L’agence S&P confirme une zone euro à quatre vitesses
Sur les marchés, les Etats de la zone euro n'ont longtemps fait qu'un, les investisseurs achetant indifféremment de la dette allemande et grecque.
Une convergence que la crise a fait voler en éclats. En dégradant les notes de neuf des dix-sept Etats de l'union monétaire, vendredi 13 janvier, Standard & Poor's (S&P) scelle un peu plus cette zone euro à plusieurs vitesses.
L'agence a dégradé d'une note cinq pays : la France, l'Autriche, Malte, la Slovaquie et la Slovénie. Elle a baissé de deux crans les évaluations de quatre Etats : Espagne, Italie, Portugal, Chypre. Et quatorze pays, dont la France, sont sous le coup d'une "perspective négative", ce qui signifie qu'ils ont au moins une chance sur trois d'être dégradé dans les deux ans.
Les notations de S&P mettent en exergue l'existence d'une zone euro à quatre vitesses. D'abord le noyau dur, ces Etats vertueux bénéficiant toujours de la meilleure notation possible, le AAA : l'Allemagne, la Finlande, le Luxembourg et les Pays-Bas. Mais ce camp pourrait à l'avenir se réduire à peau de chagrin, car seule la note de Berlin n'est pas assortie d'une "perspective négative".
Vient ensuite une deuxième catégorie de pays, celle des Etats solides mais n'offrant plus la sécurité maximale : la France (notée AA+, la deuxième note sur vingt-deux), la Belgique (AA), l'Autriche (AA+), l'Estonie (AA–).
Suivent les Etats en difficulté mais ayant toujours la moyenne : Slovénie (A+), Espagne (A), Slovaquie (A), Irlande (BBB+), Malte (A–) et Italie (BBB+). Enfin, vient la queue de peloton, ces pays classés dans la catégorie "junk bonds" ("obligations pourries"), selon le jargon des marchés : Portugal (BB), Chypre (BB+) et Grèce (C).
Standard & Poor's avait émis le souhait que le Conseil européen du 9 décembre 2011 soit une étape majeure dans la résolution de la crise. Or, un peu plus d'un mois après, l'agence ne cache pas sa déception. "Les dégradations sont essentiellement guidées par notre évaluation des initiatives prises ces dernières semaines par les décideurs politiques européens, lesquelles pourraient être insuffisantes pour résoudre de façon totale les tensions systémiques en Europe", explique S&P.
Dans son communiqué, l'agence est particulièrement sévère avec la gouvernance européenne. Elle pointe notamment comme facteur de stress "le conflit ouvert et prolongé entre les décideurs européens", puis juge que "l'efficacité, la stabilité et la visibilité des politiques et des institutions européennes n'ont pas été aussi fermes que ce que nous croyons nécessaire."
L'agence dénonce aussi une forme d'aveuglement face aux vraies racines de la crise, qui, pour les dirigeants européens, découlerait "principalement de prodigalité budgétaire à la périphérie de la zone euro". Or, note Standard &Poor's, les problèmes financiers viennent aussi "de déséquilibres extérieurs croissants et des divergences dans la compétitivité entre le noyau de la zone euro et la soi-disant périphérie."
Dégradation en cascade
Conséquences de cette reconnaissance "partielle" des racines de la crise, les politiques de rigueur extrême menées en Europe risquent d'aggraver encore la situation : "Nous croyons qu'un paquet de réformes ne reposant que sur le seul pilier de l'austérité budgétaire risque de devenir auto-destructeur", explique S&P, pointant des risques de chute de la consommation et des rentrées fiscales.
Un acteur trouve grâce aux yeux des S&P: la Banque centrale européenne (BCE), qui a réussi à éviter "un effondrement de la confiance des marchés", en accordant aux banques des montagnes de liquidités. Les dégradations de S&P sont sévères pour quatre pays. En premier lieu l'Italie. Désormais évaluée BBB+, la Péninsule est notée comme l'Afrique du Sud ou la Thaïlande et n'est plus qu'à deux crans de la catégorie "junk bonds". Lestée d'une dette de 1 900 milliards d'euros (120 % du produit intérieur brut), elle est confrontée également, selon S&P, à un "faible potentiel de croissance".
Depuis l'automne, la Péninsule fait face à une forte hausse de ses taux d'emprunts : les rendements de ses titres à dix ans culminaient ces derniers mois autour de 7%, niveau insoutenable à moyen et long terme selon nombre d'observateurs. Ces derniers jours, la situation s'était quelque peu normalisée, Rome réussissant à vendre de la dette à court terme à des taux en forte baisse. Une amélioration désormais hypothéquée par Standard & Poor's.
L'Espagne, encore notée AAA en 2009 et désormais à A, risque elle aussi d'effectuer un violent retour en arrière, après l'accalmie constatée sur les marchés ces derniers jours. La dette publique reste peu élevée, à 67,4 % du PIB en 2011, mais le pays est affecté par des "déséquilibres entre épargne et investissement", des "hauts niveaux de dette extérieure à court terme" et un coût de recapitalisation des banques potentiellement en hausse.
Reste les cas de Chypre et du Portugal, désormais classés en "obligations pourries", ce qui va automatiquement pousser un certain nombre d'investisseurs, en raison de leurs règles internes, à se débarrasser de ces emprunts d'Etat. Pour l'île de la Méditerranée, cette dégradation pourrait l'obliger à réclamer un premier plan d'aide à la zone euro. Quant à Lisbonne, cette issue risque de retarder son retour sur les marchés après un premier programme de sauvetage de 78 milliards d'euros octroyé en mai 2011.
Clément Lacombe
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