Ces romans qui malmènent l’Histoire...

Le romancier Rachid Boudjedra
Le romancier Rachid Boudjedra

Les derniers romans paru ces deux dernières années, de Mohamed Benchicou, Anouar Benmalek, Yasmina Khadra, Boualem Sansal et Rachid Boudjedra suscitent de vives polémiques Les icônes historiques qui rassurent laissent perplexe le lecteur. Sont-ils pour autant des romans à scandales ?

Les récents romans d’écrivains algériens publiant dans l’Hexagone et réédités en Algérie ont suscité, cette année 2010-2011, de vives polémiques au sein de la corporation journalistique et dans des milieux non littéraires sur le choix, le traitement, les insertions dans leur roman de faits historiques de la guerre de libération par son côté cour. En effet, l’assassinat de Abane Ramdane par les siens, la période de la bleuïte, le massacre de Melouza, le passé nazi d’anciens maquisards, la recherche d’une réconciliation avec les anciens tortionnaires de l’OAS par le truchement de personnages qui surfent sur l’histoire d’une manière désinvolte ou naïve, la déconstruction du mythe des icônes des résistances maghrébines à l’occupation, comme El Mokrani en 1871, Abdelkrim au temps du soulèvement du Rif marocain, Messali Hadj dans le mouvement national prennent d’autres visages dans la narration qu’ils semblent devenir encore plus saillants, plus sujets à controverse que figures iconiques définitivement installées dans l’Histoire.

Dans son roman-fleuve, d’un genre inclassable, Le mensonge de Dieu, Mohamed Benchicou démythifie la figure du "héros national" par la figure d’un ancêtre qui a plus guerroyé pour la liberté d’autres pays que pour le sien et qui, ce faisant, éjecte la sphère du "nationalisme" hors de ses étroitesses géographique, ethnique et religieuse. Les faits de son histoire personnelle, de ses conquêtes féminines, de ses doutes, de ses errances intérieurs prennent alors plus de consistance fictionnelle que les pesanteurs idéologiques avec lesquelles ce genre d’aïeul est à posteriori formaté dans la négation de sa dimension humaine. Le mensonge de Dieu prend à "contre histoire" les certitudes avec lesquelles se donnent à lire dans l’historiographie maghrébine, les icônes de la période des résistances à la colonisation française. Ainsi, le Bachagha et chef confrérique de la Tariqa Errahmania, El Mokrani ne serait pas le chef de l’insurrection agraire de 1871 pas plus que ne l’est le journaliste fougueux Abdelkrim, dans son attentisme exaspérant du soulèvement berbère du Rif marocain. Après avoir appelé à une guerre sainte perdue d'avance, il est assassiné par les siens et son étard, objet de luttes fratricides: "Au milieu de la débâcle, Belaid surprit Aït Mokrane qui se prosternait au borde de l'oued Soufflat (...) l'homme ne remarqua pas le fourbe cavanier dune zaouia voisine qui s'était approché de lui, un poignard bousaâdi à la main (....) Assassiné par les siens. Les anciens racontent que le frère cadet du défunt bachagha, Boumezrag Aït Mokrane, et Aziz, le fils de cheikh El-Haddad, se disputèrent l'étendard du jihad, symbole d'autorité suprême. Il fut l'objet de l'ultime empoignade, celle qui précipita la déconfiture. Boumezrag, plus promppt ou plus rusén s'en était emparé, et Aziz, fit avorter la guerre sainte en se rendant au général français" p. 58-59). Mais la déconstruction la plus saillante des mythes iconiques est le portrait que l’auteur donne de Hadj Messali dont les décisions politiques, les discours écrits apparaissent être celles et ceux de son épouse française. Cette déconstruction littéraire des héros de la résistance maghrébine à la colonisation française bouscule les certitudes de l’histoire et l’éjecte dans l’espace des interrogations et du doute.

Rachid Mokhtari

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Afifa Ismail

Ces hommes de lettres ne sont pas des historiens mais des romanciers ; par définition, le roman est une fiction donc tout est possible et la création n'a pas de limites. Le rôle de la littérature c'est aussi de questionner, d'interpeller, il n'y a rien de pire que les certitudes. Moi je constate que l'Algérie à défaut d'avoir donné des grands hommes d'Etat, nous a donné de grands auteurs, de grands écrivains, qui sont à mon sens le vrai trésor national.