Linda Amiri : "Le 17 octobre ne doit pas éclipser l’histoire de la Fédération de France du FLN" (Lire l'entretien et l'éditorial)

Doctorante en histoire de la Fédération de France du FLN, Linda Amiri, parle dans cet entretien du livre récemment paru de Marcel et Paulette Péju "Le 17 Octobre des Algériens" ( Ed. La découverte, Paris 2011). Insistant sur les dangers qu'il a à isoler le 17 octobre 61 de l'histoire globale de l'immigration algérienne et souligne l'indigence de l'Algérie en matière de recherche ambitieuse sur la guerre d'indépendance...
Linda Amiri, doctorante à l'Institut d'études politiques de Paris où elle prépare une thèse sur la Fédération de France du FLN sous la direction de Benjamin Stora, est l’auteure de La bataille de France (Ed.Robert Laffont, Paris 2004 - Ed. Chihab, Alger, 2005), le premier livre à aborder de manière globale le 17 octobre 61, sa genèse, ses faits, son contexte politique en ayant accès pour la première fois aux archives personnelles du préfet Papon. Il consacre l’essentiel de son contenu à l’analyse de documents d’archives de la préfecture de police de Paris et de la Fédération de France du FLN. Dans cet entretien, elle relève à juste tire que le 17 octobre 1961 ne doit pas être isolé de l’histoire de l’immigration algérienne en France et que l’Algérie, qui ne dispose pas d’une politique de recherche ambitieuse, ne peut appréhender dans toute sa complexité la guerre d’indépendance.
Vous avez certainement pris connaissance du livre posthume des deux journalistes Marcel et Paulette Péju, Le 17 octobre des Algériens (Ed. La découverte, 2011). Quelle est d’abord votre appréciation ?
C’est un livre très intéressant qui permet aux non-initiés de mieux comprendre cet événement : le massacre et son occultation, autrement dit l’histoire et la mémoire du 17 octobre 1961.
Apporte-t-il des révélations ? Lesquelles ?
Non, il n’apporte pas de nouvelles révélations, mais sa force réside dans les témoignages recueillis par les auteurs dans les jours et les semaines qui ont suivi le 17 octobre 61. Les voix de ces Algériens rappellent à tous la force de leur engagement politique, les raisons de cette manifestation et le déchaînement de violence qui s’en est suivit.
Pourquoi ce recueil de témoignages fait par ces journalistes français il y a une trentaine d’années ne voit le jour qu’en 2011 ?
Je ne connais pas l’histoire de ce manuscrit, mais il faut savoir que de nombreux textes ont été censurés pendant la guerre d’indépendance. Certains ont pu circuler sous le manteau ce qui leur a évité de tomber dans l’oubli, d’autres n’ont pas eu cette chance. Peut-être qu’il en a été ainsi pour cet ouvrage. Vous savez, soutenir la cause du FLN pendant la guerre d’indépendance n’était pas sans risque même pour des Européens ! Souvenez-vous de l’assassinat du Professeur Laperche (Le professeur Georges Laperche, militant de l'indépendance algérienne, fut assassiné à Liège, Belgique, au moyen d’un livre piégé le 25 mars 1960. N.D.L.R) et des autres assassinats perpétrés par la Main Rouge et l’OAS. Le texte de Marcel et Paulette Péju devait être publié à l’été 1962, mais il a été censuré. C’est un texte militant et courageux, qu’il puisse être à nouveau disponible 50 ans après est une très bonne chose. Quant à Gilles Manceron ( Journaliste, historien français spécialiste du colonialisme français, dont le texte "La triple occultation d'un massacre" est une vigoureuse préface au livre de Marcel et Paulette Péju, "Le 17 octobre des Algériens" (Ed. La découverte, 2011). N.D.L.R), il milite depuis de nombreuses années pour que le 17 octobre 1961 soit reconnu comme un crime d’Etat. On ne peut que saluer cette publication. L’an prochain, nous célébrerons les 50 ans de l’indépendance de l’Algérie, il serait bon qu’une réédition de l’ensemble des textes militants, y compris ceux du FLN se fasse. "Le devoir de mémoire" passe aussi par l’écrit.
