Commission parlementaire : la montagne accouche d’une souris
Des ministres et députés ont longtemps agité le chiffon rouge de la commission d’enquête parlementaire sur la pénurie. Résultat des courses ? Un non-événement.
Le député et président de la commission parlementaire sur les émeutes de janvier avait fort à faire pour expliquer le vent de colère qui avait déstabilisé le pouvoir dans ses certitudes. Le président du parlement Abdelaziz Ziari et quelques autres ministres avaient un temps prédit des révélations d’importance sur l’origine des émeutes de janvier. Ils avaient au passage pointé le doigt sur un industriel qui a au moins le mérite de monter des usines, donc de créer des emplois, contrairement aux trabendistes et autres personnalités qui placent leur argent à l’étranger.
Deux ou trois choses interpellent concernant les brandons d’émeutes qui avaient brasillé l’Algérie au début de l’année et les conclusions d'une enquête parlementaire qui n'ont est pas une.
D’abord l’explication avancée par le pouvoir et ses clients de ces émeutes. Avancer sans sciller que les citoyens sont sortis dans la rue parce que le prix du sucre ou de l'huile a augmenté c’était mépriser la conscience politique des Algériens et mentir sur le fond de la crise qui traverse l’Algérie. C’était réducteur mais surtout tentant pour un pouvoir manipulateur comme le nôtre. D’abord l'argument offrait à l’opinion par un raccourci machiavélique des boucs-émissaires, facilement identifiables. Et ensuite éludait la raison profonde du malaise social. Le pouvoir avait mobilisé tous ses relais et supporters pour faire accroire à une thèse de déstabilisation concocté par un clan pour ne pas avouer son propre échec.
Contrairement à toutes les vaines "explications" qui pourrissent le débat, le fond du problème posé par les manifestants est clair. Il est politique. Il est dans cette franche rupture entre la société et les politiques qui dirigent à tous les niveaux de l’Etat. La société et ceux qui tiennent l’Algérie sont dos-à-dos. Ce que les sociologues et les journaliste de terrain expliquent à longueur de colonnes de la presse est superbement ignoré par le président et ses ministres. L’Algérien a fondamentalement changé, pas le régime. Le vent de révolte dans les pays voisins a inévitablement accentué cette prise de conscience, le président pour sa part multiplie les dérobades pour renvoyer à plus tard la réappropriation des leviers de commandes par le peuple. Par ailleurs, le népotisme, la corruption la plus inqualifiable, les violations des libertés, la crise sociale, l’enrichissement exponentiel et facile de certains nourrissent chaque jour un peu plus cette rupture sociétale.
Un temps, on parlait de garder le rapport secret car contenant des informations hyper-sensibles. Mais le voilà rendu public. Que découvrons-nous de ce que nous ne savions pas ? Rien, sauf que les tenants du marché parallèle sont très puissants. D’ailleurs, les grossistes et importateurs invités par la commission d’enquête à venir s’expliquer n’ont jamais daignés répondre. C’est dire que nos députés sont tenus en piètre estime. Mais au fond a-t-on vu ou assisté à un véritable travail d’enquête de fond de nos députés. Pouvait-on raisonnablement nous attendre à des révélations fracassantes sur la corruption qui ronge tous les étages de l’économie algérienne ? L’assemblée a été le fruit d’une fraude orchestrée par le pouvoir, et ses députés savent pertinemment qu’ils ne sont là que pour servir les puissants et se servir au passage. Cela, tout Algérien l’a compris. Ce qui renseigne au passage sur le fossé entre élus et électeurs. Les députés ne pouvaient tout de même scier la branche sur laquelle ils sont confortablement assis pour toute une mandature !
Le député Kamel Rezgui a promis que ces grossistes ne s’en tireront pas comme ça. Simple ruade ! Sachant que l’assemblée sera dissoute dans quelques semaines, on voit pas comment notre député fera quelque chose contre ces gros bonnets dont la fortune est faite dans le camouflage de leur activité et la fraude fiscale.
Kamel Rezgui a suggéré que le paiement par chèque exigé à partir d’avril par le gouvernement puis annulé a été une des raisons qui ont produit l’augmentation des prix et ainsi poussé à la révolte. Notre député veut dire que les grossistes sont plus puissants que nos gouvernants et capables de mener la révolte en sous-main ou de lever le peuple pour une histoire de chèque. Rien que ça ! Bref, aucune commission d’enquête lancée par le pouvoir n’a jamais abouti à des sanctions ou à mettre véritablement le scalpel dans le mal. La commission de Kamel Rezgui a été un écran de fumée lancée par le président pour gagner du temps en jouant sur le suspense de révélations fracassantes, il a réussi. Mais jusqu’à quand ?
Sofiane Ayache
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