L'Algérie au salon de la forfaiture

L'Algérie au salon de la forfaiture

Dans un grand salon labyrinthique, avec ses excavations végétales et ses redressements ensoleillés, çà et là des meubles et des reliques à vous couper le souffle, je trimbale mon béret parmi des convives.

Des invités qui sont comme tenus de ne pas parler la langue que j’échange avec ma famille et l’épicier du quartier, mais qui racontent cependant des paroles de milliards, de lignes de crédit, de vol à la première heure sur Paris, de coup de mobile Ferrari au ministère du Commerce et à des ambassades particulières, à la chancellerie du ministère de la Justice, bref, je suis dans un monde algérien où dans les interminables immenses sofas qui coûtent chacun le prix d’une voiture touristique neuve, je ne parviens pas à retrouver mon ami venu ici invité je ne peux dire par quel truchement dans la raison, dans la maison d’un ex-ministre de l’Algérie indépendante qui donne une réception célébrant la ratification maritale d’une progéniture.

Dialogue funeste

Vous vous demandez comment j’ai pu savoir qu’il s’y trouve ? Je dois lui annoncer une très mauvaise nouvelle concernant sa vieille mère pratiquement à l’article de la mort qui habite à deux pas de chez-moi. Impossible de le toucher dans son portable, je traque les amis communs jusqu’à une indiscrétion presque involontaire vendant la mèche. Le reste, au sein de genre de communauté, est une simple question de flatterie. Voilà.

Mais allez alors le repérer dans ce repaire de Citizen Kane où les costumes et les toilettes mêlés aux fragrances mirifiques et aux reflets du cristal presque invisible à ce point de magie tel que le spiritueux dans les verres vous semble ne pas obéir à la loi de la gravitation.

Ça trinque à bout de champ et vous sourit en vous saluant comme si ça vous connaît depuis la maternelle et les roulements à bille sur le boulevard de la Victoire à Bab Djdid. J’essaye encore mon vieux mobile, en vain, puis une discussion attire soudain mon attention. Trois invités, deux hommes et une femme autour de la cinquantaine, discutent en retrait dans un coin en face d’une petite baie ouverte sur un patio botanique.

L’un des gaillards dit : "Un ami c’est plus qu’un frère…", histoire de redire la philosophie qui explique que la fratrie est imposée par la nature par rapport à l’amitié choisie, décidée par soi-même. Mais ce qui m’a semblé le plus intéressant c’était la réponse de son compagnon mettant une main dans celle de la dame - donc certainement une très proche, l’épouse, parce que, quel que soit le degré d’affranchissement dans les proximités intersexuelles, en Algérie, on ne peux toucher de cette manière en public autrui femelle que sa maman, sa fille ou son épouse – qui répond : "Mais si tu rentres en prison ce n’est pas avec le patronyme de ton ami que tu le fais, d’ailleurs si on te compromet dans les affaires que tu traites actuellement tu m’en diras de ton point de vue sur la question."

Entre les causeurs et moi se dressait une espèce de parapet en fer forgé duquel jaillit tout un écran de plante grimpante

"Fi rassek !", rétorque l’invité pris au dépourvu, esquissant un sourire à la dame avant d’ajouter : "Jamais dans nos affaires il n’est pas lié de très près le nom d’un ministre ou de celui d’un de ses très proches et c’est à ton tour de me citer le nom d’un ministre ayant été en Algérie emprisonné pour une raison ou une autre en attendant que je te réponde."

