Mohamed Chaïb : "On prenait des comprimés sans savoir ce que c’était"

Mohamed Chaïb, ancien joueur de l'équipe nationale algérienne
Mohamed Chaïb, ancien joueur de l'équipe nationale algérienne

Mohamed Chaïb, 54 ans, est titulaire d’une licence de la Confédération africaine de football et d’un diplôme de l’Union football association. Il a porté 80 fois le maillot de l’équipe nationale. Il a aussi été entraîneur de plusieurs clubs et l’adjoint de Abdelhak Benchikha en équipe nationale avant sa démission.

Quand avez-vous commencé à lier votre statut d’ancien international de football à votre drame personnel ?

Nous avons eu une première fille en 1987, atteinte de myopathie. Elle est décédée en 2005. Puis ma femme est tombée à nouveau enceinte. Nous avons alors décidé de faire des tests d’ADN en 1999, en France, à l’hôpital Necker, pour savoir si l’un de nous pouvait être à l’origine du drame que nous avions vécu. Les résultats des analyses étaient clairs : ma femme et moi ne pouvions pas avoir des enfants génétiquement malades, nous n’avons donc pas poussé les tests plus loin. Par la suite, ma femme a donné naissance à des jumelles, atteintes aussi de myopathie. C’est à partir de là que j’ai commencé, avec mon ami Kaci Saïd, qui lui aussi a une fille handicapée, à réfléchir à d’autres causes susceptibles d’être à l’origine de ces maladies.

Quelles autres explications les médecins vous ont-ils données ?

Ils m’ont dit que notre statut d’ancien athlète d’élite pouvait expliquer pourquoi nous donnions naissance à des enfants handicapés. Nous avons entamé notre carrière de footballeur avec la réforme sportive qui consistait en la prise en charge du football par les pouvoirs publics. Du coup, nous étions suivis médicalement à la fois par notre club et par le staff médical de l’équipe nationale. C’est durant cette période que nous avions dû prendre, à notre insu, des médicaments qui nous permettaient de tenir physiquement durant toute une saison.

Vous souvenez-vous de ce que le médecin vous donnait à cette époque ?

On nous faisait prendre des comprimés. Ils avaient la forme de petits morceaux de sucre. Bien sûr, je ne me souviens pas du nom de ce produit. On ne savait pas ce que c’était et on s’en fichait, ce qui comptait, c’était de bien récupérer et de pouvoir jouer le mieux possible. On leur faisait confiance. Ce qui était important pour nous c’était d’être en forme le jour du match et de pouvoir bien récupérer après une rencontre ou un entraînement. Cette question il faudrait la poser à ceux qui nous ont encadrés médicalement durant cette période.

Vous êtes en train de parler de dopage…

Oui, et cela ne concerne pas uniquement le football ! Il suffit de voir les transformations physiques subies par certains champions d’athlétisme et de handball pour être convaincus ! De plus, de 1977 à 1990, nous avons eu des médecins étrangers qui s’occupaient de nous.

Que sept joueurs de l’équipe soient concernés est intrigant, mais on peut aussi se demander pourquoi les autres ne sont-ils pas touchés ?

Vous savez, l’organisme réagit différemment chez chaque sportif.

Les entraîneurs de l’époque étaient-ils au courant ?

On ne peut pas l’affirmer, car nous n’avons pas de preuves concrètes contre le staff technique.

Est-ce que le fait que cette affaire n’ait pas été médiatisée par la Fédération algérienne de football laisse supposer que vous avez été dopés ?

Nous sommes persuadés d’avoir pris des substances. C’est une conviction profonde de tous les joueurs.

Quel est le devenir des dossiers médicaux une fois que la carrière d’un international s’arrête ?

Dans une fédération bien organisée, les dossiers médicaux sont normalement archivés dans une banque de données. Mais dans le cas présent, au niveau de la FAF, personne ne sait s’il y avait des dossiers médicaux et où ils se trouvent. On peut imaginer que ces dossiers se sont évaporés avec le départ du docteur russe qui s’appelle Sacha. Aujourd’hui, si vous demandez aux resonsables de la FAF de vous communiquer mon CV, alors que j’ai près de 90 sélections en équipe nationale, ils seraient incapables de vous le donner. Ils vont vous conseiller de regarder sur Internet… Vous imaginez qu’avec l’ampleur que prend aujourd’hui l’affaire, un simple certificat médical disparaîtrait…

Pourquoi l’affaire n’éclate que maintenant ?

