Les maudits de la vie et le terrorisme législatif
Vous longez un boulevard pour aller dans un endroit, obligé pendant un certain temps de régler une obligation nécessaire et pendant tous les moments de passage vous remarquez des enfants en train de se shooter à la colle ou au diluant chimique.
Affalés dans des cartons, ils ne semblent pas ressentir le froid glacial qui fouette par la mer à découvert. Un casse-croûte calantica refroidit aussi posé dans un coin de la rambarde à claire-voie par où transparaissent des navires gigantesques déchargeant des conteneurs de diverses marchandises importées Dieu seul sait de quelle contrée, le pavillon battant Panama.
Seulement, vous n’êtes pas seul à les regarder qui vous regardent sans vous voir, il y a aussi des députés qui les côtoient au moins deux fois par jour, sortant ou rentrant dans le "passage commun" qui mène au parking de l’Assemblée nationale. Contrairement aux enfants flanqués de leur sac à dos, sortis d'immeubles avoisinants pour rejoindre l’école la plus proche, les petits damnés du boulevard possèdent les coins où ils urinent et défèquent pour domicile.
Tout le monde est au courant, le commissariat de police est à trois enjambées ; ces maudits de la vie passent leur existence à mendier et à respirer les substances qu’ils achètent chez le droguiste du coin. Quand ils circulent sur le boulevard, les députés de la nation se scindent pour leur laisser le chemin. Vous ne risquez jamais de croiser un député se pavanant tout seul, ils sortent pour aller à l’hotêl Safir, ex-Aletti, ou pour les jolis salons de thé alentour, généralement en groupe, ce qui laisse comprendre qu’ils sont dans des groupes de travail dans l’enceinte destinée à résoudre les grands problèmes des électeurs dont spécialement leurs enfants, en premier lieu les plus fragiles.
Mais non. Pour ces patrouilles du FLN, du RND et du MSP, cette indicible triangulation administrative, dans le sens le plus criminel du terme, qui balise depuis une décennie la mégalomanie stérile de la présidence en contrepartie d’immenses faveurs princières, ces misérables enfants ne représentent pas plus que les chats errants qui aujourd’hui frayent ouvertement avec les gros rats sortis des méandres souterrains autour de l’Assemblée. Non, ces élus du peuple n’ont pas l’intention de tomber si bas. Ils ont, ya el khawa, d’autres chats à fouetter, leur rôle n’est pas, sauf votre respect, de s’abaisser sur ces abcès dont l’exemple quotidien en face d’eux n’est qu’une petite reproduction du drame vécu dans tous les quartiers de la ville.
Ils ont des missions autrement plus nobles, ces fouteurs de m..., ces ennemis publics numéro un. Payés royalement par l’argent du peuple, chouchoutés dans les meilleurs patrimoines collectifs, ils vous narguent dans quasiment chaque projet de loi qui s’apprête à désosser un peu plus le corps des populations qui n’en peuvent plus de subir ce terrorisme spécial. Ce terrorisme démoniaque, le plus perfide de tous les terrorismes connus depuis l’indépendance comme lorsque Ben Bella nationalise les ateliers familiaux et Boumediene les lopins ancestraux. Cette mafia législative, vingt-cinq siècles après la naissance de la démocratie et l’invention de la philosophie, en Algérie, ce pays qui se faisait il n’y a pas longtemps, s’égorger au sortir de son lit ou de son lieu de travail pour Dieu seul sait quelle raison, semble forcément se faire la promesse d’aller au fond d’un dessein radicalement antipopulaire qui consiste cette fois à ôter de la nation purement et simplement son âme.
Mais lisons : "Grâce à Dieu, et grâce au courage et à la lucidité exemplaire du vaillant peuple algérien, l'Algérie a désormais renoué avec la paix et avec la relance soutenue de son développement économique et social L'Algérie doit cependant relever encore des défis importants parmi lesquels le parachèvement de la noble oeuvre de réconciliation nationale, la libération véritable de son peuple du sous-développement, ce qui requiert le parachèvement de l'édification d'un Etat de droit solide ainsi que l'avènement d'une prospérité économique durable fondée sur une croissance continue et nourrie par des richesses diversifiées. L'Algérie doit également conquérir sa juste place dans le monde d'aujourd'hui, marqué par une globalisation et une compétition qui n'épargne pas les partenaires les plus faibles. Elle a donc grandement besoin de mobiliser toutes ses énergies, dont celles des Algériennes qui ont déjà largement fait leur preuve dans tous les domaines et même aux heures les plus difficiles. Elle doit, en outre, doter ses générations montantes de toutes les ressources à même de leur permettre d'aller vers le reste du monde en préservant et en affirmant leur identité, leur personnalité et leur algérianité."
Il s’agit d’un fragment de l’élocution du président algérien sortant à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire en octobre 2008, avant de proposer aux parlementaires l’amendement de la Constitution afin de briguer le troisième ticket de la magistrature suprême. Et vous remarquez qu’il annonce la primauté de l’entourloupe dans la loi fondamentale aux garants de la justice dans le pays, histoire de caporaliser toute idée souveraineté dans un Etat de droit.
Une fois le texte anticonstitutionnel présenté pour son approbation, sur les 529 parlementaires, 500 ont voté pour. Eh, bien ces cinq cents-là jurent aujourd’hui avec lui de continuer allègrement la ruine du pays. Les enfants qui se droguent au patex et dorment dans la rue en face d’eux, sans famille, sans école, c’est la faute au peuple, ce salaud qui sait seulement voter sans être capable au moins de garder unie et bien élevée sa famille. D’ailleurs le sempiternel responsable de l’Education nationale ne cesse de le répéter et qui a donné froid dans le dos des fonctionnaires de l’Unicef et de l’Unesco, "nos pauvres enfants se droguent c’est pour cette raison ils ne réussissent pas leur scolarité."
Si cela ne mérite pas une démission du délicat département, en bonne et due forme, ça nécessite au moins une auscultation psychiatrique. Pour les députés une preste présentation collective devant les juges, parce qu’il y en a encore d’honnêtes en Algérie.
Nadir Bacha
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