Le vote de la vérité : entre anarchie responsable et démocratie de pacotille
"Votez pour Tartempion, votez pour Machin, votez pour Truc". Des affiches multicolores vous rapprochent à tous les coins de rue afin de vous raconter la candeur, l’esprit, la loyauté d’un quelconque candidat.
Le bétail électoral commente la force de la houlette d’Untel, le coup de fouet de Tel autre, le doigté crapuleux de Chose et le coup de gueule tonitruant de Machin. Le bétail pèse aussi la valeur des promesses faites ; non pas qu’il ignore que jamais elles ne sont tenues, mais pour se donner un peu d’illusion.
"Les alouettes tomberont toutes rôties dans ta bouche ; ton taudis deviendra un palais ; tu auras des rentes à trente ans, dit le candidat. —Ah ! Ah ! Ah ! qu’il parle donc bien, cet homme ! Ce sont des mensonges qu’il nous raconte, mais que cela nous fait du bien de croire un moment que ce sont des vérités", dit le votard.
Quelquefois, il arrive qu’un autre candidat interrompe pour dire : "Ce n’est pas exact, les alouettes tomberont toutes bouillies dans ta bouche." Et le bétail électoral suit, attentif, le débat passionnant : "Bouillies ou rôties ? Comment seront préparées ces alouettes qu’il ne mangera pas ?" Alors que tous sont dans le rêve, une voix interrompe brutalement, sans précautions oratoires, les bonimenteurs : "Les alouettes ne tomberont ni rôties ni bouillies dans ta bouche, nigaud. Et si elles tombaient jamais toutes prêtes, ce serait par ta bêtise, dans la gueule des candidats.
À côté d’eux, il y a quelques sincères : ceux dont la bêtise atteint le dernier degré. Ils font l’appoint le meilleur, ce sont les moutons qui sautent par-dessus bord, montrant la voie à tout le troupeau. Disons-le bien haut : que le bétail électoral soit tondu, mangé, accommodé à toutes les sauces, qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? Rien.
Ce qui nous importe, c’est qu’entraînés par le poids du nombre nous roulons vers le précipice où nous mène l’inconscience du troupeau. Nous voyons le précipice, nous crions "Casse-cou !" Si nous pouvions nous dégager de la masse qui nous entraîne, nous la laisserions rouler à l’abîme ; pour ma part même, le dirai-je ? je crois bien que je l’y pousserais. Mais nous ne le pouvons pas. Aussi devons-nous être partout à montrer le danger, à dévoiler le bonimenteur. Ramenons sur le terrain de la réalité le bétail électoral qui s’égare dans les sables mouvants du rêve…
Nous ne voulons pas voter, mais ceux qui votent choisissent un maître, lequel sera, que nous le voulions ou non, notre maître. Aussi devons-nous empêcher quiconque d’accomplir le geste essentiellement autoritaire du vote ; il construit des barrières dans lesquelles il se parque et veut nous parquer ; il nomme des maîtres qui le dirigeront et veulent nous diriger... " (Albert Albertad, in l’Anarchie, avril 1909).
L’anarchie ou l’arnaque
Cet appel du plus grand anarchiste français que l’humanité ait connu, du début du siècle passé, quoique exagéré par rapport au recul de l’Histoire, renferme pourtant les raisons essentielles, en ce qui nous concerne surtout, pour que les citoyens cogitent lourdement avant de décider de partir voter au printemps prochain une assemblée nationale, la septième en date, depuis la première sous le règne de Boumediene dessinant les contours d’une république à la manière qu’on puit tracer l’organigramme d’une entreprise publique avec un directeur général démiurge et divin, un staff princier et des ouvriers artificiels, obéissants mais canalisés sur des réalités hors du cadre des valeurs universellement admises. Régentant une communauté humaine où les moins méritants de la nation possèdent toutes les faveurs de l’Etat.
