A Bir El-Ater, les contrebandiers préfèrent le trafic d’armes
A la frontière algéro-tunisienne, il est aujourd’hui plus rentable d’acheter et de vendre des armes que de verser dans la contrebande classique. Reportage à Bir El Ater, le far west algérien.
Bir El-Ater, 90 km au sud de Tébessa. Au premier regard, la ville donne l’impression d’être tombée aux mains de contrebandiers qui ne se cachent même pas. Des camionnettes chargées de jerricans circulent à toute allure, sans papiers, ni plaques d’immatriculation pendant que de longues files de voitures patientent devant les stations-service à sec. Pour rappel, le 14 septembre dernier, un camion transportant 7000 litres de carburant destiné à la contrebande a été saisi par la sûreté de daïra de Chréa, à 40 km au sud de Tébessa. Le Sahel n’est pas la seule région à connaître une flambée de la contrebande depuis le conflit en Libye.
Interconnexion
Tout le long de la frontière algéro-tunisienne, de la wilaya de Annaba à El-Oued, la contrebande, d’abord érigée en trafic de subsistance, s’est interconnectée avec d’autres formes de crime organisé. Surtout du côté de Tébessa et de Souk Ahras. Profitant de la conjoncture, certains trafiquants ont tourné le dos à la contrebande classique pour se convertir en trafiquants d’armes, empruntant les mêmes pistes utilisées pour acheminer le carburant, via des couloirs incontrôlés entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye. A Bir El-Ater, localité contiguë avec la Tunisie, devenue plaque tournante de tous les trafics, au moins une vingtaine de pistes seraient librement empruntées par les contrebandiers. Nous nous sommes rendus sur place. Dans les cafés, les maisons, les rues, il n’est question que du colonel déchu, El Gueddafi, et des armes en provenance de la Libye qui inonderaient les frontières. Nous sommes allés dans le quartier Géni, où les contrebandiers, passeurs et guetteurs sont bien implantés.
Un pistolet automatique à 20 000 DA
A l’époque coloniale, Géni était une ancienne caserne du génie militaire. Aujourd’hui, ce quartier compte une centaine de maisons dont la plupart sont aménagées en dépôts de carburant. Depuis l’insurrection libyenne, les habitants pointent du doigt les contrebandiers y habitant comme étant des revendeurs d’armes en provenance de Libye. "On m’a proposé un PA à 20 000 DA", nous promet Hichem (*), un jeune du quartier, alors qu’un autre nous assure avoir vu une kalachnikov dissimulée dans une voiture immatriculée dans la wilaya de Batna, dont le propriétaire est venu à Géni s’approvisionner en carburant vendu au marché noir. "Cet homme aurait acheté cette arme chez un contrebandier de la région avec deux chargeurs, moyennant 50 000 DA", ajoute-t-il. De quoi alimenter le climat d’insécurité – les habitants de Géni refusent de nous parler de crainte de représailles – surtout depuis qu’un camion chargé d’armes a été intercepté le mois dernier par les services de sécurité. Une affaire de trafic d’armes à Khenchela où le chargement est passé par la frontière en provenance de la Libye n’a rien arrangé non plus.
Sekhirat l’éldorado
Suite à un coup de filet réussi, quatre individus originaires de Bir El Ater ont été interpellés. Nous partons ensuite pour Sekhirat, relevant du département de Feriana (Tunisie). "Là-bas, vous allez découvrir des choses à vous couper le souffle", nous a-t-on avertis. Dans cette zone isolée, les contrebandiers des deux pays trouvent la tranquillité nécessaire à leurs échanges de marchandise. Après plus de deux heures d’attente, nous avons rencontré Malek, la trentaine, contrebandier converti récemment au trafic d’armes. Pour lui, les affaires vont bien. Ce dernier nous confie avoir passé trois kalachnikovs, cinq pistolets automatiques, des fusils, des munitions et d’autres armes de guerre à des commanditaires algériens, pour la plupart des contrebandiers.
Ces armes auraient été volées des garnisons libyennes, puis distribuées à la population avant de se retrouver sur les marchés illégaux en Tunisie puis de transiter vers l’Algérie à la demande des contrebandiers. Les opérations se font de nuit. C’était le cas en particulier pendant le mois de Ramadhan. Malek nous raconte avoir contacté, via son téléphone portable, un autre Tunisien habitant l’extrême sud de la Tunisie, à la frontière libyenne, dans la wilaya de Guebeli. Celui-ci aurait introduit, avec deux Libyens de Ghadamès, via la frontière algéro-libyenne, trois chargements d’armes de guerre.
L’étau se resserre
Mais de l’avis du jeune trafiquant, la situation est en train de changer : l’étau se resserre de plus en plus autour de la dizaine de trafiquants libyens et tunisiens qui font de la contrebande d’armes vers l’Algérie, surtout du côté des wilayas d’Illizi et d’El Oued. "Tous ces contrebandiers, armés jusqu’aux dents, forment une véritable mafia, nous raconte un ex-trafiquant qui a laissé tomber suite à la mort de son fils aîné. Ils utilisent leurs armes surtout lors des courses-poursuites." Dans la commune d’El Oglat Melha, près de Bir El Ater, un contrebandier a ainsi tiré plusieurs coups de sommation, avertissant les habitants de la commune qui voulaient bloquer la route à ce trafiquant. Une histoire qui ressemble à celle de Oglat Ahmed, à quelques mètres seulement des frontières.
"Un soir du mois d’août, un peu avant l’heure du f’tour, il y a eu un accrochage entre deux clans de contrebandiers, relate un habitant. Des tirs nourris de mitrailleuses. Au début, je croyais que c’était des terroristes…" Des mesures de sécurité ont été prises en septembre dernier visant essentiellement l’interdiction de l’accès de personnes à travers les postes frontaliers de Debdab et Tin Koum dans la wilaya d’Illizi. Des moyens matériels et humains ont été déployés sur place pour parer à toute tentative d’introduction d’armes dans le territoire algérien, assure-t-on du côté des autorités algériennes. Du côté de la Tunisie, et le long de la frontière, des barrages fixes ont été renforcés par des moyens humains, et des cantonnements de gardes communaux ont été implantés un peu partout.
B. A.
(*) Les prénoms ont été changés
Commentaires (2) | Réagir ?
Il y a seulement le centre où le petit épicier est harcelé par les controleurs des prix. Là bas l'Etat n'existe plus depuis longtemps. Chaque Chaoui a quelqu'un dans la gendarmerie ou l'armée.
Dans un pays ou tout est interdit, sauf la corruption et le mensonge, il est tout à fait normal de voir tout ces trafics alimentés par cet Etat voyou ! Quand on dresse la liste de tout ce qui est interdit, on se rend compte rapidement qu'ils ne laissent aucune chance, aux populations pour se conduire normalement !