La stratégie d’ArcelorMittal face à la non-gouvernance algérienne
Cacophonie au sommet d’ArcelorMittal et violente réaction du premier ministre algérien.
ArcelorMittal, une multinationale en bonne santé
ArcelorMittal est actuellement le n° 1 mondial de la sidérurgie et ses activités sont cotées aux bourses de New York (MT), Amsterdam (MT), Paris (MT), Bruxelles (MT), Luxembourg (MT) et aux bourses espagnoles de Barcelone, Bilbao, Madrid et Valence (MTS). Le groupe a été fondé en 2006 suite à la fusion d’Arcelor et de Mittal Streel avec pour siège le Luxembourg. L'activité du groupe s'organise autour de 3 pôles : vente d'aciers plats au carbone : bobines d'aciers laminés à chaud et à froid, tôles revêtues ; vente d'aciers longs au carbone : poutrelles, ronds à béton, aciers marchands, fils machines, fils de sciage, palplanches, rails de transports en commun, profilés spéciaux et produits de tréfileries et autres comme la vente de tuyaux et de tubes, activités de transformation, de distribution et de négoce d'aciers. Les produits du groupe sont essentiellement destinés aux secteurs de l'automobile, de l'électroménager, de l'emballage et de la construction.
En 2010, ArcelorMittal a produit de l'acier brut pour 90,6 millions de tonnes, soit environ 6 pour cent de la production mondiale d'acier, 47 millions de tonnes de minerai de fer et 7 millions de tonnes de charbon métallurgique. Sur le plan financier en 2010, selon les données officielles du groupe, il a réalisé un chiffre d’affaires de 78 milliards de dollars (57,2 milliards d’euros), en hausse par rapport aux 61 milliards enregistrés en 2009. L’excédent brut d’exploitation (EBITDA) progresse, quant à lui, de plus de 50%, à 8,5 milliards. Le groupe sidérurgique affiche un résultat net de 2,9 milliards contre un bénéfice quasi à l’équilibre en 2009 (157 millions). Au quatrième trimestre, ArcelorMittal accuse une perte nette de 780 millions, en raison principalement de la sortie de l’activité aciers inoxydables, regroupée dans la nouvelle entité Aperam récemment introduite en Bourse. Côté bilan, la dette nette s’établit à 19,7 milliards de dollars et recule de 2,3 milliards par rapport à fin septembre. La société a renforcé ses liquidités qui s’élèvent à 17,6 milliards, contre 14,9 milliards à la fin du troisième trimestre (trésorerie de 6,3 milliards et lignes de crédit de 11,3 milliards). Pour 2011, le groupe sidérurgique table sur une année meilleure que 2010 en précisant qu’il a pris le contrôle du canadien Baffinland dont il détient plus de 90% du capital aux côtés de son partenaire Nunavut Iron. ArcelorMittal vise au premier trimestre 2011, un EBITDA compris entre 2 et 2,5 milliards d’euros. Cependant, au sein d’une économie mondialisée, l’adaptation est une condition de survie pour à la fois ne pas perdre des parts de marché ou se faire définitivement liquider par ses concurrents.
Le management stratégique
de la firme est un facteur essentiel de cette survie. C’est dans ce contexte, qu’ArcelorMitta traverse en effet une période difficile : au total, ce sont 9000 collaborateurs qui devront quitter le groupe et ses filiales à travers le monde Grâce à ce plan, Arcelor Mittal veut réduire ses coûts de 4 milliards de dollars sur cinq ans. Il devra également affronter un nouveau concurrent d'envergure. Les japonais Nippon Steel et Sumitomo Metal ont en effet annoncé courant 2011 leur intention de fusionner, donnant naissance au deuxième acteur mondial de l'acier. Le futur groupe emploiera 75.000 personnes dans le monde et réalisera plus de 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Il affichera une capitalisation boursière de l'ordre de 25 milliards d'euros. Sa production annuelle dépassera 45 millions de tonnes d'acier, ce qui reste tout de même assez loin de celle d'ArcelorMittal, qui approche 100 millions de tonnes. Selon les experts, la prochaine vague de fusions devrait d'ailleurs surtout concerner les pays émergents et notamment la Chine. "Des rapprochements sont attendus sur le marché chinois, qui reste encore très fragmenté et peu discipliné. Et ils feront du bien à l'ensemble du secteur sidérurgique". Aussi en ce XXIe siècle, le management stratégique de toute firme prend en compte tant l’émergence de nouvelles filières que les anciens et nouveaux concurrents car les relations entre l’Etat et le marché sont fortement influencées par l’internationalisation de l’économie. Les grosses firmes comme ArcelorMittal éclatent en vastes réseaux à travers le monde tissant des relations complexes comme une toile d’araignée entre les circuits réels et financiers, transgresse les frontières géographiques nationales grâces à la révolution dans les domaines de la télécommunication, de l’informatique avec prédominance des services qui deviennent des activités marchandes à forte valeur ajoutée. Aussi, le management stratégique de la firme doit prendre en compte la constitution des grands espaces régionaux qui sont des sous éléments de cette mondialisation de l’Economie, les flux commerciaux, de capitaux, les régimes de change et les politiques socio-économiques des Etats ainsi que leur stabilité politique.