Votre livre La Bataille de France qui fait parler des documents d’archives confrontés (Préfecture de police et Fédération de France du FLN) est un travail de recherche universitaire. Pensez-vous que le témoignage des acteurs de part et d’autre recèle encore des vérités jusque-là tues ?
Oui, je le pense. J’ai, du reste, beaucoup plus appris dans les entretiens que j’ai pu faire auprès des cadres de la Fédération de France du FLN que dans les archives. En France comme en Algérie, le recueil de témoignages sur cette période se fait sur des initiatives privées, parfois institutionnelles. Il n’existe pas de programme véritablement ambitieux d’archives orales. Ce qui est fort dommage. Vous connaissez le célèbre proverbe africain "Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront à glorifier le chasseur". En Algérie, tant que nous ne disposerons pas d’une politique de recherches ambitieuse, tant que les programmes d’aide à la recherche ne s’aligneront pas sur les standards des plus grandes universités (grands centres de recherches, bourses doctorales, lois sur l’ouverture des archives claires, etc.) nous ne pourrons appréhender dans toute sa complexité la guerre d’indépendance. S’approprier son histoire, c’est aussi permettre aux historiens de faire leur travail en toute sérénité.
Le 17 octobre est, nous semble-t-il, de plus en plus isolé de l’histoire de l’immigration algérienne. Si oui, quels dangers présente cette démarche événementielle même si La Bataille de Paris. 17 octobre 61 de Jean-Luc Einaudi (1991) a révélé l’ampleur de la répression ?
Vous avez raison, on a tendance aujourd’hui à restreindre le rôle de l’immigration algérienne dans le combat indépendantiste à cette seule date. Le 17 octobre 1961 ne doit pas éclipser l’histoire de la Fédération de France du FLN, dont le rôle est injustement méconnu en Algérie. Elle a pourtant financé à près de 80% le GPRA.
Le procès Papon est-il une reconnaissance officielle implicite par la France du massacre du 17 octobre 61 ?
Pour la première fois la justice française a reconnu qu’il s’agissait bien d’un massacre, cela a été une première victoire dans le combat pour la reconnaissance officielle. Par la suite de nombreuses villes en France ont souhaité commémorer l’événement par des noms de rues, des stèles (comme celle à Sarcelles), des squares (comme celui de Givors près de Lyon). Mais cela ne peut pas remplacer une reconnaissance officielle, la répression du 17 octobre 1961 a eu lieu à Paris, il fait partie de l’histoire de France. Il serait temps qu’une reconnaissance officielle se fasse, et avec elle, une indemnisation des familles des victimes.
Il y a eu très peu de témoignages écrits sur l’événement lui-même publiés par ses acteurs algériens. A votre avis pourquoi ?
Les manifestants ont témoigné, ils l’ont fait dans le cadre de rapports destinés à leur hiérarchie. Ces rapports existent, j’en avais publié des extraits dans mon ouvrage les Fantômes du 17 octobre 1961 (Ed. Mémoires génériques, 2003. N.D.L.R). Mais après l’indépendance, aucun manifestant n’a repris la plume, même si beaucoup acceptent aujourd’hui d’en parler publiquement. Il faut bien comprendre que pour eux, le 17 octobre 1961 n’est pas une simple date, ils l’ont vécu dans leurs chairs. Ils ont vécu l’humiliation et la violence de cette "nuit d’horreur et de honte", puis ensuite l’occultation… C’est un événement douloureux, pour que la parole se libère, il faut non seulement du temps, mais pour les témoins l’assurance qu’ils seront écouter. Ce n’est donc pas un hasard si ce retour de mémoire fut si long.
Entretien réalisé par Rachid Mokhtari
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