Nous en avions déjà parlé à un journaliste algérien d’El Heddaf. Lors d’un voyage au Canada, en 2010, nous avions évoqué nos drames personnels et parlé de la maladie qui touchait nos enfants. Kaci Saïd, Salah Larbès, Djamel Menad… Nous avions tous des enfants handicapés. Au départ, nous n’étions que cinq à en avoir parlé, puis d’autres athlètes de haut niveau se sont manifestés pour révéler, eux aussi, les handicaps de leurs enfants.

Est-ce que vous êtes soutenus dans votre quête de la vérité ?

L’Amicale des anciens internationaux nous soutient dans notre démarche, car nous sommes convaincus que ce que nous vivons est la conséquence de notre statut d’anciens internationaux.

Quelle suite comptez-vous donner à votre affaire ?

Après la médiatisation, on veut que l’affaire devienne officielle. Par l’intermédiaire de notre avocat, nous allons contacter par écrit la Fédération nationale de football et le ministère de la Jeunesse et des Sports. Ce n’est qu’au terme de cette démarche que l’on pourra demander à connaître les produits qu’on nous faisait prendre et réclamer nos dossiers médicaux. Pour le moment, aucun responsable n’a cherché à nous joindre ! Personne ne nous a apporté de soutien moral. Nous avons reçu davantage de réactions de la part d’anonymes que d’officiels, alors que nous sommes les victimes d’une politique nationale mise en place à l’époque. Cette absence de réaction de la part des responsables nous laisse penser qu’ils ont peut-être des choses à cacher...

Envisagez-vous des poursuites judiciaires à l’encontre de certains responsables de l’époque ?

Bien sûr. On veut connaître la vérité. On a besoin de savoir, si ce qu’on nous a donné comme médication pendant des années est la cause de notre souffrance. Et si c’est le cas, nous demanderons une réparation financière pour le préjudice que nous avons subi. En tant que famille, nous avons pris nos responsabilités, c’est à eux maintenant de prendre les leurs. A travers cette action, nous essayons aussi d’apporter des réponses à des questions qui nous hantent. Je veux pouvoir dire à mes filles la cause de leur maladie.

Au fond de vous-même, vous avez la certitude que la maladie de vos enfants est liée à ces produits…

Au début, je me disais que c’était el mektoub, mon destin voulu par Dieu. Mais quand, par la suite, nous avons appris que d’autres joueurs vivaient la même souffrance, nous nous sommes posé des questions, d’autant que j’ai un dossier médical qui prouve que cela ne vient pas de nous.

Salim Mesbah

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Commentaires (2) | Réagir ?

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ranaferhanine bezafbezaf

Le regime mafieux et assassin, raciste et criminel d'Alger en lisant ces ligne de votre interview M. Chaib se disent entre eux ceci: ils peuvent aller même chez le pape demander leurs dossiers médicaux.

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elvez Elbaz

Les peuples d'Algérie n'ont jamais eu un Etat qui les protégent. Cet état maffieux, qui a commencé avec l'ignoble marocain benbella, qui n'a pas oublié dans toute sa rapine et sa déstruction du tout neuf état algérien, de voler l'argent de la caisse de la solidarité (sendouk tadhamoun), se poursuit avec un autre haggar à l'égard de l'Algérie, qui a aussi volé les reliquats des sommes du trésor algérien, déposées à l'étranger pour les AE.

De pauvres malades algériens envoyés pour soins à l'étranger, auraient servis de cobayes pour de nouveaux médicaments que l'on aurait testé sur eux... alors de là à empoisonner des sportifs avec des "produits de synthése " médicamentaux, ce systéme ripoux et maffieux qui se poursuit depuis 1962 est capable de tout... Bentalha, Rais, Beni Messous, les villages pied-monts de la Mitidja, à Mascara, à Jjijel et en Kabylie présentement peuvent en témoigner des crimes commis par ces parrains et larbins, en col blanc, kamis et treillis, du DRS et du clan maffieux comme le revendiquait Khelil Chekib présidentiel....