Mon réflexe amnésique est allé je ne saurais dire pourquoi au général major Mostapha Benloucif, disparu depuis deux années, dégradé remis djoundi et emprisonné à la "ferme" de Blida comme un morveux bidasse indiscipliné sous le dépôt de plainte d’un quarteron généralissime dont Khaled Nezzar – qui le mit à la retraite à 45 ans et l’assigna en forteresse sous le contrôle du maître de l’Algérie depuis la mort de Boumediene jusqu’à la sienne, Larbi Belkhir - aujourd’hui sous contrôle judiciaire par un tribunal étranger. Et dont beaucoup d’Algériens pensent qu’il est la cheville ouvrière de la confiscation de la révolte d’octobre 1988 ouvrant les vannes à la violence tous azimuts afin de mettre en avant l’instrument martial, parmi les grands instruments de l’Etat, censé le défendre. Mais c’est bien l’inverse qui se fut réalisé, à la manière du "dernier argument des rois", la devise sacrée de Louis XIV en désignant ses canons. Depuis l’assassinat du colonel Chabani jusqu’à la dernière permission du plus jeune officier quittant l’Académie, l’Etat qui a sacrifié le dixième de son patrimoine humain et les espérances de ses survivants et de leur descendance, ne peut pas exister s’il n’est pas assujetti à son armée. On pourrait comprendre que je passe la brosse à Mohamed Mediene, alias Toufik, en disant qu’il est d’une intégrité morale et matérielle sans reproche, tandis qu’il sait que depuis assez longtemps il se trame une autre République au sein de l’armée qui déteint sur les fortunes criminelles en imprégnant dans les décisions civiles. Il est plus facile de voir et prévoir dans la tête d’un wali que de tenter de deviner ce qui s’ourdit dans celle d’un général loin des regards de la cité et des mille questions du journaliste.

L’épouvantail Toufik

Je ne détiens pas la boule de cristal de Mohamed Sifaoui mais mes renseignements à moi, ici en Algérie que je ne braderai pas pour toutes les causes possibles et imaginables, me disent qu’il s’entretisse à partir de la tour Eiffel de gigantesques intérêts mixtes pour saper le Renseignement algérien. Ça a cogné sur la police, sur la Douane, sur une partie de l’armée où un groupe de généraux a fait tout seul le travail en s’autoneutralisant. Est-ce maintenant le tour de Ben Aknoun ? Quelle est la position du chef de l’Etat sur ce névralgique sujet, fort ardu à entreprendre dans la pratique des médias ? Quel rôle joue-t-il concrètement le directeur de la CIA dans la vie professionnelle de Barack Obama ? A quelles fonctions exactes obéissent-ils respectivement les patrons du MI6 et de la DGSE pour qu’on puisse comprendre les actions du gouvernement du Royaume-Uni et de la France ?

Quand bien même il s’agirait de savoir aussi si dans chaque structure du Renseignement pour un pays donné il existe une harmonie d’ensemble, une unité globale d’action, comparable au schéma traditionnel propre aux formations politiques susceptibles de renfermer des clivages dans la forme, des "courants", des visions particulières de la réalité, lorsque les démarches sur le terrain ne sont pas des films d’espionnages avec des costumes sombres et des lunettes de soleil. C’est une lutte sans merci pour une rationalité acceptable dans les rouages des institutions pourries par les intérêts individuels souvent faciles à confondre avec les patriotismes d’apparat financés par des avoirs dérobés.

Il est légitime de suspecter Mohamed Mediene et son staff quand des vauriens dans notre nation affament nos enfants et les bestialisent – souvent en nous bluffant même par ce paradoxe symbolique du général Toufik capable d’anéantissement sur tout ce qui respire en Algérie ; cette image est cultivée et nourrie par la plupart des commis qui ne ratent aucune occasion qui se présente pour laisser accroire qu’ils ont un gros ticket avec le DRS. Des fonctionnaires ont été jusqu’à trafiquer des documents et des cartes professionnelles pour draguer Moumen Rafik Khelifa.

Il est du droit de chacun et de son devoir de remettre en cause la crédibilité de Mohamed Mediene et de ses officiers et civils attitrés lorsque n’importe quel abruti qui ne pèse en dignité que le poids des armoiries frappées dans sa carte d’identité, s’accapare de tribunes officielles pour "diarrhéiquer" sur le devenir de l’Algérie après avoir escamoter des fortunes ôtées de la chair et du sang des populations qui hélas ne différencient guère dans les tons de noblesse sur les uniformes. Enfin… il faut que je revienne quand même au salon de l’ex-ministre.