Le groupe ArcelorMittal et l’Algérie
que le chiffre d’affaires global ArcelorMittal représente près de la moitié du produit intérieur brut et des réserves de change algériens, dont le chiffre d’affaire en Algérie entre 2009/2010 a fluctué selon certains sources entre 4/5 milliards de dollars soit 5/6% du chiffre global et moins de 3/4% selon les prévisions, toute décision de rester ou de se désengager de l’Algérie, répondra à la stratégie globale du groupe. Si les investisseurs américains européens, asiatiques ou arabes désirent s’installer en Algérie ce n’est pas par amour pour l’Algérie dans la pratique des affaires n’existant pas de sentiments. Rappelons que le complexe, propriété de l'Etat algérien, avait été racheté à 70% en 2001 par l'indien Ispat, membre du groupe Mittal, 30% étant détenu par l’Algérie et employant environ 7000 salariés soit 4% de l’effectif global du groupe. Le gouvernement algérien avait donné en septembre 2011 son feu vert à la reconduction du contrat de partenariat le liant à ArcelorMittal. Cette décision devrait permettre la mise en œuvre d'un programme d'investissements de 500 millions d'euros entre 2011 et 2015.
Or, le groupe mondial de l'acier ArcelorMittal avait demandé auparavant un prêt à la Banque extérieure d'Algérie (BEA, publique) de 14 milliards de dinars (140 millions d'euros environ), dont une partie, 50 millions d'euros, a été accordée. Dans un entretien accordé à l'agence de presse algérienne APS, le PDG de la BEA, Mohamed Loukal a accusé le groupe ArcelorMittal de vouloir faire endosser à sa banque ses propres contraintes financières. Par ailleurs ArcelorMittal ou le gouvernement algérien peuvent-ils obliger Sonatrach et Sonelgaz à acheter chez ce complexe en rappelant que début 2010, la Sonelgaz et la Sonatrach, autre client potentiel, avaient jugé que les 6 500 km de tubes de transport de pétrole et gaz installés par la TSS ne répondaient pas à toutes les normes requises. Elles avaient alors décidé de ne plus continuer à acheter sur le marché algérien. "Plus de 12 millions de dollars ont été déboursés par ArcelorMittal depuis 2008 pour hisser la qualité du tube TSS aux normes universellement établies afin de répondre aux exigences des gaziers et pétroliers" mais est-ce que les conditions de coût/qualité ont-ils été réalisés, car on ne peut obliger une entreprise à acheter local si elle ne remplit pas les normes surtout dans des domaines aussi sensibles que le gaz ?
Pas de sentiments dans les affaires
Il semble bien que la mentalité bureaucratique des dirigeants algériens n’ait pas changé comme si l’on vivait encore durant la période les années 1970. Après l’affaire Djezzy, bon nombre de litiges internationaux entre Sonatrach et certains groupes pétroliers mondiaux, voilà AlcelorMittal. Il ne suffit pas de crier sur les toits que c’est un complot de l’extérieur, ArcelorMittal ayant récemment fermé des unités de production en Belgique et en France et les dirigeants français et belges n’ont pas crié au complot.
