Messieurs les Ministres, évitez de vendre des utopies au peuple algérien !

L'économie nationale est assise sur la rente pétrolière, sans aucune visibilité à long terme.
L'économie nationale est assise sur la rente pétrolière, sans aucune visibilité à long terme.

Actuellement nous assistons à des déclarations intempestives, contraires à la pratique des affaires internationales et surtout à la réalité de l’investissement productif réalisé en Algérie expliquant des modifications périodiques de lois, (l’instabilité juridique) comme si une loi pouvait suppléer aux fonctionnement réel d’une société.

Cette vison juridique a pour fondement la démarche bureaucratique déconnectée des réalités mondiales, une culture qui relève des années 1970. Elle explique le dépérissement du tissu productif, y compris certains segments des services à forte valeur ajoutée. Au niveau international, les choses sont claires. Selon, mes contacts avec le monde des affaires internationales, excepté l’amont des hydrocarbures pour les gisements rentables où la pratique des 49/51% est admise, pour la majorité des autres segments porteurs, pouvant dynamiser les exportations hors rente, cet artifice juridique est décrié par la majorité des partenaires étrangers qui veulent investir à long terme en Algérie. Ceux qui s’en accommoderaient, des entreprises seraient celles ne possédant pas ou peu de savoir technologique et managérial voulant profiter des réserves de change au moment où l’économie mondiale est en crise, sans prendre de grands risques. Or, d’autres critères sont plus profitables à la croissance de l’économie algérienne, si l’on veut dépasser la situation actuelle où l’Algérie est devenue un vaste réservoir commercial, sachant qu'il existe des liens dialectiques entre la logique marchande spéculative et l’extension de la sphère informelle, qui freine la création d’entreprises compétitives.

Si l’on prend le segment des hydrocarbures, la taxation des superprofits au-delà de 30 dollars dans l’actuelle loi ne répond pas à la situation actuelle du marché où le cours dépasse les 90/100 dollars depuis plus d’une année. Tout en précisant que dans le droit international la loi n’est jamais rétroactive, sauf si elle améliore la précédente, ce qui explique les litiges au niveau des tribunaux internationaux entre Sonatrach et des compagnies installées avant la promulgation de cette loi. Dans ce cadre, un assouplissement fiscal est nécessaire, car l’Algérie n’est pas seule sur le marché mondial face aux importantes mutations énergétiques qui s’annoncent, avec de nombreux pays concurrents qui veulent attirer les compagnies. Par ailleurs, si comme signalé précédemment, pour l’amont gazier et pétrolier pour les grands gisements rentables, la règle des 49/51% peut être applicable, en revanche pour les gisements marginaux, cette règle risque de n’attirer que peu d’investisseurs sérieux. Idem pour la prospection dans l’offshore et surtout le gaz non conventionnel qui requiert des techniques de pointe à travers le forage horizontal maîtrisé par quelques firmes, les recherches actuelles se concentrant sur les techniques anti-pollution. Quant à l’investissement dans la pétrochimie dont la commercialisation est contrôlée par quelques firmes au niveau mondial (structure oligopolistique) et d’une manière générale à l’aval, dont les produits obéissent aux règles de l’organisation mondiale, cette règle juridique de la dominance de Sonatrach dans le capital social est inopérante. Sans risque de me tromper, l’investissement sera limité pour ne pas dire nul, excepté si Sonatrach prend le risque toute seule, commercialiser seule notamment, avec toutes les conséquences financières négatives.

Pour les autres secteurs, qui représentent en termes de valeur ajoutée directe moins de 20% du produit intérieur brut (évitons des calculs biaisés car le BTPH lui-même est tiré par les hydrocarbures via la dépense publiques) et 2/3% des exportations totales. Ce qui de fait pose la problématique de la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures. Comme je l'ai expliqué par ailleurs, dans 25 ans l’Algérie sera sans hydrocarbures, force est de reconnaître que l’Algérie a attiré peu d’investisseurs potentiels qui investissent à moyen et long terme, y compris pour le secteur public et privé national. Les statistiques de 2008/2011 de l’Agence d’investissement ANDI et le nombre de registre de commerce dans la sphère commerciale en décroissance exponentielle sont éloquents à ce sujet. Cela s’explique par surtout le manque de cohérence et de visibilité de la politique socio-économique, les hommes d’affaires voulant être assurés à terme, sinon ils vont dans des segments à rentabilité immédiate. Force est de constater la faiblesse du management stratégique, 85% des entreprises algériennes n’ayant pas de véritable management stratégique, 90% des entreprises privées étant de type familial, 85%, selon les dernières statistiques de 2011, de l’ensemble des entreprises algériennes ne maîtrisent pas les dernières techniques de l’information. Hormis quelques entreprises privées et publiques mais bien marginales. Même l'organisation est encore de type hiérarchique, autoritaire alors que l’organisation mondiale des entreprises compétitives insérées au sein des valeurs internationales est l’organisation en réseaux.