"D’accord, mais un quelconque qui se fait arrêter, sous quel nom de famille il est jugé, condamné et mis en prison ?", dit le supposé époux de la dame silencieuse.

Le supposé trafiquant éclate de rire pendant que je distingue au loin mon ami en conciliabules avec un vieil homme que j’ai reconnu comme ancien dans le cabinet perpétuel de Chérif Messâadia. Je n’ai pas voulu lui faire signe, au risque de le perdre de nouveau, pour pouvoir écouter la réponse.

Digne, avec Sidi Lakhdar Ben Khlouf

Le supposé affairiste véreux se rapproche de son ami, changeant de main la coupe de champagne, avance la tête mais de façon à présenter une oreille interrogative, cette manière perverse chez les maquignons roublards de tenter d’asseoir une solennité dans la réponse, il dit, le regard en biais sur la dame dont je voyais au travers du feuillage les yeux se rapetisser, la bouche s’entrebâiller et les doigts s’entrelacer : "Les quelconques dont tu parles ils vont en prison parce qu’ils ne savent pas faire des amis et ceux qui portent leur nom de famille partagent avec eux beaucoup plus leur misère que ce que représente ce nom de famille, donne-leur un bon magot ou un bon poste et appelle-les de tous les noms que tu veux, ils s’en fichent éperdument."

J’oublie mon ami à qui je dois vite apprendre que sa maman est mourante car il était écrit que j’entende ce langage qui se dit dans l’enceinte privée d’un ancien grand responsable politique, longtemps à la tête d’un département censé assurer le moins de malheur possible dans le pays.

J’ai entendu chez-lui, cet ancien monsieur de l’élite nationale, sans être invité comme le commun des pauvres bougres de citoyens, les "quelconques", que nous sommes parce que nous avons appris à donner, toujours donner, à notre pays. Ce cher pays dans le séjour duquel on ne parle pas d’argent sauf, à l’occasion, pour envoyer chercher une bonne bouteille de vin, le pays d’où l’on n’a pas besoin de téléphoner pour parler de Sidi Lakhdar Benkhlouf, de Si Moh Oumhand, de mes amis Tahar et Djaout et Tahar Ouetar, de Mohamed Dib et Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Mohamed Mouleshoul, Ali Dilem, et de tant d’autres encore dont on n’a nullement besoin de biper les ambassades pour ressentir qu’avec ceux-là seulement on est bien chez soi et très riches. Surtout de son patronyme.

Nadir Bacha

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mstfa yazid

" Quelle est la position du chef de l’Etat sur ce névralgique sujet, fort ardu à entreprendre dans la pratique des médias ? Quel rôle joue-t-il concrètement le directeur de la CIA dans la vie professionnelle de Barack Obama ? A quelles fonctions exactes obéissent-ils respectivement les patrons du MI6 et de la DGSE pour qu’on puisse comprendre les actions du gouvernement du Royaume-Uni et de la France "

Je vois que l'auteur de cet article semble avoir perdu l'essentiel dans cette comparaison qui me parait autant surprenante qu'incongrue.

L'essentiel perdu de vue est :

-d'ordre historique : M. Bacha ne donne pas tout l'intérêt au rôle passé, présent et futur à l'Armée Nationale Populaire algérienne qui est, différemment aux USA, en France et au Royaume Uni, un acteur principal (unique) dans la vie politique en Algérie.

-d'ordre politique : l'armée, et plus précisément sa branche la mieux organisée : les renseignements militaires, s'est donnée un rôle "constitutionnel" déterminant dans la mesure où tout ce qui se deicide en Algérie doit, d'abord, recevoir son visa

-d'ordre pratique : cette branche de l'armée qui gouverne réellement le pays, contrairement aux autres juntes qui gouvernaient certains pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, a tenu à garder sa préeminence politique secrètement derrière un paravent institutionnel et administratif enchevêtré.