Une entreprise doit être mue par la seule logique du profit tenant compte du couple coût/prix international, étant dans une économie ouverte. Ce qui arrive à Annaba n’est pas de la responsabilité exclusive du collectif des travailleurs mais relève également de l’incohérence et du manque de visibilité de la politique du gouvernement, ce qui explique le dépérissement du tissu productif. Il existe un lien entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle marchande spéculative décourageant tout entrepreneur créateur de richesses. La réussite d’un bon partenariat suppose un bon management des connaissances. Cette production de connaissances repose sur des formes d’engagement et d’implication qui font jouer un rôle central à l’initiative, à l’intuition, aux jugements, (la fameuse boîte à outils japonaise, source d’innovation par le collectif des travailleurs), mais aussi aux capacités des individus et plus largement aux "savoirs sociaux". Cette approche socioculturelle qui rend compte de la complexité de nos sociétés dont le transfert de technologie en est l’aspect apparent doit beaucoup aux importants travaux sous l’angle de l’approche de l’anthropologie économique de l’économiste indien Nobel Amartya Sen. Selon cet auteur il ne peut y avoir de développement durable sans l’instauration d’une véritable démocratie solidaire qui seule permet à la fois la tolérance, la confrontation des idées contradictoires utiles et donc l’épanouissement des énergies créatrices. Ainsi la culture n’étant pas figée, mais évolutive fortement marquée par l’ouverture de la société sur l’environnement englobe l’ensemble des valeurs, des mythes, des rites et des signes partagés par la majorité du corps social. Elle est un constituant essentiel de la culture d’entreprise et du transfert technologique. Les expériences réussies du Japon, des pays émergents comme la Chine et l’Inde montrent que l’on peut assimiler la technologie sans renier sa culture. Le transfert est favorisé lorsqu‘existe une meilleure compréhension des valeurs convergentes et divergentes qui s’établissent entre deux groupes ; et vouloir imposer ses propres valeurs, c’est établir une relation de domination qui limite le transfert. Cette symbiose facilite le transfert de technologie qui ne doit pas se limiter à l’aspect technique, mais également managériale, organisationnel et commercial. Est-ce qu’Arcelor Mittal a favorisé ce transfert ? Et le gouvernement algérien y a-t-il veillé ? La question est posée. Un nouvel assainissement résoudra-t-il les problèmes structurels de l’entreprise ? Comment ne pas rappeler que le trésor public algérien a dépensé plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2011 pour l’assainissement des entreprises publiques dont plus de 70% sont revenus à la case de départ montant que le blocage est d’ordre systémique et que ce n’est pas une question seulement de capital argent ?
Dépasser le syndrome hollandais
Le véritable nationalisme se mesurera, à l’avenir, grâce à une gouvernance rénovée supposant un réaménagement profond des structures du pouvoir, par la capacité des Algériens à accroître leur part dans la valeur ajoutée mondiale à l’instar des pays émergents comme la Russie, Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie, la Malaisie. L’efficacité de la diplomatie ne se mesure pas en termes de barils d’hydrocarbures exportés mais par la puissance économique. Une adaptation culturelle de nos dirigeants au nouveau monde devient nécessaire qui devra reposer sur la compétence afin de bien gérer les réserves de change, faire de bons choix de projets par une allocation optimale des ressources financières et un bon partenariat gagnant/gagnant. Les erreurs peuvent se chiffrer en pertes pour la nation en dizaines de milliards de dollars. L’économie de marché ne signifie pas anarchie, mais coupler l’efficacité économique avec une profonde justice sociale et faire jouer un rôle stratégique à l’Etat régulateur et non propriétaire gestionnaire afin de concilier les couts sociaux et les couts privés. Il y a lieu de dépasser le syndrome hollandais. Important presque tout et n’exportant presque rien sinon les hydrocarbures à l’état brut ou semi-brut.
L’Algérie compte au 1er janvier 2012, plus de 36 millions d’habitants. Dans 25 ans, au moment où la tendance à l’épuisement des hydrocarbures commencera à se manifester, elle comptera près de 50 millions. Que deviendra le pays si l’on n’a pas préparé dès maintenant l’ère hors hydrocarbures ? Seules des réformes internes profondes permettront de modifier le régime de croissance pour atteindre une croissance durable hors hydrocarbures condition de la création d’emplois à valeur ajoutée, mettant fin progressivement à cette croissance volatile et soumise aux chocs externes et arrimer l’économie algérienne positivement au sein de l’économie mondiale. Tout cela renvoie à des enjeux géostratégiques de première importance qui concerne l’Algérie, laquelle ne devrait pas prendre la légère la crise mondiale qui est structurelle et non conjoncturelle. Si le retour à la paix, à la stabilité et à la sécurité constitue la condition sine qua non du développement et de la prospérité, la démocratisation de la vie politique et la crédibilité des institutions de l’Etat ne représente pas moins une condition tout aussi fondamentale. La bonne gouvernance concerne l’ensemble des outils et des méthodes de gestion des affaires de la cité et embrasse la totalité des actions politiques – celles des hommes comme celles des institutions qu’ils dirigent – qui ont pour vocation de servir la collectivité.
Abderrahmane Mebtoul, professeur d'Universités
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