Prix Goncourt : un Jenni littéraire ?
Sans surprise, c’est Alexis Jenni pour "L’art français de la guerre", qui a obtenu le prix Goncourt 2011.
Edité chez Gallimard, la vieille maison fête donc ses 100 ans avec un roman classique, un peu ennuyeux et très politiquement correct. Mais cette récompense est assurément un changement de vie total pour son auteur, un professeur en Science et vie de la Terre à Lyon. Le jury du Renaudot a pris quant à lui beaucoup plus de risques en attribuant son prix à Emmanuel Carrère pour Limonov.
Un bon Goncourt ? Un bon roman ? L’académie a en tout cas décidé cette année de renouer avec les origines du prix créé par les frères Goncourt désireux d’aider un jeune auteur et de faire connaître un premier roman. C’est chose faite avec L’art français de la guerre, fresque de plus de 600 pages signée Alexis Jenni, professeur de biologie (SVT) à Lyon qui publie son premier roman. Inconnu il y a deux mois, devenu favori des critiques et des médias, ce plumitif de 48 ans va entrer dans une autre dimension. Edité par Richard Millet, celui-là même qui avait élevé Les Bienveillantes de Jonathan Litell au firmament, L’art français de la guerre est assurément une fresque ambitieuse, portée par un souffle romanesque évident. Cela suffit-il à faire un bon livre? Le passé n’est pas toujours simple à appréhender et la plongée dans les guerres coloniales, de l’Indochine à l’Algérie, ne nécessitait pas spécialement l’emploi du passé simple, trop simple.
Jenni s’est emparé d’un sujet difficile et douloureux : l’héritage colonial de la France. "Le débat sur l'identité nationale m'a beaucoup inspiré mais je n'ai aucune préconisation, aucun avis. Je voulais amener à réfléchir", a dit l'écrivain. "Je suis extrêmement fier et heureux de passer comme ça d'un premier roman à ce prix prestigieux. C'est cinq ans de travail qui sont reconnus", s'est-il félicité, se disant "très heureux". "J'ai mis longtemps à écrire ce livre et il me faudra un peu de temps pour réaliser", a-t-il ajouté, étourdi à l’annonce de son prix chez Drouant. Un succès inouï pour celui qui se définit comme un "écrivain du dimanche". "Depuis la fin de mes études, il y a vingt ans, j'ai écrit plusieurs choses qui n'ont pas marché. Alors je me disais que je resterais toujours un écrivain du dimanche, comme il y a des peintres du dimanche".
Envoyé à un seul éditeur, Gallimard – qui en profite pour rafler une nouvelle fois le plus prestigieux des prix littéraires l’année de son centenaire - l’éditeur flaire rapidement le bon coup. "Une partie de mon ascendance vient d'ailleurs, alors qu'il n'y a pas plus français que moi, dans l'idée typiquement française de service public, de passion pour la chose écrite", s'interroge-t-il.
Le classique, le classicisme même, voire le carrément ennuyeux
Si Jenni s’interroge sur le génie français de la guerre embourbé dans une guerre de conquête plutôt que défense mais qui finira ainsi, il s’interroge peu sur son style : point de formules ou d’envolées, de maniérisme il est vrai souvent pesant. Jenni fait dans la sobriété, le classique, le classicisme même, voire le carrément ennuyeux. Divisé en deux parties alternatives – le présent du narrateur et le passé du soldat-artiste-dessinateur- le roman abuse de l’emploi d’un passé simple plombant et hors de modernité. Récit d’aventures et réflexion sur l’héritage martial et forcément politique de la France ne font pas toujours bon ménage.
Issu d’une famille de gauche antimilitariste, Alexandre Jenni n’aura jamais connu les joies et les affres de la conscription. Peut-être fallait-il cette distanciation pour parler aussi bien -il faut le reconnaître - des tourments de la guerre. Mais la documentation historique, si abondante et bien comprise soit-elle, ne remplace les anecdotes d’un vécu militaire, fut-il en temps de paix et de courte durée. C’est cela qu’il manque à Jenni, un peu de fantaisie, de légèreté et d’empathie pour le corps qu’il dissèque. Une fresque historique pure, dénuée de romance et annotée aurait peut-être parue plus légitime. Ce n’est qu’un point de vue…
Richard Véty
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