L'Algérie a fait fuir ses cerveaux, leur préférant la rente pétrolière

Le lecteur me posera la question pourquoi certains pays émergents se permettent d’appliquer cette dominance juridique dans certains segments. La réponse est claire : les pays émergents sont investis dans la connaissance, dans le savoir, richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures alors que l’Algérie a fait fuir ses cerveaux, a délaissé ce segment misant plus sur la quantité que sur la qualité comme en témoigne l’explosion du poste services au niveau de la balance des paiements (appel aux compétences étrangères) qui est passé de 2/3 milliards de dollars entre 2002/2003 à plus de 11 milliards de dollars entre 2009/2010 et allant vers 12 milliards de dollars fin 2012.

La crise mondiale actuelle peut avoir un effet négatif mais également positif sur l’économie algérienne pour peu que l’on mobilise les compétences tant au niveau local qu’à l’étranger. Durant une période transitoire, il serait souhaitable d’avoir d’autres critères, balance devises excédentaire au profit de l’Algérie, l’apport technologique et managérial et un partage des risques face à un marché mondial fluctuant pour l’ensemble des marchandises obéissant aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et ce dans le cas où l’Algérie a un avantage comparatif à terme afin de réaliser une substituion d’importation réaliste devant avoir non pas une stratégie industrielle globale débridée mais une stratégie de l’entreprise dans un cadre concurrentiel. Ces critères s’appliquent à l’agro business, à bon nombre de segments. Si l’on prend le cas de la pétrochimie, du fait que la rentabilité nécessite de grandes capacités, sans compter que les pays du Golfe ont déjà amorti les installations, l’Algérie part avec un handicap des coûts d’amortissement élevés et un marché forcément limité posant l’urgence de l’intégration dans un espace plus vaste afin de profiter des économies d’échelle. Il y a lieu donc d’investir à moyen terme comme je viens de le rappeler dans une interview à la télévison internationale africaine Africa24 fin novembre 2011 dans l’éducation, la recherche développement (bureaux d’études spécialisés, engineering financière, etc) segments intiment liés à l’investissement dans les institutions démocratiques, c’est à dire aux espaces de liberté, qui certes ne sont pas rentables à court terme mais permettent une dynamisation du développement à moyen terme, et si l’on veut une opérationnalité effective des 49/51%.

Mais, l’investissement dans de nouvelles institutions et le savoir suppose une profonde reconfiguration du pouvoir algérien assis sur la rente, les résistances au changement des tenants de la rente expliquant les replâtrages juridiques sans vison stratégique. Le blocage et le manque de vision de certains responsables politiques algériens n’est-il pas d’ordre à la fois moral, (corruption socialisée) vivant de l’illusion de l’unique dépense monétaire grâce aux hydrocarbures, ce qui explique le divorce Etat/citoyens. Car tout le monde veut sa part de rente allant au suicide collectif et culturel. Cette mentalité figée par l’autosatisfaction, n’oublie-t-elle pas les bouleversements mondiaux, la nouvelle transition mondiale avec d’importants bouleversements géostratégiques prévue entre 2015/2020, où toute nation qui n’avance pas recule ? Le problème central qui se pose à l’Algérie, du fait de la faiblesse de ses capacités d’absorption et de la crise d’endettement au niveau mondial, est pourquoi continuer à pomper les hydrocarbures pour placer cet argent à l’étranger à des rendements faibles voire négatifs, actuellement plus de 155 milliards de dollars sur les 175 milliards de dollars des réserves de change au 1er août 2011 dont plus de 45% en obligations européennes et 45% en bons de trésor américains ?

L’Algérie selon la majorité des observateurs internationaux et nationaux est en plein syndrome hollandais, 98% d’exportation relevant des hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises. Que nos ministres reviennent sur terre et évitent de vendre des illusions à la population algérienne, qui est consciente de la dure réalité qu’elle vit déjà et des difficultés qui l’attendent pour l’avenir sans hydrocarbures.

Abderrahmane Mebtoul, expert et professeur d’université

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (3) | Réagir ?

avatar
madjid ali

On ne peut rétablir les ideaux de Novembre par des émeutes il faudrait une vraie révolution, un soulèvement populaire qui chassera tous ces pourris

avatar
Atala Atlale

Il a fallu des hommes pour conduire la révolution de Novembre 54, et libérer le pays de l'occupation, aujourd'hui, nous faisons face à une autre forme de spoliation, cependant, d'autres hommes tout aussi convaincus rétabliront les idéaux de Novembre 54.

visualisation: 2 / 3