A l’image du pouvoir, une course vers la mort !
Jeudi passé au milieu de la matinée quasi printanière pour une deuxième journée hivernale, deux minibus pleins à craquer luttent à toute vitesse pour se dépasser sur un tronçon d’autoroute urbaine entre Châteauneuf et El Biar à Alger.
Tout le trottoir jusqu’au virage longe la sûreté de la police judiciaire, le ministère des Moudjahidine et le lycée Toufik Bouatoura. Sur ce trottoir, deux vieux retraités marchent paisiblement en discutant comme tous les vieux retraités d’Algérie, de l’augmentation de la pension, de la cherté de la vie, du malheur de leurs enfants dont les progénitures souffrent le martyre dans leur scolarité qui, entre autres la corvée du cartable scoliotique, ne leur apprend pas à faire la différence entre le bien et le mal.
Mais ils causent en sachant que rien ne changera, seulement pour passer le temps avant d’arriver chez le boulanger faire la petite file éternelle pour acheter chacun huit pains.
Le bon Dieu seul saura qui des deux s’est plaint le dernier lorsque les deux véhicules en même temps se frottent dans un bruit assourdissant en les heurtant et les tuant sur le coup. L’un des deux minibus délinquant prend la fuite, vite rattrapé par les riverains dont un parent de l’un des victimes. Les flics arrivent pour éviter le lynchage. Afin de ne pas courir le risque d’un éventuel coup de force de la part des proches et des voisins les deux conducteurs ont été transférés rapidement vers la sûreté de daïra de Bouzaréah.
Le chauffeur principalement impliqué dans le carnage vient de faire ses vingt et un ans, le second est beaucoup plus âgé. Celui qui s’est éteint le premier fracassé contre le mur du lycée était un ancien officier de police dont l’environnement résidentiel et certains flics qui avaient eu à travailler avec lui attestent de son aménité et de son sens de la dignité dans l’exercice de ses fonctions.
J’habite depuis l’indépendance à quelque pas de cette enceinte sécuritaire qui était jadis un morceau d’éden fait de pins d’Alep, de rhododendrons et de palmiers doums, où nous fourbissions nos jouets et nos malices enfantins. Dans le soir par la fenêtre de ma cuisine je vois un attroupement anormal devant l’entrée. Curieux comme citoyen riverain surtout je me rapproche auprès d’un jeune flic qui m’apprend qu’il s’agissait des familles des victimes.
Je sollicite un des parents entre les deux âges, le teint pâle et le regard absent, pour essayer de comprendre l’objet de la visite. "Demain ils seront en prison, nous n’auront plus la chance de leur parler, nous voulons avant qu’il ne soit trop tard les regarder dans les yeux pour qu’ils nous disent comment ils ont fait pour qu’on en arrive là !"
Avant qu’il ne soit trop tard ! Combien de malheurs gratuits cinglent-ils dans la vie courante de ce p… de pays avant qu’il ne soit trop tard ?
Comment ont-ils donc fait ces deux malheureux dont l’un pourrait être le père de l’autre, pour en arriver à la mort d’hommes ? Deux générations en proie à un emballement funeste dans le but d’arriver le premier au prochain arrêt pour seulement vider et remplir et gagner un tout petit plus d’argent plus vite ?
L’un est venu au monde après les évènements d’Octobre, l’autre pendant l’empire de la Sécurité militaire. Pendant la période exacte, et je m’en rappelle, où les ouvriers de la Dnc du colonel Aouchiche bâtissaient le ministère des Moudjahidine et juste après le lycée. L’époque de la Rsta, l’ancêtre de l’actuelle Etusa, la première elle-même héritière de la Sfra coloniale, régie comme une armée avec des grades sur le couvre-chef et sur la poitrine. Elle était catastrophiquement gérée pour les raisons de débilité dans l’organisation de l’urbanistique, par le surpeuplement quotidien de la capitale et par la dépression nerveuse collective qui nous poursuivent jusqu’à aujourd’hui, mais elle était disciplinée comme tente de l’être faut-il le reconnaître celle qui a pris sa relève. On voit très rarement un de ses chauffeurs se faire verbaliser. A contrario, j’ai vu un policier en tenue se faire allumer une cigarette par un conducteur de navette attendant à l’arrêt le remplissage de son véhicule.
Mais, ya el khawa, la version nationale du transport en commun privé ?
Cette catastrophe dont j’ai tenté de décrire des détails est la synthèse matérielle et morale de ce qu'est en vérité ce secteur particulier des services et de ses corollaires, l’administration du permis de conduire, l’agrément pour l’exercice et le contrôle par la force publique. Combien de fois n’apprend-on pas, ici et là, qu’une grave infraction est pardonnée pour le rendu de service d’une amitié ou d’un voisinage, qu’une éligibilité a été accordée à un voyou notoire ou à un agité à peine sorti de l’adolescence comme dans le cas qui fait le sujet de cet article. Pris dans le sérieux du challenge schizophrénique par le quinquagénaire fabriqué par une destinée politique à travers laquelle la mort des deux vieux retraités possède la même signification philosophique que celle qui a accompagné dans leur tombe toutes les victimes nées ou grandies sous la houlette des hordes sauvages, des cavaliers de l’Apocalypse de l’Indépendance, les mutants mi-civils mi-militaires, sortis de l’enfer par le braquage à main armée du FLN par Ben Bella et par la diabolisation de l’ALN par Houari Boumediene.
Le reste n’est que succession d’accidents, sur le triste et malheureux peuple évidemment, qui peut le plus normalement du monde demain, dans quatre ans ou dans un siècle avant la mort du dernier descendant des ayants droit fiché au ministère des Moudjahidine, au train où les décideurs continuent à ne suivre que leur instinct de le faire de leur seul chef, laisser quelque part entendre qu’un vol civil conduit par un pilote en manque, pour arriver au plus pressé sur une piste afin de siffler son premier verre, escamote un plan de navigation et rentrer dans un jet privé d’un général major algérien à la retraite se destinant vers Zurich.
Nadir Bacha
Commentaires (0) | Réagir ?