Après Homs, quel crédit donner aux observateurs de la Ligue arabe ?
Alors que les enquêteurs de la Ligue arabe étaient à Homs une quinzaine de civils ont été tués dans cette même ville.
Même s'ils n'ignorent nullement ce qui se passe sur le terrain, les observateurs ont estimé que toutes les parties avaient fait preuve de coopération, mardi à Homs, où s'est déroulée une grande manifestation de l'opposition syrienne qui aurait réuni au moins 70 000 personnes. "Il y a au moins 70 000 participants. Ils marchent en direction du centre et les forces de sécurité tentent de les en empêcher. Elles tirent des gaz lacrymogènes", a déclaré Rami Abdelrahman, de l'Observatoire syrien des droits de l'homme, basé en Grande-Bretagne.
Le chef des observateurs, le général soudanais Moustafa Dabi, comptait regagner Damas en fin de journée pour des entretiens, avant de retourner mercredi à Homs pour retrouver son équipe restée sur place. "La journée d'aujourd'hui a été très bonne et toutes les parties se sont montrées coopératives", a dit l'officier. Quel voulait dire par "très bonne", ce général soudanais ? Serait-il aussi insensible à la situation dramatique qui se présentait à ses yeux ?
Dans une vidéo diffusée par plusieurs chaîne télé et sur internet, on distingue le chef de la délégation presque insensible aux supplications de jeunes Syriens qui évoquaient les massacres. Ces vidéos montraient une discussion dans la rue entre des observateurs et des manifestants, certains opposants réclament une protection internationale. On entend alors des tirs dans le secteur où est censée avoir été tournée la vidéo, dans le quartier de Baba Amr, qui a été pilonné par les blindés lundi, jour où 34 personnes ont péri sous les bombes et les tirs à Homs.
Les chars retirés
Alors que la délégation arabe avait posé ses pieds sur le sol syrien, la répression se poursuivait encore. Le régime ne comptait pas perdre son temps. Plusieurs villes sont mâtées dans le sang par l'armée. Peu avant l'arrivée des observateurs à Homs, certains chars d'assaut s'étaient retirés du quartier Baba Amr, qui était soumis à l'artillerie. Mais d'autres avaient été cachés, de manière à simuler une situation de normalité dans la ville. "Ma maison se trouve à l'entrée est de Baba Amr. J'ai vu au moins six chars quitter le quartier vers 8 heures du matin", a déclaré un habitant du nom de Mohamed Saleh joint par téléphone. La chaîne de télévision Al Jazeera a montré une foule évaluée à 20 000 manifestants sur une place de Khalidia, l'un des quatre quartiers où le sang a coulé ces derniers jours lors de combats entre des insurgés de l'Armée syrienne libre (ASL) et les forces de sécurité du régime.
On voit les manifestants clamant et agitant des drapeaux, diffusant de la musique par haut-parleurs et battant des mains. Un orateur conseille aux femmes de quitter les lieux en raison du risque de bain de sang, mais exhorte les hommes à rester. "Nous n'avons personne d'autre que Dieu !" et "À bas le régime !" entend-on clamer les manifestants. Les observateurs, dont une cinquantaine sont arrivés lundi en Syrie et qui seront à terme 150, souhaitent vérifier si le président syrien tient sa promesse de mettre en oeuvre le plan de paix de la Ligue arabe qui l'engage à cesser la répression après neuf mois de manifestations. Seulement les faits les précèdent. La répression n'a pas faibli depuis la signature de l'accord. Il y a eu plusieurs centaines de morts, des blessés et des bombardements de villes. Malgré cet état de fait, la Ligue arabe reste silencieuse et accorde du crédit à Bachar Al Assad. De quoi se demander : quel jeu est-elle en train de jouer ?
Les manoeuvres cyniques de Damas
A l'arrivée de la délégation, on se rappelle, il y a eu, comme par hasard, cet attentat sanglant avec une quarantaine de morts en plein Damas. Le régime l'avait attribué rapidement aux Frères musulmans, lesquels ont démenti toute implication et avait accusé le pouvoir d'en être l'auteur. Quel signification donner à cet attentat ? Ne voulait-on pas intimider la délégation pour l'empêcher d'aller sur le terrain ? Par ailleurs, les opposants craignent que les observateurs ne soient utilisés pour redonner un semblant de respectabilité à un régime qui aura à coeur de masquer l'ampleur des violences. Les équipes d'observateurs vont utiliser, au cours de leur mission, des moyens de transport mis à leur disposition par le gouvernement syrien, a dit le général Dabi. Cette disposition laisse penser à l'opposition que la tâche des observateurs est entravée et faussée d'entrée de jeu. À la Ligue arabe, on insiste cependant sur le fait que les observateurs comptent maintenir un "élément de surprise" et seront en mesure d'aller où ils le veulent sans préavis. Cependant, eu égard aux réactions recueillies au terme de cette première sortie à Homs, il y a de quoi craindre l'inutilité de cette mission et la poursuite de la répression. L'autre bémol de cette délégation c'est le refus de Damas à ce qu'elle visite les prisons et autres centres de détention.
A Homs, ville de plus d'un million d'habitants du centre-ouest de la Syrie, plusieurs centaines de personnes ont été tuées depuis le début de la révolte. Selon les Nations unies, au moins 5 000 personnes ont péri dans les violences à travers le pays depuis les premières manifestations, survenues à la mi-mars à Deraa, dans le sud. Plusieurs milliers de personnes sont portées disparu.
Yacine K./Reuters
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