Le nouveau roman de Yasmina Khadra "L’équation africaine"

Le nouveau roman de Yasmina Khadra "L’équation africaine"

Le nouveau roman de Yasmina Khadra "L'équation africaine" se lit comme un thriller "pop corn" dont les acteurs, des pirates des déserts de Somalie et du Soudan , monnayent leurs otages occidentaux, hors des circuits des groupes islamistes armés...

Une Afrique "pop corn"

Une Afrique sans Africains, telle est l’impression que laisse au lecteur le nouveau roman de Yasmina Khadra l’Equation africaine, qui exploite un fait actuel largement répercuté par les médias : celui des enlèvements de journalistes, de touristes, d’agents d’organisations humanitaires internationales par des groupes armés qui se revendiquent d’organisations islamistes affiliées à l’Aqmi du Maghreb.

Dans le récit de Yasmina Khadra, ces ravisseurs n’ont aucune parenté politique, ils apparaissent comme des bandes hétéroclites, sans aucune filiation, des électrons libres, hiérarchisées en sous-traitants monnayant la mise à prix des otages qui génèrent souvent des conflits entre bandes armées rivales. Ces groupuscules, écumant les régions de la Somalie et du Soudan, comprennent, en leur sein, des brutes, sans foi ni loi, mais aussi des poètes qui, par la force des choses, ont basculé dans le marché fructueux des otages. Et c’est à peine, si, tout le long du récit qui se résume à un banal fait divers, le lecteur rencontre des Africains hors des camps de l’organisation de la Croix-Rouge, comme si toute l’Afrique se résume à ces camps, à quelques vieux fantomatiques qui s’accrochent désespérément à la vie dans leurs villages décimés par les conflits inter ethniques ou par ces bandes qui écument le désert à la recherche d’un butin humain.

Yasmina Khadra gomme tous les aspects politiques et idéologiques à l’origine de la constitution de ces bandes armées et des profondes motivations recherchées par celles-ci dans les prises d’otage. Roman certes qui ne s’embarrasse pas de l’exactitude du sujet exploité, il n’en demeure pas moins que la fiction, pour être crédible, ne peut, à ce point faire l’impasse sur l’authenticité des référents de la situation que vivent les protagonistes ; un contexte qui fait l’actualité des médias dont est pourtant friand l’écrivain.

De toutes ces motivations qui engagent officines diplomatiques, les forces armées, les rapports Nord-Sud, les récents scandales liés aux mêmes événements sous exploités dans ce récit, l’auteur n’en retient qu’une et l’exploite jusqu’à l’usure : la rançon au plus offrant exigée des pays occidentaux sans motivation politique. Mais est-ce vraiment Yasmina Khadra qui désidéologise ces faits largement répercutés par les médias occidentaux ? Point d’Aqmi, point d’organisations islamistes, point de revendications politiques. Que du pognons !!! Le récit est écrit à la première personne qui n’est pas celle de l’auteur. C’est Hans Krausmann, un Allemand, médecin généraliste à Frankfurt qui en est le narrateur, otage d’un groupe armé non identifié au large des côtes somaliennes avec son ami Kurt qui trouvera la mort dans une attaque des forces armées contre les ravisseurs. Hans tient un cabinet à Frankfurt et n’eût été le suicide de son épouse, il n’aurait pas connu cette mésaventure accidentelle. Son épouse s’est donné la mort dans leur appartement. Il quitte la ville, invité par son ami Kurt, un homme d’affaires, à se changer les idées ailleurs.

A bord d’un yacht privé, ils sont accostés au large des côtes somaliennes par des ravisseurs. Commence alors pour eux le cauchemar. Traînés, brutalisés d’un camp à un autre dans le désert, ils apprennent au contact de leurs ravisseurs sans scrupules, des brutes au langage fantaisiste, à survivre à la brutalité de leurs geôliers, à la faim, au froid, à la saleté et aux aléas des lendemains. Hans, par son côté froid et distant, ne cédant pas à l’effet de panique, arrive quelquefois à raisonner les ravisseurs qui s’étonnent eux-mêmes de lui tenir des propos d’hommes raisonnables. Un ravisseur – poète, dit Blackmoon, et néanmoins sadique, se confie à lui en s’excusant presque de la tournure des événements, justifiant sa présence parmi les malfrats par un concours de circonstances qui le dépassent. Il est là, malgré lui, il n’a pas choisi d’être un preneur d’otages comme Nafa, on s’en souvient, de A quoi rêvent les loups qui n’a pas choisi de devenir un "émir" du GIA.