Il n’y a pas lieu de chercher loin dans les analyses pour se rendre compte que le schéma, quatre décennies plus tard, est quasiment identique. C’est presque la même République sauf qu’elle est pire. Elle est plus funeste parce qu’elle est plus forte en argent, en savoirs et en complicités contre l’intérêt national, les attentes des majorités. Son expérience de la démocratie a démontré qu’elle peut être capable de toutes les perfidies, d’asservissement d’opinion et de crime contre l’humanité : à cause d’un scrutin elle fait tomber des centaines de milliers de têtes, faire fuir hors des frontières le même nombre et disparaître par multiples franges.
Qu’elle peut dépenser un Pnb de pays respectable pour une route sur laquelle circuleraient des millions de véhicules importés pour la plupart ne créant pas d’emplois ni de plus-values. Un économiste accompagnant une délégation européenne invitée par l’Assemblée, avait dit en marge des discussions à propos de ce colossal investissement : "avec un tel capital on règle le problème du logement et du chômage en même temps et définitivement" – les députés de l’Alliance présidentielle lui avaient annoncé le budget contractuel initial des onze milliards de dollars, ils n’ont pas parlé des surplus qui ont atteint, selon des sources sérieuses, dix-huit milliards. Ils se sont sentis flattés au lieu de normalement exiger des comptes aux instigateurs du projet.
Républicains en famille
Elle est en mesure, aussi, telle république, de permettre un pluralisme politique à la condition qu’il ne conteste pas celui qui nourrit – en s’en nourrissant de – l’entourage militaro-présidentiel. Qu’il soit laïc, religieux ou même bouddhiste, ce multipartisme n’a pas intérêt à remettre en cause le postulat originel de la main basse sur la rente et sa redistribution selon les quotas décidés en termes d’influence et non en débats entre citoyens pour les besoins de développement réel.
Mais elle a fait la preuve, avant toute autre attention suprême, dans le désastre de l’Education nationale où pour avoir un diplôme de substance qualificative, il faut étudier en Europe ou en Amérique du nord et pour pouvoir le faire, il faut être parmi les princes ou détenir un bon ticket avec eux. Et depuis que les premiers bras qui se sont levés pour élire, à partir des années soixante-dix, jamais un traître député ne s’est levé devant ses pairs pour les traîner vers des débats populaires afin de réfléchir sur les manières décentes de la fonction scolaire. Jamais un groupe ne se dresse pour s’offusquer avec les élèves et leurs parents d’un ministre de l’Enseignement - qui a carrément vieilli dans le département – sous les auspices duquel l’apprentissage scolaire dans le pays a atteint les bornes de l’inadmissible, à ce point d’indigence qu’un bachelier accédant à l’Université charrie avec lui de grandes carences langagières et cognitives cumulées depuis le préscolaire.
Cette république avec ses élus n’a, à aucun moment, dans ses marques dans le discours ou dans l’action, manqué les arguments de l’échec vis-à-vis du bien-être des ressortissants, grands et petits et tous sexes confondus, dans le minimum confortable de la vie courante. Balzac a dit qu’une communauté se reconnaît à ses matériels, chez-nous, je crois que c’est l’inverse : quand on regarde déferler pendant une semaine un ruisseau jailli d’une canalisation sur une chaussée empruntée par des écoliers à deux mètres d’une sûreté de daïra, on pense aussitôt à quelque responsable de l’Etat concerné par l’incident mais certainement attelé à des problèmes relevant, ailleurs, de ses intérêts personnels, familiaux et claniques.
C’est pourquoi, pour en finir avec cette idée de notre anarchiste invétéré mais surtout sur le bien-fondé de l’appréhension qu’il a pour la démocratie, lorsque les citoyens qui iront voter pour cette république ses députés du cinquantenaire, la majorité pourtant aura dans l’esprit quand bien même le pari de dix contre un qu’ils voteront pour des individus, des smalas et des jmâa.
Nadir Bacha
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