Arezki Abboutte : "Il est urgent d’engager des réformes avant que ça ne soit trop tard"

Abboutte Arezki, militant des droits de l'Homme.
Abboutte Arezki, militant des droits de l'Homme.

Arezki Abboutte, un militant algérien de défense des droits humains, un acteur du mouvement d’avril 1980 et un des 24 détenus pour la cause amazighe, puis détenu en 1985 pour participation à la création de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme.

Il est actuellement responsable d’une organisation de défense des droits humains, la Maison des Droits de l’Homme et du citoyen Tizi-Ouzou. Nous l’avons rencontré pour nous parler de la situation des droits humains en Algérie et des révolutions populaires au monde Arabe et en Afrique du Nord.

Lematindz : Abboute, pouvez-vous vous présenter et présenter la structure dont vous êtes responsable à nos lecteurs ?

Je crois qu’aujourd’hui, ce qui peut intéresser vos lecteurs n’est pas tant de parler de moi, mais plutôt de savoir ce qu’est la Maison des droits de l’Homme et du citoyen de Tizi-Ouzou (MDHC-TO), ce qu’elle fait pour la protection et la promotion des droits humains et ce qu’elle peut apporter à ses militants. Dans ce cadre, je vous dirai que la MDHC est une structure qui a été créée par un groupe de militants dans le début des années 1990 et qui agit sous la couverture légale de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH) présidée par Me Zehouane. Elle a son siège à la cité des 2000-Logements, Nouvelle-Ville, Tizi-Ouzou.

Quant à ses missions, elles ne diffèrent pas des autres associations qui se sont fixées comme objectifs la protection et la promotion des droits humains : dénonciation des violations de ces droits, sensibilisation et consultations juridiques au profit des citoyens, formation de militants par l’organisation de séminaires, de projections de films avec débat, animation de cafés littéraires... Autant d’activités que nous avons pu mettre en oeuvre tout au long de ces cinq dernières années grâce, notamment, aux projets financés par la Commission européenne et organisés en partenariat avec le Comité International pour le Développement des Peuples (CISP), une ONG italienne installée en Algérie depuis plus d’une dizaine d’années. Mais, pour être franc avec vous, je vous avouerai que les activités, dont la MDHC-TO se montre vraiment fière, restent incontestablement les deux formations qu’elle a organisées entre 2009 et 2011 ; l’une au profit des correspondants de presse des régions de Béjaïa et de Tizi-Ouzou, et l’autre a consisté en un certificat en droits humains, avec rédaction d’un mémoire en fin de formation, au profit des militants et cadres associatifs et organisé en partenariat avec l’Institut des Droits de l’Homme de Lyon. Toutes les deux, je le rappelle, sont financées par la Commission européenne.

Après votre livre où vous êtes revenu sur votre arrestation et votre détention en avril 1980, avez-vous d’autres projets dans ce sens ?

La publication de ce livre-témoignage sur mon arrestation et ma détention lors des événements du printemps berbère était une promesse que je m’étais faite alors que j’étais encore dans les geôles de la Sécurité militaire. En effet, quand je n’avais comme horizon que quatre murs et un plafond duquel pendait une lampe allumée jour et nuit, je n’arrêtais pas de me répéter que si par un quelconque miracle, il m’arriverait de sortir indemne de cet enfer, personne ne m’empêcherait de témoigner de l’enfer que j’avais vécu. En 2009, presque trente années après ma libération, cette promesse fut tenue grâce aux soutiens et aux encouragements de beaucoup d’amis qui m’ont aidé à transcender ma peur et à vaincre mes dernières hésitations. Pour revenir à votre question, à savoir si j’ai encore d’autres projets d’écriture, j’avoue que l’accueil qui a été réservé à ce témoignage m’a beaucoup stimulé et il n’est donc pas du tout exclu que je "remette ça" un jour.

Vous êtes un des membres du comité directeur de la Ligue algérienne des droits de l’Homme créée en 1985, et dont Me Ali Yahia était président. Comment estimez-vous la situation des droits de l’homme aujourd’hui ?

