irak dépressifs suicidaires. On le voit aussi dans la confession des grands criminels : "Le plus difficile c’est la première fois après on ne peut s’empêcher…". Mais les vraies victimes de ces barbares sont celles qui restent en vie : la société. On ne tue jamais son traumatisme. Une enquête faite par des sociologues américains dans les années 50 auprès des classes populaires et moyennes arabes a donné ces réponses du genre : "La seule façon d’accomplir quelque chose de positif est de devenir dictateur et de s’appuyer sur l’armée pour se faire obéir." (Un avocat syrien). "Si j’étais à la tête du pays, j’exécuterais tous ces effendis assis dans les grands fauteuils du gouvernement actuel et j’instituerais une dictature des plus sévères." (Un Frère musulman égyptien). Plus d’un demi-siècle d’indépendance, ces idées sont plus que jamais d’actualité. A qui la faute ? Si on considère que toutes les races se valent pourquoi sommes-nous l’exception qui refuse de confirmer la règle : la normalité ?
Au moment où l’Occident entrait dans le siècle des Lumières, que faisait le tout-puissant empire ottoman qui nous gouvernait ? Il n’a pas été fasciné par les découvertes scientifiques, ni par la peinture des grands maîtres, ni par les idées humanistes mais par l’art de mieux tuer. Il importait des armes comme tous les pays arabes actuellement. C’est toujours les guerres qui nous fournissent nos grands hommes, nos héros, nos seuls exemples à suivre. Les martyrs officiels de la guerre de Libération continuent à donner leur nom à toutes nos rues nos écoles… alors que des millions d’Algériens sont Français que la France demeure notre premier partenaire sans parler du rêve d’émigration de nos jeunes et de nos chefs. On maintient dans les programmes scolaires cette haine latente comme une bombe à retardement sans maîtriser sa direction et son fonctionnement. Dans ce climat de non-paix perpétuelle, on se console en se saluant : salam ! Paix à toi, mon frère ! Les traditions, la politique, la police, l’armée, la mosquée, l’école, la famille, tous veillent pour que l’enfant rentre dans le moule des ancêtres forçant le temps à se détourner de l’avenir pour enlacer le passé, le perpétuel "retour aux hiers". Celui qui ne s’adapte pas crève ou émigre.
Dans la maltraitance il y a le souci de maintenir les gens dans l’ignorance. Le coupable est pluriel : ce n’est pas un homme mais tout un clan. On le voit avec l’Irak après Saddam Hussein. Pourquoi ces jeunes sunnites, chiites posent des bombes pour tuer le maximum de civils dont le seul tort est d’avoir été au mauvais endroit. Quand les Anglais sont rentrés en Afghanistan, ils se sont enfuis en perdant leur légendaire sang-froid. Pour décourager les troupes de sa gracieuse majesté, les Afghans de l’époque ont massacré après d’horribles tortures tout un village avec ses femmes, ses enfants et ses hommes. Epouvantés, les Anglais se sont dit que des gens qui font subir aux leurs de telles horreurs ne méritent pas d’être colonisés. On voit dans quel état se trouve ce beau pays montagneux et quelle leçon nos jeunes désœuvrés ont en tirée pour revenir l’expérimenter sur nous…
Rousseau dans son Contrat social affirme que dans les commencements de la république, on recourt très souvent à la dictature parce que l’Etat n’est pas assez solide pour tenir par la seule force de sa constitution "…Et, passé le besoin pressant, la dictature devient tyrannique ou vaine. A Rome, les dictateurs ne l’étant pas pour 6 mois, la plupart abdiquèrent avant ce terme." Dans les pays arabes là où il n’y a pas de constitution forte ni juste, les commencements de la république ne peuvent générer que des dictatures durables pour la simple raison qu’ils ne sont que fictives. Un vote libre et transparent n’est rien de plus qu’un saut dans l’inconnu si les électeurs ne sont qu’une boîte à voix au lieu d’être des esprits éclairés. Un bureau de vote n’est pas un sésame ouvre-toi ! L’euphorie, alliée à l’ignorance, est mauvaise conseillère. L’Iran est à ce titre un exemple type. Les mollahs ont enfoncé le clou jusqu’à l’os et les déloger n’est pas chose aisée. Aux dernières manifestations, la jeunesse iranienne n’a pas remis en question le régime théocratique qui la ligote et en a fait l’une des plus droguée au monde (+ de 30%). En Turquie, le PKK, installé depuis 10 ans, montre de la modération question charia mais manque de souplesse vis-à-vis de ses opposants, on estime à plus de 100 le nombre de journalistes derrière les barreaux pour avoir eu l’honneur de lui déplaire.
