France : la DCRI une "police politique au service de l'Elysée", selon un livre
Ils avaient visiblement l'habitude de fréquenter de longue date Bernard Squarcini. De boire des coups avec lui et de le tutoyer.
A trois mois de la présidentielle, trois journalistes spécialisés dans la police, Christophe Labbé et Olivia Recasens, du Point, et Didier Hassoux, du Canard Enchaîné, ont décidé de vider leurs carnets. Dans L'espion du Président, qui vient de paraître chez Robert Laffont (284 pages, 19 euros), ils recensent les "coups" du patron du renseignement intérieur, décortiquent ses réseaux, auscultent ses amitiés : d'Henri Proglio, le PDG d'EDF, à Michel Tomi, l'influent patron corse de cercles de jeux africains, en passant par l'homme d'affaires Alexandre Djouhri. Et racontent comment la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), née en 2008 pour faire oublier les barbouzeries des célèbres RG, a été selon eux "dévoyée au service d'un camp et d'intérêt privés", devenant une sorte de "police politique de Nicolas Sarkozy".
"J'ai réussi à mettre en commun la rigueur des 'ST' et le bordel des RG. J'ai récupéré deux mémères, j'en ai fait une belle blonde. Que beaucoup, dans le monde, voudraient avoir dans leur plumard", résume un jour Bernard Squarcini à l'un de ses interlocuteurs que l'on devine masculin. Une efficacité remise en cause par Joël Bouchité, ex-patron des RG, abondamment cité, qui a démenti au Monde avoir tenu ces propos.
Mais la contre-enquête est difficile. Davantage encore que tout autre fonctionnaire, un contre-espion est tenu au silence. En échange de moult précautions (rendez-vous fixés via des cabines téléphoniques ou dans des boîtes à lettres dormantes), les auteurs ont, disent-ils, trouvé quelques "traîtres" pour se faire raconter la "belle blonde" de Levallois. Et notamment le "groupe des opérations spéciales", celui, leur dit-on, où "tout est illégal", où "depuis l'arrivée de Squarcini, l'effraction s'est institutionnalisée", et où "il n'y a qu'une règle: le pas vu pas pris". Parano ? Les auteurs racontent qu'il a fallu deux fois "changer la serrure de l'appartement parisien qui a servi de QG" à leur enquête. Et que leur ordinateur aurait été siphonné.
Selon un des officiers qui a accepté de jouer les "taupes", l'état-major de la DCRI a "demandé en 2010 un travail sur Mediapart et [son directeur, Edwy] Plenel parce qu'ils énervent le Château". "Certains ont refusé mais on a su en interne que d'autres l'avaient fait", ajoute cette source anonyme.
Les auteurs racontent aussi comment la DCRI s'est rendue spécialiste de "poussettes" (d'intox). M. Bouchité lui-même leur aurait conseillé d'enquêter sur le pseudo "alcoolisme" de Martine Aubry durant la campagne des primaires, avant évidemment de démentir haut et fort au téléphone, lorsque la responsable socialiste l'appelle pour l'accuser du forfait…
Tropisme corse
Les auteurs pointent enfin le tropisme corse de Bernard Squarcini, fils spirituel de Charles Pasqua, littéralement obsédé par son île, où il recrute ses plus fidèles limiers. L'Espion du président raconte comment le patron de la DCRI choisit ses camps dans une Corse en proie au grand banditisme. Celui d'Alain Orsoni, ex leader nationaliste aujourd'hui patron du club de football d'Ajaccio ; celui de feu Richard Casanova, caïd de la Brise de Mer, qui lui aurait donné Yvan Colonna. Du cercle de jeux Wagram au somptueux domaine de Murtoli, les héritiers de Casanova peuvent aujourd'hui compter sur la protection du "Squale", écrivent les auteurs.
Fin décembre 2011, Bernard Squarcini avait déjeuné avec un des auteurs au restaurant parisien la Villa corse, son repaire, où une table porte son nom sur une plaque en laiton. "Fais ton bouquin. S'il est bon, je te paie un coup à boire, sinon, je te pête le nez." Le patron du contre-espionnage français a choisi une voie médiane : la plainte en diffamation.
Ariane Chemin
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