Je crois que ce n’est un scoop pour personne que de qualifier de catastrophique la situation des droits de l’homme dans notre pays. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder autour de soi pour voir ce qui reste des acquis arrachés, au prix du sang, par des jeunes, en octobre 1988. En effet, profitant de la situation insurrectionnelle dans laquelle fut plongé le pays au début des années 1990, particulièrement après l’arrêt du processus électoral en janvier 1992, le pouvoir avait, moins d’un mois après, décrété l’état d’urgence pour une période de douze mois. Nous savons tous ce qu’il en a été par la suite ; le pouvoir avait systématiquement reconduit l’état d’urgence sans jamais tenir compte de ce que stipule la Constitution en pareil cas.

Or, comme chacun le sait, l’état d’urgence (ou toute autre situation d’exception d’ailleurs : état de siège, état d’exception) n’est jamais propice au respect et à la promotion des droits humains, bien au contraire ; c’est pourquoi, je n’ai pas hésité un seul instant à qualifier la situation des droits de l’homme, dans notre pays, de catastrophique.

Qu’en est-il de ces droits maintenant que l’état d’urgence est levé ?

Si l’on peut effectivement noter une amélioration sur le plan sécuritaire, la situation des droits de l’homme demeure encore très préoccupante : répression de manifestants, obstacles dans la création de nouvelles associations, refus de délivrer des agréments à de nouveaux partis politiques, instrumentalisation de la justice pour briser les grèves de travailleurs, adoption de nouvelles lois liberticides sur les associations et les médias... ceci sur le plan des droits civils et politiques. Sur le plan des droits économiques, sociaux et culturels, la situation ne vaut guère mieux : chômage, scandales financiers à répétition, corruption, expulsions de familles entières sans possibilité de les reloger, bugets faramineux engloutis par des festivals culturels sans lendemain, financement d’activités qui servent plus à entretenir une clientèle qu’à promouvoir réellement la culture... Tous les voyants sont au rouge et le pouvoir qui continue de faire l’autruche... Difficile d’être optimiste devant une telle situation !

Avec Me Zehouane, vous avez participé aux consultations de Bensalah, à qui vous avez remis un mémorandum. Quelles étaient vos attentes de cette rencontre ?

Pendant longtemps, j’avais pensé que défendre les droits de l’homme c’était d’être systématiquement contre ce qui émane du pouvoir; c’est, en quelque sorte, l’affrontement permanent. Puis, au fur et à mesure des formations que j’avais eu la chance de suivre depuis que je suis à la MDHC-TO, et au contact de certains conférenciers, tant étrangers que nationaux, particulièrement ma rencontre avec un enseignant de l’Institut des droits de l’Homme de Lyon, j’ai appris à chercher l’efficacité au lieu et place de l’agitation souvent stérile et épuisante.

Bien sûr qu’il y a des moments où il faut savoir monter au créneau pour dénoncer les violations dont sont victimes les citoyens, et elles sont nombreuses ! Je pense que nous l’avons fait, comme peut en témoigner notre présence dans les différents procès intentés contre les non-jeûneurs d’Aïn El Hammam, d’Ighzer Amokrane et de Larbaâ Nat Iraten...Nous l’avons fait parce que c’était notre devoir de le faire, loin de toute publicité.

Mais alors qu'attendiez-vous de la rencontre avec "la commission de Bensalah" ?

Avant de répondre à cette question, je voudrais d’abord rappeler que ce qui a souvent caractérisé nos associations et autres partis politiques, c’est leur positionnent contre des propositions émanant du pouvoir, mais sans jamais faire l’effort de présenter une alternative à ce qui est proposé. La LADDH, qui ne s’inscrit pas dans cette logique, n’est d’ailleurs pas à sa première proposition puisque son président, Me Zehouane, a souvent été l’auteur de nombreux écrits sur de nombreux sujets (la reconciliation, le code de la famille...) mais, malheureusement, celles-ci n’avaient pas toujours eu, à mon avis, la publicité qu’elles méritent. C’était, également, dans ce même esprit que la LADDH, à qui il n’a pas échappé la nécessité et l’urgence d’engager des réformes en profondeur, et avant que cela ne soit trop tard, a tenu à remettre un document dans lequel sont consignées ses propositions pour une sortie de crise.

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (0) | Réagir ?