Pour satisfaire la rue arabe qui réclame la "modernité", il faut suivre l’expérience du genre humain si on n’est pas des extraterrestres. Les historiens affirment qu’il faudra réunir trois caractères : l’exaltation de l’individu, l’esprit critique et du changement. Dans la maison de Bakhta, il n’y a d’exalté que Bakhta et les islamistes qu’elle enfante qui n’ont aucun esprit critique et sont contre tout changement. Ce n’est pas eux qui sauveront le monde arabe ni ne lui redonneront son Age d’Or. On oublie souvent de préciser que la civilisation musulmane n’est pas l’œuvre de religieux mais de savants souvent considérés par les premiers comme des mécréants. Sans la civilisation grecque comment concevoir un Ibn Roch : "Ibn Rochd avait été, pour la pensée spéculative gréco-arabe, comme le bouquet d’un brillant feu d’artifice." (3) Ce grand philosophe comme Ibn Khaldoun a été déterré de la "fosse commune arabe" par les Occidentaux et consacré au panthéon des génies de l’humanité. Dans la maison de Bakhta si on ne tue pas les enfants les plus méritants on les chasse pour grossir les forces de l’adversaire. Paradoxalement, la chute de Constantinople déclencha ce qu’on appelle la Renaissance. (4) En faisant le siège de Constantinople, l’armée ottomane a fait fuir l’élite grecque vers l’Italie. On affirme que ces intellectuels ont provoqué une vraie révolution en Occident. L’histoire se répète sans aucune originalité : l’hémorragie de nos cerveaux sous la pression conjuguée des despotes et des intégristes fait le bonheur de l’Europe et des USA. Que reste-il de la Grèce antique qu’un boulet européen, un pays ruiné et prés à se vendre à n’importe qui. Si le pétrole a donné un sursis au monde arabe, les turbulences qui le traversent aujourd’hui sont du "quitte ou double". Curieusement c’est les monarchies comme le Maroc, la Jordanie, l’Arabie Saoudite qui semblent offrir plus d’espérance. Cette dernière ambitionne même de se passer du pétrole d’ici à 20 ans en investissant sans complexe dans le business du tourisme religieux. Dans 20 ans, dans quel état sera l’Algérie ? Il faut un voyant extra-lucide pour répondre...
Le vote n’est pas une mince affaire. Humilié, marginalisé, violenté, affamé, l’homme a tendance à se comporter en chien de Pavlov enragé : remplacer un maître par un autre. Dans son livre Neige, le prix Nobel turc, Orhan Pamuk, contraint par les islamistes à l’exil, a écrit : "Il y a, dans chaque bourgade,… des centaines de milliers, des millions de perdants, de désespérés, d’apathiques et de pauvres hères. Ces hommes, mes frères, ils ne sont plus en état de mettre un peu d’ordre dans leur apparence…, ni la faculté suffisante pour écouter une histoire jusqu’au bout… n’arrivaient pas à dormir, prenaient plaisir à fumer en se disant que ça les tuerait… ne regardaient la télé que parce qu’ils ne supportaient pas la mélancolie de ceux qui les entouraient, qu’en fait ils souhaitaient mourir mais qu’ils ne s’estimaient pas dignes du suicide… aux élections ils votaient pour les candidats les plus nuls des partis les plus lamentables, en se disant qu’ils leur infligeraient la peine qu’ils méritaient, et qu’ils préféraient les putschistes qui menacent en permanence de les châtier aux politiciens qui font en permanence des promesses."
Comme un corps affaibli par une longue maladie exigeant une bonne convalescence pour ne pas rechuter, le monde arabe a besoin en urgence d’inventer ses sages. Si Ben Ali, Moubarek, Kadhafi avaient tendu des mains réconfortantes au lieu d’aboyer des menaces et de faire siffler des balles, ils seraient en ce moment acclamer partout comme des messies et que de morts on aurait évités. On a donné au monde le spectacle d’un asile à ciel ouvert. On n’a pas le choix, on est obligé de déblinder nos portes, d’ouvrir nos fenêtres sinon c’est notre progéniture qui mettra le feu à la maison. Inspirons-nous de cette sagesse asiatique. En 1962, deux ans avant sa mort, on posa cette question à Nehru: "Monsieur le Premier ministre, que faites-vous dans votre pays pour sauvegarder votre culture plusieurs fois millénaire ?" Réponse : "Ce que nous faisons pour préserver notre culture ? Rien de particulier. Seulement, nous en étudions soigneusement tous les éléments afin de voir lesquels sont nocifs à notre développement !"
Mimi Missiva
(1) Pryce-Jones
(2) Que veulent les Arabes ? (Fereydoun Hoveyda)
(3) L.Gauthier (Les maîtres Penseurs d’Ali El-Kenz)
(4) Toute l’Histoire du Monde (Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot)
Commentaires (2) | Réagir ?
RamessesII, il faut fermer fissa cette école qui a pondu des émirs sanguinaires, je préfère mille fois un fellah doux et analphabète qu'un monstre instruit
@Mimi Missiva:
Je vous le dit en toute lucidité merci et bravo pour l'article, un article à traduire en arabe et en tamazight pour toucher nos éleves et étudiants, juste un point à ajouter comment remedié à l'école arabe?