Monsieur Aberrahmane Hadj Nacer, administrateur au sein de la banque d’affaires International Maghreb Merchant Bank (Tunis), présidée par le Français Olivier Pastré, professeur d’Economie à l’université Paris VIII et ancien responsable managérial pour le compte des activités entre la France et le Maghreb, au cours d’un passage furtif en Algérie, donne un entretien au journal El Watan tournant autour de la question monétaire en Algérie. A propos du dinar il dit : "J’ai toujours considéré que le square Port Saïd ou les cambistes de Hydra donnent la valeur réelle du dinar. A partir du moment où vous pouvez convertir n’importe quelle somme sur le marché parallèle, cela veut dire que c’est là que sont les bons prix. Ceux qui justifient leur opposition à une convertibilité du dinar par le fait qu’elle favoriserait une fuite des capitaux se voilent la face. Les capitaux sortent tous les jours. Au square Port Saïd, on a réussi à mettre en place un mécanisme de transfert instantané qu’aucune banque du pays ne peut égaler."

De leurs déboires d’impénitence et d’incompréhension

L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie a beau avoir à sa disposition intellectuelle tous les diplômes prestigieux de la science de l’économie, une grande expérience dans le staff national de la finance publique et à sa charge morale tout le respect de la probité qu’il mérite, néanmoins, comme tous les Algériens de l’élite nationale orpheline de mémoire référentielle fendues sur des pratiques sociales rationnelles, il ne peut faire malheureusement que raisonner comme un citoyen de la fatalité. Quoique pour son compte, comme pour beaucoup d’autres anciens grands commis de l’Etat extirpés du régime, les affaires personnelles se huilent admirablement.

L’ex-patron de Banque centrale, à l’époque dans la fin des années quatre-vingts au moment de l’holocauste du surendettement et le terme de la cessation de paiement, deux décennies plus tard dans le regain de la moitié de sa vie à l’âge de cette période-là – il n’avait pas encore quarante ans - il revient sur ses déboires comme la quasi-totalité des anciens cadres de la nation qui n’ont pas pu ne pas faillir à leur mission. Ils sont presque tous passés maintenant, du moins pour les anciens responsables parmi – admettons - les plus honnêtes, à la caisse du dépit et des grands regrets.

L’Histoire ne se fait pas avec les remords mais parfois grâce à l’apprentissage des causes qui les ont permis. Dont l’une, essentielle, est que Hadj Nacer n’ignorait pas qu’il intégrait un système illégitime qui ne servait pas l’intérêt de la majorité des citoyens. On se souvient qu’il était l’ami et le protégé de Mouloud Hamrouche mais il fonctionnait surtout selon la volonté des ennemis de celui-ci…

Le classique cours magistral au lieu et place du mea culpa

Mais le revoilà donc parmi les siens sans un palace à décrire la double indigence de la Banque en Algérie et de la monnaie entre les mains des Algériens, se laisser se résigner à la référence d’un trafic monétaire dans un carrefour d’agglomération, au demeurant, passible par l’examen de l’éthique et de la justice. Un peu comme si le ministre de la Santé expliquant le malaise dans le soin public, il raconte les prodiges des praticiens de Chu exerçant en noir dans les cliniques privées.

Kadour Ben Ali qui achète un euro ou deux dollars à Port Saïd (Alger-Centre) pour aller le dépenser à Perpignan ou à Malaga, il sait ce que ça représente exactement comme relation à la valeur des biens et des services dans le monde réel, quel que soit le prix en dinar qu’il met pour accaparer cette monnaie. A la manière de khalti Aldjia qui achète un kilo de pomme de terre à 70 dinars – elle l’achètera à 100 - pour faire ses frites et qui s’en offusque parce qu’elle ignore que la semence de ce tubercule est importée en même temps que les produits phytosanitaires nécessaires à sa culture. Là aussi le lien qui relie la valeur de la monnaie au bien correspondant appartient à un rapport de fatalité.

Et donc lorsque Aberrahmane Hadj Nacer estime que les cambistes de Port Saïd créent la valeur authentique du dinar il a rendu compte des prix de revient des denrées maraîchères non subventionnées. Une façon de dire aussi mais surtout, à l’échelle globale de la relation au commerce et au travail, que les banques algériennes ne sont pas des banques, des banques dans le sens originel du terme mais des institutions de l’Etat où le capital nécessaire à sa fonction, en fonds propres ou au travers de dépôts, ne découle, d’une manière ou d’une, que d’un créneau unique d’activité productive à valeur universelle : la manne gazopétrolière.