Cette complainte du bourreau revient en force dans ce nouveau roman à travers ce tyran-poète de Blackmoon dont on découvre, après sa mort, le recueil de poèmes. Parfois, entre Hans et les ravisseurs s’enclenche un échange de propos sur l’état de l’Afrique, ses mythes et ses souffrances comme si les bourreaux ravisseurs étaient devenus, soudainement, les dépositaires d’une Afrique authentique souillée par les Occidentaux. Ces propos tenus par le chef énigmatique de la bande surprennent le lecteur par leur caractère artificiel et saugrenu dans un tel rapport de force inégal : ravisseur/otage au point où, par moments, ils se confondent. Cependant, il y a une autre Afrique, opposée à celle des ravisseurs : celle de Bruno, vieil otage qui ne trouve pas preneur en rançon. Cet Africain d’adoption, qui a quitté la France pour entreprendre, à la manière de Charles de Foucault, une quête spirituelle dans les déserts africains avant de connaître une idylle auprès de l’exotique, porte en lui une Afrique irréelle, mystérieuse et tout entière fantasmée. Otage confondu aux ravisseurs par Hans, Bruno se revendique de l’Afrique et refuse son statut d’otage étranger. Fantasque, il apporte une certaine décontraction auprès des otages. Devenu l’ami de Hans qui l’apprécie pour ses choix têtus d’être Africain malgré tout, féru de magie, de sorcellerie, vieux poncifs qui remplissent la vision néo-coloniale d’une Afrique des tambourins.

Retranchés dans un camp perdu dans le désert de Somalie que les ravisseurs connaissent comme leurs poches, l’ami de Hans, Kurt, certainement plus rentable en demande de rançon est transféré vers une autre destination. Hans se retrouve seul en compagnie de Bruno et ses ravisseurs sont visiblement fort inquiets. Les réserves en carburant sont épuisées et les contacts avec les autres groupes de ravisseurs sont coupés. Profitant de cette situation, Hans s’échappe du camp et, par miracle, arrive à semer ses geôliers. Après bien des périples, il arrive à rejoindre, par pur hasard, un groupe de la Croix-Rouge international établi en plein désert avec des réfugiés venus on ne sait d’où.

Hans qui retrouve Bruno dans le camp, vit une idylle avec Elena, femme médecin de l’organisation de la Croix rouge. Après bien des démêlées entre les ambassades et l’armée locale, Hans est rapatrié tandis que Bruno retourne auprès de sa "bonne compagne" à Djibouti. Ayant rejoint Frankfurt, l’angoisse étreint Hans. Tout lui est lugubre. Malgré l’attention appuyée de ses ami(e)s, il ne se sent pas chez lui. Dans un élan désespéré, il se recueille sur la tombe de sa mère et rend visite à son père placé dans un hospice. Il revient à Frankfurt, chez lui, un être lui manque, ce n’est pas Jessica, son épouse défunte mais Elena, restée en Afrique, dévouée pour son idéal humanitaire, dans son camp de la Croix-Rouge. Il écrit un mail et la réponse d’Eléna amoureuse vient instantanément. Il retourne en Afrique à titre de médecin de l’humanitaire. Comment comprendre ce retour en Afrique ? L’équation africaine place l’Afrique actuelle hors des vrais problèmes politiques qui sont dilués, minimisés au profit d’une aventure rocambolesque dans laquelle les acteurs, ravisseurs et otages confondus, sont à la marge, ne se revendiquant d’aucune obédience politique. Hans, l’Allemand, son ami kurt, tué pour rien, Bruno l’africain d’adoption, y compris les ravisseurs ne se revendiquent d’aucune cause, d’aucun idéal politique, sinon de leur petite personne. Est-ce la raison pour laquelle L’équation africaine est déconnecté des vrais problèmes africains de l’heure : terrorisme, conflits interethniques, régimes dictatoriaux, corruption systémique, famine… Plutôt qu’à un roman qui se place au centre des véritables enjeux qui placent l’Afrique dans l’épicentre des régimes dictatoriaux et des organisations islamistes d’Al Qaïda, dont l’Aqmi, Yasmina Khadra se sert de cette Afrique comme d’un simple décor à une scénographie incolore et inodore où les notions de "ravisseurs", de "rançons" semblent sortir de l’un de ses polars.

Les pages consacrées à la description de la vie quotidienne d’un camp de réfugiés de la Croix-Rouge n’apportent pas plus que ce que les reportages des médias donnent à lire où à voir. L’auteur, pour donner une poignée de sel à ce spectacle de la désolation commun et surexploité par les médias du monde entier, met en scène l’image exotique d’un enfant qui ne fait que transiter par le camp, car son but, c’est d’aller voir, à n’importe quel prix, la mer ; ou cet autre enfant qui arrive au camp, sur le dos, sa mère agonisante. Des instantanés censés émoustiller la sensibilité du lecteur qui, jusque-là, n’est qu’un spectateur d’un film d’action dans la série "pop corn".

Rachid Mokhtari

L'Equation africain, édition Julliard, Paris - réédition Media Plus, Constantine, 2011

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