Lettre à Boualem Sansal

Lettre à Boualem Sansal

Très cher Boualem, toi tu as eu le courage de rester, mais nous sommes des milliers à avoir quitté ce pays...

Il y a 4 ans j'ai cru vivre un rêve merveilleux et je suis rentré chez moi après deux décennies passées en Europe et aux US. Il m'a fallu 4 ans pour voir mon rêve s'évaporer, et pour que la dure réalité me montre le chemin du retour vers une terre qui n'est pas la mienne mais où je me sens vivre comme un être humain, dans la paix et le respect. J'aurais pu rester plus longtemps dans mon pays si j'avais accepté de manger à la table des magouilleurs et des mercenaires internationaux qui violent nos valeurs, nos espoirs et nos ressources, en s'appuyant sur la complicité et le silence des hommes et des femmes du sérail, cette nouvelle génération de vampires qui ne connait pas autre chose que la trahison, la corruption et la haine de leur propre existence.

Non merci j’ai dit, on ne sait pas voler dans ma famille et Dieu me regarde. J’ai dénoncé la tricherie, peut-être que le salut éternel sera le prix de mon honnêteté, mais au-delà de mes convictions religieuses, c’est par amour pour mon pays que j’ai agi et ma fierté n’en est que plus confortée quand je me rappelle le visage des hypocrites qui faisaient la mine triste le jour de mon départ.

J'aurais pu continuer à me lever avec le chant des merles qui ont trouvé ce rare refuge dans le jardin paisible dans ma maison familiale au milieu des bâtisses à nombreux étages, propriétés des maquignons et anciens pauvres, annonce sans équivoque de l'approche de la fin des temps pour l'homme avertit, et participer, à ma manière, à la construction d'un lendemain plus lumineux en "coachant" par exemple, certains jeunes managers, dans le cœur desquels existe encore un peu de la fibre algérienne. Raviver la flamme dans le cœur de ces jeunes qui sont notre avenir, voilà tout ce que je souhaitais pour venir en aide à mon pays. Mais rêver à un lendemain brillant en Algérie c’est creuser sa tombe et tourner le dos à la vie. Rêver chez nous c’est accepter de faire partie des morts, avoir de l’espoir c’est se condamner à sortir du présent et de ne plus pouvoir y retourner.

J’ai vu dans notre pays une ouverture sur ce que sera l’enfer, non pas à travers les souffrances infligées quotidiennement au corps et à l’âme, non ce que j’ai vu c’est bien plus effrayant : c’est de ne plus pouvoir changer son destin, de ne plus pouvoir changer le cours des choses et de ne pas pouvoir agir pour modifier ce qui peut l’être. Dans cette dimension infernale, l’homme se retrouve prisonnier du temps, alors que la vie tout autour répond au mécanisme qui a été ordonné par le créateur, le jour succède à la nuit, la lune au soleil, les saisons se suivent en ordre bien établi, mais l’être humain est figé, prisonnier coincer dans un univers où il n’a aucune maîtrise et qu’il est forcé d’accepter, car impuissant devant l'armée du démon.

Oui, c’est cette facette d’un enfer qui n’existe que chez nous que j’ai vue et que j’ai fui. Suis-je un lâche ? Aurais-je un jour le courage de combattre pour cet idéal que nous partageons tous comme l’on fait un jour les vaillants guerriers de la libération ? Quelle est cette chimère, cette illusion d’un pays auquel nous nous sommes attachés mais qui n’a jamais réellement existé, sauf dans l’idéal de nos combattants qui rêvaient d’une Algérie joyeuse, lumineuse et féconde où les enfants seraient libres, où la générosité se trouverait dans le cœur de chacun ?

J’aimerais tellement guérir de cet amour qui ravage mes entrailles à chaque fois que je l’effleure et puis le quitte, ma douce terre d’Algérie.

Tu as de la chance Boualem Sansal d’y être resté, je t’envie ou plutôt j’envie ton courage ou ta résignation, mais tu vois, déjà à 6 ans j’avais compris et je n’aimais pas ces gens qui ont volé l’honneur des hommes alors que je n’étais qu’un enfant. Fuir pour mourir libre, ou mourir libre en prison, le choix est le nôtre et il faut le respecter. Le pouvoir lui ne partira pas.

Zeghloul Amabo

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Commentaires (6) | Réagir ?

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Said Demar

Effectivement nous tous qui avons choisi de partir ou plutôt de fuir sommes des lâches, des traîtres à la notion honte à nous.

Nous, cadres pour la plupart, que l'Algérie indépendante a formé généreuseument et gratuitement avons failli car nous sommes devenus égoïstes et nous n'avons pensé qu'à nous mêmes. Nous avons préféré aller vivre dans des pays jugés comme paradis

tout en sachant que ces pays ont été bâtis par des patriotes ceux là même qui aiment leur pays et qui ont consentis les efforts et les sacrifices nécessaire pour ce faire. Nous avons failli car nous avons abandonné nos frères et nos soeurs, travailleurs, chômeurs pour la plupart et étudiants pour certains. Nous avons sans aucun doute argué que ce qui compte c'est nos enfants et qu'il est préférable de les éléver dans des pays convenables.

Le drame est qu'il est probable que nos enfants ne comprendront jamais notre choix et la réponse à la question pourquoi avons nous quitté notre pays sera très peu convaincante. La construction d'un pays est une tâche noble et parfois le meilleur objectif pour un homme hélas nous l'avons occulté.

Nous avons perdu notre âme car comme dit l'adage savoir ce qui est juste et passer outre est de la pire lâcheté.

Que l'Algérie nous pardonne...

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sadek Oumasseoud

Les meilleurs sont partis laissant le pays aux mains de la baltaguia !

Les meilleurs sont partis et ils ne sont pas heureux. Dramatique.

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Raveh Aksel

Vous y allez un peu fort ! Non ? On croirait entendre la phraséologie du FLN: traîtres, lâches... Le seul à blamer, dans tout ça est ce pouvoir autiste, médiocre et sadique. Nous qui sommes restés, on ne se considère pas plus patriotes ou plus méritants que ceux qui sont partis. Ce pays se fera et changera avec l'apport de tous ses enfants, d'ici et d'ailleurs !

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boualem Sansal

Cher Zeghloul

Votre lettre m'a vraiment touché, en quelques phrases vous avez dit tout le drame de notre pays. Ses enfants le quittent, forcés le plus souvent.

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