Tous les autres secteurs économiques qui s’inscrivent dans l’activité de la Banque en Algérie ne sont à l’origine dans les écritures officielles que des systèmes de change sur des monnaies converties à partir d’une valeur dollar payant un bien hydrocarbure. Le reste est simplement une vaste opération de bureaucratie et de rhétorique destinée, en vérité, à consommer les dividendes du produit national brut dans lesquels le malheureux dinar possède tout juste la valeur d’un bon de consommation.

Une histoire du change dans le pays

Quant au square Port Saïd, pour tenter d’en dire un mot, on peut considérer qu’il est l’archéologie même des rapports d’échange dans le commerce international rayonnant autour du port d’Alger, relié beaucoup plus tard avec la gare ferroviaire et la grande station des relais routiers. C’était la première fenêtre ouvrant sur le négoce international.

Tous les produits du monde se négociaient en cet endroit bien avant et après la période ottomane. Durant les premières périodes d’émigration, au début du vingtième siècle, qui correspondait avec l’officialisation des billets de banque – le franc colonial pour ce qui nous concerne – les voyageurs y négociaient dans les quelques cafés existants leurs valeurs pour la monnaie métropolitaine. Après la Seconde Guerre mondiale et les vastes ruées migratoires les transactions maraîchères, avant embarcation, se faisaient souvent en devises fortes. Et ce n’est pas accidentellement qu’une forte obédience démographique originaire des plaines du Constantinois se fût reconvertie en fraction cambiste tenant pignon sur rue dans les environs, surtout après l’indépendance et la mise en place des légendaires bureaux de mains-d’œuvre qui concouraient à l’industrie de la France et aux services dans ses grandes villes.

Pour une conversion vers le pouvoir des malfrats

Lorsque Hadj Nacer se dresse contre les anti-"convertisseurs", il n’ignore pas que sans passer déjà par Port Saïd, ou ailleurs maintenant que l’informel est à fleur de peau dans les cités et les campagnes, chaque dinar casqué pour un bien ou un service est à "la source" converti rationnellement sans passer par les sceaux officiels de l’Etat. Chaque centime mis en circulation, même s’il est émis par des faussaires, il est sur le terrain déduit d’un ratio dans le rapport d’une valeur hydrocarbure vendue quelque part à quelqu’un.

Seulement, Hadj Nacer bataille pour une convertibilité tout autre qu’il hésite de nous nommer parce qu’il sait qu’elle fait peur. C’est la convertibilité du dinar de toute la truanderie locale et internationale qui est aujourd’hui le véritable contre pouvoir en train, petit à petit, d’effacer la crédibilité de l’Etat. Donner demain une appellation de comptabilité de notre monnaie face au FMI et la Banque mondiale, c’est à coup sûr faire lancer les assauts contre ce qu’il y a de probant dans les investissements privés dans le pays. Les trafiquants de drogue, les grands escamoteurs de deniers publics et les entreprises étrangères qui payent les salaires de leurs employés résidents nationaux, ne feront qu’une bouchée d’un groupe comme Cevital ou consorts dans la manufacture, le bâtiment ou les services.

Qu’il nous dise un peu sur l’or algérien

Mais quand il dit "on a réussi à mettre en place à Port Saïd un mécanisme de transfert instantané qu’aucune banque du pays ne peut égaler", sans nous expliquer qui est ce "on" qui aurait réussi à le faire mieux que toutes les entités bancaires d’Algérie, il paraît beaucoup moins sensé qu’il ne le fût à l’époque où il chapeautait la Banque d’Algérie en initiant la fameuse stratégie du swap d’or. On se rappelle bien les levers de boucliers contre ce projet qui mettait en péril les intérêts des lobbies nationaux défenseurs du papier dollar permettant toutes les supercheries dans les rapports d’échange.

Ce sont ces mêmes lobbies ou leurs relais qui agissent aujourd’hui presque ouvertement pour discréditer les efforts d’exploration fournis dans les gisements aurifères du Hoggar. Parce qu’ils ont entre les mains les meilleurs rapports d’expertise du monde qui disent long et large à propos des filons à portée de nos savoir-faire.

Hadj Nacer, maintenant qu’il affirme être à la page de tous les bas-fonds qui contrôlent notre économie – on se souvient de "sa" bourse du sucre à la cité Montagne - les citoyens qui ont suivi son parcours aimeraient savoir s’il compte les entretenir sur les possibles concrets d’une industrie aurifère capable, dans le même élan de la relance dans les secteurs hors hydrocarbures, de donner de la couleur au dinar et pourquoi pas de le faire sortir définitivement de Port Saïd et le restituer aux banques.

Nadir Bacha